Introduction
Rapport special sur les allegations entourant la visite officielle du premier ministre Trudeau en Inde en février 2018

1. Le 22 janvier 2018, le premier ministre a annoncé qu’il ferait un voyage officiel en Inde du 17 au 24 février. Sa délégation comprenait six ministres, et il était accompagné de 16 parlementaires, qui se sont rendus en Inde de façon indépendante pour participer à certaines parties de l’itinéraire. Le voyage comprenait de nombreuses rencontres avec des responsables locaux, nationaux et de l’État, des gens d’affaires et des groupes communautaires à de multiples endroits dans cinq villes.

2. Le 20 février, Jaspal Atwal a assisté à une réception tenue à Mumbai par le premier ministre à titre d’invité du Cabinet du premier ministre (CPM). Il y a été photographié avec l’épouse du premier ministre, un ministre et une députée. Les photos en question ont été reprises par des médias de l’Inde et du Canada et ont soulevé des questions à savoir comment M. Atwal, qui avait déjà été condamné pour tentative de meurtre à l’encontre d’un ministre du Pendjab et qui avait déjà été actif dans le mouvement extrémiste sikh au Canada, avait pu être invité à l’événement tenu à Mumbai et à une réception prévue à Delhi le 22 février. En réaction à l’information reçue à la suite de l’événement à Mumbai, le Cabinet du premier ministre a enjoint Affaires mondiales Canada de retirer l’invitation de M. Atwal à la réception prévue à Delhi, ce qu’Affaires mondiales Canada a fait le 21 février.

3. À la suite de ces événements, le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement (CSNR), a informé les journalistes canadiens par attribution indirecte à titre de « représentant haut placé du gouvernement », soit tout d’abord les journalistes au Canada le 22 février, puis les journalistes canadiens qui accompagnaient la délégation du premier ministre en Inde le 23 février. Le CSNR a alors laissé entendre que la diffusion d’information sur M. Atwal par les médias avait été orchestrée, potentiellement par des factions de la communauté du renseignement de l’Inde.

4. Le gouvernement a par la suite fait l’objet de critiques en raison des commentaires formulés par le CSNR, qui avait été identifié comme la source de l’information communiquée aux médias, à la Chambre des communes. Le 1er mars, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a laissé entendre dans une mêlée de presse que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR, ci-après le Comité) pourrait se pencher sur cette question. Le même jour, le CSNR et d’autres hauts fonctionnaires de la communauté de la sécurité et du renseignement ont présenté une séance d’information au Comité à la demande du CSNR. Le 28 mars, le Sénat du Canada a modifié une motion pour affirmer que le Comité pourrait être une instance appropriée pour examiner les procédures opérationnelles de sécurité et du renseignement qui sont suivies lors des visites diplomatiques et des visites à l’étranger auxquelles participe le gouvernement du Canada.

5. Le Comité a étudié les diverses allégations faites dans le cadre du voyage du premier ministre en Inde. Ces allégations portaient sur une ingérence étrangère dans les affaires politiques du Canada, des risques pour la sécurité du premier ministre et l’utilisation inappropriée du renseignement. Le Comité a jugé qu’il s’agissait d’allégations sérieuses qui pouvaient avoir des conséquences importantes sur la sécurité nationale et la souveraineté du Canada et que l’examen de ces allégations relevait de son mandat. Le 5 avril, les membres du Comité ont unanimement décidé de mener un examen spécial sur ces allégations, conformément à l’article 21(2) de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

6. Le 9 avril, le président du Comité a informé le premier ministre, la ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de l’examen du Comité, conformément à l’article 15(1) de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Le cadre de référence de l’examen (voir l’annexe A) a été remis au Bureau du Conseil privé (BCP), au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et à Affaires mondiales Canada (AMC) le même jour, et ces derniers avaient jusqu’au 20 avril pour fournir de l’information au Secrétariat du Comité. Le Secrétariat a par la suite rencontré des fonctionnaires de chaque ministère et organisation afin de préciser l’information dont il avait besoin.

7. Le 20 avril, le Secrétariat a reçu plus de 2 400 pages de documents. Il s’agissait de documents très variés, dont la plupart portaient la classification Secret ou Très secret, notamment :

  • Des notes d’information et des courriels;
  • ***;
  • Des comptes rendus de voyage et de contact;
  • Des évaluations et des rapports du renseignement; et
  • ***.

8. En plus de leur classification, certains de ces documents contenaient de l’information extrêmement délicate au sujet de ***. Ils comportaient aussi des noms de Canadiens et de députés canadiens de même que des détails au sujet de négociations bilatérales.

9. Le Secrétariat a analysé l’information fournie. Il a ensuite rencontré les quatre organisations pertinentes à de nombreuses reprises et fait les suivis nécessaires auprès de celles-ci afin de vérifier les faits et d’obtenir davantage d’information, et il a reçu des centaines de pages de documents supplémentaires. Le 1er mai, le Secrétariat a interrogé des hauts fonctionnaires du SCRS. Les 3 et 7 mai, le Comité s’est réuni pour se pencher sur le rapport intérimaire du Secrétariat. Le 8 mai, le Comité a interrogé le sous-ministre d’Affaires mondiales Canada et ses fonctionnaires, puis le sous-commissaire de la Police fédérale de la GRC. Le 9 mai, le Comité a interrogé le CSNR et d’autres responsables du BCP. Les audiences tenues par le Comité ont été enregistrées, et des notes détaillées ont été prises; ces notes ont par la suite été transcrites en format électronique. Ce rapport se fonde sur l’information que les organisations ont fournie et sur les audiences tenues durant la semaine du 7 mai 2018.

10. Le rapport se divise en trois sections. La première section porte sur *** et les circonstances qui entourent les allégations d’ingérence étrangère dans le cadre précis du voyage du premier ministre en Inde en février 2018. La deuxième section porte sur les questions de sécurité durant le voyage du premier ministre en Inde et sur ce que les organisations gouvernementales savaient au sujet de M. Atwal avant et après sa présence en Inde. La troisième section porte sur les allégations d’utilisation inappropriée du renseignement par le CSNR durant ce voyage. Chaque section présente des conclusions et des recommandations.

11. Le Comité reconnaît qu’il disposait d’un recul lorsqu’il a examiné pourquoi les représentants, particulièrement le CSNR, ont décidé de prendre certaines mesures. Tous les organismes d’examen prennent un recul lorsqu’ils se penchent sur le bien-fondé des actions prises par le gouvernement dans des circonstances difficiles. Même si le Comité est conscient des risques inhérents à la situation en question, il est également d’avis qu’il doit comprendre le motif derrière les actions prises par les représentants. Lorsque, à sa demande, le CSNR a informé le Comité le 1er mars, il a passé beaucoup de temps à justifier ses décisions relativement aux questions soulevées dans le présent rapport. Le 9 mai, il a de nouveau expliqué ses décisions lorsqu’il est retourné devant le Comité pour répondre à ses questions. Dans ses conclusions et ses recommandations, le Comité a tenté de mettre l’accent sur l’incidence de certaines décisions plutôt que sur la validité des décisions en soi.