Troisième section : Utilisation du renseignement
Rapport special sur les allegations entourant la visite officielle du premier ministre Trudeau en Inde en février 2018
66. Cette section porte sur la question de savoir si du renseignement a été utilisé à des fins politiques ou a été divulgué de façon inappropriée dans le cadre du voyage du premier ministre en Inde. Le Comité était d’avis que la question était importante pour deux raisons : l’utilisation du renseignement à des fins politiques porte atteinte à l’intégrité de l’information fournie par les services de renseignement et remet en question la neutralité de leurs conseils, et la divulgation inappropriée du renseignement pose un risque pour les sources de renseignement et les méthodes de collecte du renseignement. Lors de son examen, le Comité a cherché à déterminer quelle information le CSNR avait communiquée lorsqu’il s’est adressé à la presse au sujet des allégations d’influence ou d’ingérence étrangères, et pourquoi il s’est adressé à la presse.
67. Le Comité croit que pour expliquer les événements entourant la présence de M. Atwal durant certaines parties du voyage du premier ministre en Inde, il ne faut pas seulement tenir compte du contexte lors des trois journées où il se sont produits. En effet, ces événements s’inscrivent dans une longue suite d’interventions et d’irritant bilatéraux. Ces irritants et interventions ont façonné les opinions et les actions des responsables canadiens chargés de préparer le voyage et d’assurer sa réussite. Il importe donc de tenir compte du contexte général, décrit plus haut, pour comprendre les actions du CSNR et des autres responsables du gouvernement entre le 20 et 23 février, que nous relatons ci-dessous.
68. Dans la chronologie des événements ci-dessous, toutes les heures ont été ajustées selon l’heure normale de l’Est en fonction du décalage (plus 10,5 heures) entre Ottawa et Delhi.
20 février Note de bas de page 79
8 h 45 – 9 h 30 : M. Atwal a assisté à un événement à Mumbai à l’invitation du Cabinet du premier ministre. Il s’est fait photographier avec des membres de la délégation du Canada et des députés, dont l’épouse du premier ministre et le ministre de l’Infrastructure et des Collectivités.
20 h 14, ***
En soirée, *** un employé du SCRS ***.
21 février
1 h 13 : Un « citoyen préoccupé » a envoyé un courriel à partir d’un domaine au Canada au Haut-Commissariat du Canada à Delhi où il affirmait que le haut-commissaire avait envoyé une invitation à dîner à M. Atwal, qui avait été condamné à la suite d’un acte criminel et qui entretenait des liens avec le service du renseignement indien. Le courriel contenait en pièce jointe *** ainsi qu’une photo non datée de M. Atwal avec M. Justin Trudeau et un homme non identifié.
6 h 30 : L’employé du SCRS ***.
8 h : L’employé du SCRS *** Note de bas de page 80
10 h : Le SCRS a informé le BCP de ***
11 h 14 : Le SCRS a transmis son rapport secret aux responsables du BCP, qui l’ont ensuite transmis au CSNR. Ce rapport indiquait que M. Atwal *** ; qu’il avait été condamné pour tentative de meurtre à l’endroit d’un ancien ministre indien; qu’il avait déjà ***; et qu’une recherche dans une base de données des forces de l’ordre pour la période de 2006 à 2013 avait révélé ***. (Le nombre de dossiers relevés par le SCRS diffère de celui relevé par la GRC, mais cette différence est probablement attribuable à l’utilisation de critères de recherche différents.) ***
*** Note de bas de page 81 . [traduction]
11 h 38 : Le CSNR a envoyé un courriel contenant de l’information de source ouverte sur M. Atwal au directeur de la Gestion des enjeux du Cabinet du premier ministre (le « directeur de la Gestion des enjeux »), à titre de suivi au sujet d’une conversation tenue plus tôt. Dans sa réponse subséquente, un employé du Bureau du Conseil privé qui figurait dans la liste de noms en c.c. du courriel du CSNR a souligné qu’un responsable qui voyageait avec la délégation en Inde avait affirmé que la situation de M. Atwal avait été soulevée lors d’une réunion avec le Cabinet du premier ministre et que le Cabinet du premier ministre et le Haut-Commissariat « faisaient un suivi Note de bas de page 82 . »
14 h 36 : Le BCP a envoyé un courriel très secret au CSNR qui indiquait ceci : « La GRC a confirmé qu’Atwal a déjà été accusé de tentative de meurtre et par la suite condamné le 1987 04 03. D’autres vérifications effectuées auprès des forces policières ont révélé que de nombreuses accusations avaient déjà été portées contre Atwal, à savoir des accusations d’avoir proféré des menaces à l’endroit d’une personne et de voies de fait armées […] *** Note de bas de page 83 . » [traduction] (Par contre, ce que la GRC avait véritablement communiqué au sujet de M. Atwal, *** Note de bas de page 84 .)
16 h 48 : Le service des Communications du BCP a envoyé un courriel à une liste de destinataires du CPM et du BCP, y compris au CSNR, dans lequel il acheminait les questions d’un journaliste de la CBC au sujet de la présence de M. Atwal à l’événement de Mumbai, où la CBC mentionnait que « le SCRS avait transmis un avertissement au CPM précisément au sujet de M. Atwal. » [traduction] Le CSNR a ajouté le directeur de la Gestion des enjeux à la liste des destinataires et a répondu à ce directeur : « Cela ressemble à quelqu’un *** qui envoie de l’information aux médias. Note de bas de page 85 » [traduction]
19 h 04 : Le CSNR a transmis un courriel au greffier et à la sous-greffière du Conseil privé qui contenait un article de la CBC au sujet de l’invitation de M. Atwal à la réception du 22 février et il y a écrit ceci : « Nous avons été informés que cet individu se trouvait sur la liste *** cet am et nous l’avons signalé au CPM et aux membres de la délégation à Delhi; nous leur avons communiqué les faits et la décision de retirer l’invitation. Cependant, entre-temps, quelqu’un *** a informé les médias qu’il avait été aperçu avec des membres de la délégation (photos prises) et qu’il était sur la liste d’invités Note de bas de page 86 . » [traduction]
20 h 58 : Le CSNR a envoyé un courriel pour répondre à la demande de renseignements du directeur de la Gestion des enjeux au sujet de Paramjit Randhawa, dont le nom était mentionné dans un article joint au courriel qui était paru dans The Indian Express et dans lequel M. Randhawa affirmait être arrivé en Inde « à titre de membre de la délégation du premier ministre du Canada Justin Trudeau » après s’être vu refuser un visa à sept reprises au cours des 38 années précédentes. Le CSNR a écrit : « […] L’Inde ajoute parfois des noms sur sa “liste noire” parce que les personnes en question ont exprimé un point de vue en faveur de la séparation du Khalistan » [traduction], et il a demandé à ses responsables de vérifier auprès du SCRS et de la GRC si ceux-ci détenaient de l’information défavorable Note de bas de page 87 .
21 h 38 : Le haut-commissaire canadien a communiqué avec M. Atwal pour lui retirer son invitation à la demande du directeur des Opérations du CPM Note de bas de page 88 .
22 h 40 : Le CSNR a tenté sans succès de joindre le conseiller à la sécurité nationale de l’Inde, M. Doval, au téléphone.
22 h 51 : Le CSNR a envoyé un courriel au conseiller à la sécurité nationale de l’Inde M. Doval, pour le remercier de leur rencontre la semaine précédente, en soulignant que le premier ministre Trudeau avait déclaré publiquement que le Canada était en faveur d’une Inde unie; qu’il s’était dit heureux que le ministre de la Défense nationale ait pu rencontrer le ministre en chef du Pendjab; ***. Le CSNR a demandé si le conseiller à la sécurité nationale Doval pourrait « confirmer que toutes les conditions sont bien en place pour que la rencontre entre les deux PM demain soit productive » [traduction], et il a donné les numéros de téléphone où il pouvait être joint. Le conseiller à la sécurité nationale Doval n’a pas répondu Note de bas de page 89 .
22 février
00 h 37 : Le CSNR a envoyé un courriel à ses responsables pour leur demander de faire une vérification auprès de la GRC pour répondre au directeur de la Gestion des enjeux, en indiquant que le CBC avait dit à l’équipe des relations avec les médias du Cabinet du premier ministre que « ses sources leur racontent que la GRC à Surrey savait qu’il allait en Inde et avait informé le CPM Note de bas de page 90 . » [traduction]
1 h 22 : Le BCP a envoyé un courriel au CSNR où il indiquait que la GRC avait confirmé n’avoir communiqué aucune information au Cabinet du premier ministre et que la « recherche n’avait rien révélé de défavorable, autant du côté de la GRC que de celui du Peloton de protection du premier ministre ». [traduction] Le directeur de la Gestion des enjeux avait été informé par courriel et par téléphone Note de bas de page 91 .
6 h 36 – 07 h 23 : Le Haut-commissariat du Canada à Delhi a envoyé des courriels à trois personnes, soit ***, *** et ***, afin de leur retirer leur invitation. Au sujet du premier nom, la demande a été faite par le Cabinet du premier ministre; dans le cas du second, par le BCP; et dans le cas du troisième, par la mission du Canada Note de bas de page 92 . Selon le témoignage des responsables du BCP, ces noms avaient été désignés par une équipe de responsable du Cabinet du premier ministre et du BCP à Delhi qui avait effectué des recherches dans Internet au sujet des noms figurant dans la liste d’invités Note de bas de page 93 .
7 h – 9 h : Le CSNR a tenté sans succès de joindre le conseiller à la sécurité nationale de l’Inde, M. Doval, au téléphone.
11 h 27 : Le SCRS a envoyé un courriel très secret au BCP où il écrivait que ***
14 h 26 : Le CSNR a envoyé un courriel au conseiller à la sécurité nationale Doval pour lui demander des éclaircissements sur la façon dont les noms de M. Atwal et M. Randhawa *** et il a souligné que ni l’un ni l’autre de ces individus ne faisaient partie de la délégation officielle du Canada en Inde. Le CSNR a aussi demandé à M. Doval de l’appeler. M. Doval n’a pas répondu Note de bas de page 94 .
14 h 50 : Le directeur de la Gestion des enjeux a envoyé un courriel au CSNR dans lequel figurait une liste de journalistes qui avaient été contactés et qui attendaient un appel du CSNR Note de bas de page 95 . Ce dernier n’a pas fourni ses notes d’allocution pour ces conversations téléphoniques, mais il a affirmé lors de son témoignage qu’il avait communiqué aux journalistes les mêmes renseignements que ceux qu’il avait donnés lors de son allocution d’ouverture devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes le 16 avril 2018 Note de bas de page 96 .
Après-midi/soirée – Le CSNR présente une séance d’information aux représentants des médias au Canada.
18 h 35 : Parmi les premiers articles parus à la suite de la séance d’information du CSNR figure un article que le National Post a publié dans son site Web et qui avait été rédigé par un journaliste auquel le CSNR avait communiqué de l’information. Le journaliste rapporte que le CSNR a dit qu’il ne s’agissait pas « d’une coïncidence » si le nom de M. Atwal avait été retiré de la liste noire de l’Inde et que le « service du renseignement » pouvait avoir des raisons de vouloir mettre le premier ministre dans l’embarras en raison de son indulgence à l’égard du séparatisme sikh Note de bas de page 97 .
23 février
5 h 26 : Le directeur de la Gestion des enjeux a envoyé l’article du National Post aux responsables du CPM et du BCP et a recommandé que le CSNR tienne une séance d’information à l’intention des journalistes canadiens en Inde qui accompagnaient la délégation du premier ministre.
7 h (environ) : Le CSNR a tenu une séance d’information à l’intention des journalistes canadiens en Inde.
Information fournie par le CSNR pendant la séance d’information donnée aux journalistes
69. Le Comité a cherché à savoir si l’information livrée aux journalistes était classifiée.
70. En réponse à une demande formulée verbalement et visant à savoir quels documents avaient servi au CSNR pour informer les journalistes à ces dates, le BCP a répondu : « Ce qui a été communiqué aux médias à la séance d’information contextuelle se trouve dans l’allocution d’ouverture du 16 avril 2018 du CSNR au [Comité permanent de la sécurité publique et nationale (SECU) de la Chambre des communes] Note de bas de page 98 . » [traduction] Le Comité n’a reçu rien d’autre, comme des notes manuscrites, dont le CSNR aurait pu se servir pour les séances d’information à l’intention des médias. Le Comité a confirmé qu’il n’y avait pas d’enregistrements de ces séances.
71. Le Comité a étudié les articles de presse qui ont été publiés après les séances d’information données par le CSNR. Le Comité a déterminé que ce qui a été dit dans les médias correspond largement à ce que le CSNR a déclaré au Comité le 1er mars et au Comité permanent de la sécurité publique et nationale Note de bas de page 99 . En réponse aux questions soulevées par le Comité, le CSNR a expliqué que ce qu’il avait livré aux médias correspondait à son témoignage lors de sa comparution devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale et qu’il n’avait pas transmis d’information classifiée Note de bas de page 100 . De hauts dirigeants d’AMC, du SCRS et de la GRC ont déclaré séparément que le CSNR n’avait pas divulgué d’information classifiée. Dans un communiqué de presse, le chef de l’opposition officielle a déclaré que le gouvernement et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ont confirmé que l’information que le CSNR avait fournie aux journalistes ne contenait pas d’information classifiée Note de bas de page 101 . Selon ces informations, le Comité n’est pas en mesure de faire une conclusion à ce sujet.
Motifs invoqués par le CSNR pour informer les médias
72. Afin de déterminer si du renseignement aurait servi à des fins politiques, le Comité a cherché à comprendre pourquoi le CSNR a tenu des séances d’information à l’intention des médias les 22 et 23 février. Le CSNR s’est expliqué à cet égard sur plusieurs tribunes. Son explication la plus claire vient de son témoignage devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, le 16 avril 2018, où il a réitéré trois objectifs.
« La séance d’information avait trois objectifs […] Le premier était que lorsque nous étions en crise, nous avons tenté d’expliquer les faits aux médias […] Le deuxième était que nous voulions répondre à un grand nombre de questions des médias […] Le troisième – et c’était le plus important – venait du fait que nous pouvions voir que des informations erronées circulaient, mais aussi qu’il semblait y avoir des efforts concertés pour tenter de raconter une histoire en utilisant, de manière inappropriée, trois organismes publics respectés, soit le SCRS, la GRC et notre mission diplomatique à Delhi […] Si certains tentent de raconter une histoire complètement fausse en utilisant trois de nos organismes publics les plus respectés, il faut qu’une personne neutre intervienne pour en aviser les médias. Voilà pourquoi j’ai donné la séance d’information Note de bas de page 102 . »
[les passages en italiques sont de nous]
73. Dans les notes qu’il avait préparées pour sa comparution devant le Comité, le 1er mars, le CSNR a répété qu’il était important de donner les faits et de répondre aux questions des médias.
« Je veux qu’il soit très clair que j’ai proposé de tenir des séances d’information contextuelle à l’intention des médias canadiens pour les mettre en garde qu’il y avait des efforts concertés pour faire circuler de l’information erronée, au-delà du fait incontestable que cette personne [M. Atwal] n’aurait pas dû être invitée.
Je l’ai fait parce que compte tenu de l’information classifiée que nous vous avons transmise et du nombre de faits qui sont maintenant confirmés […], nous en sommes venus à la conclusion qu’il était très plausible qu’une campagne de désinformation aurait pu être orchestrée afin de ternir la réputation du Canada […] Note de bas de page 103 . » [traduction]
74. Le CSNR a dit à maintes reprises que les séances d’information qu’il a données avaient pour but de contrer ce qu’il croyait être des efforts concertés pour inventer une histoire, et plus particulièrement qu’Affaires mondiales Canada, la GRC et le SCRS disposaient d’information sur la présence de M. Atwal à des événements officiels devant se tenir dans le cadre du voyage du premier ministre en Inde, et qu’ils avaient communiqué cette information au CPM avant la tenue des événements en question.
75. À ces trois objectifs (gérer la crise, répondre aux questions des médias et protéger la réputation de trois organismes), le CSNR en a ajouté un quatrième, soit celui de contrer l’ingérence étrangère. Ainsi, il a déclaré le 1er mars :
L’ingérence étrangère, qu’elle vienne de simples citoyens qui agissent de leur propre chef ou qui bénéficient de l’appui de gouvernements étrangers, est de plus en plus observable. Ce qui nous intéresse ici, c’est que si un fonctionnaire impartial ne peut s’adresser aux médias pour les informer, par attribution indirecte et leur dire de faire preuve de prudence quant à l’information qu’ils publient, nous éliminons une des plus importantes lignes de défense contre l’ingérence étrangère Note de bas de page 104 . [traduction]
76. Dans son témoignage devant le Comité, le CSNR a répété que selon lui, le Canada se devait de « contrer » ces efforts concertés visant à publier de fausses informations au sujet des organismes gouvernementaux.
77. Pour sa part, le sous-ministre d’Affaires mondiales Canada partageait cet avis. En effet, il a déclaré dans une comparution distincte devant le Comité que selon lui, le fait que des autorités gouvernementales mettent le public en garde contre les fausses informations est un moyen légitime de se protéger contre l’ingérence étrangère Note de bas de page 105 .
78. Le CSNR a maintes fois répété, en public et devant le Comité, qu’il avait pris l’initiative de tenir des séances d’information à l’intention des journalistes. Il a aussi affirmé avoir consulté le CPM avant de donner les séances. Le Comité a pour preuve des courriels indiquant que le CSNR a communiqué avec plusieurs responsables du CPM avant de donner les séances, et le CSNR a lui-même affirmé durant son témoignage devant le Comité qu’il avait parlé au secrétaire principal du CPM, avant de donner les séances. Le Comité ne connaît pas la teneur de cet entretien.
Évaluation par le Comité des motifs invoqués par le CSNR pour tenir des séances d’information à l’intention des médias
79. Le Comité remet en question les raisons invoquées par le CSNR qui l’ont incité à tenir des séances pour les journalistes. Il est difficile, du point de vue de la sécurité et du renseignement, de trouver une explication rationnelle voulant qu’un reportage médiatique sur la présence de M. Atwal à l’événement à Mumbai, ainsi que sur sa possible présence à l’événement de Delhi, constitue une « crise » si, comme l’a affirmé le CSNR, la communauté de la sécurité et du renseignement du Canada avait déterminé que M. Atwal n’était pas une menace. L’importance accordée au fait de devoir répondre aux questions des médias n’est pas claire non plus. Les organismes concernés seraient mieux placés pour répondre au genre de questions que les médias avaient sur les vérifications de sécurité ou sur ce que savaient le SCRS, la GRC ou les Affaires mondiales Canada au sujet de M. Atwal. L’intervention du CSNR à cet égard semblait plutôt inédite : il a déclaré dans son témoignage qu’il était rare qu’il tienne des séances d’information pour les journalistes, et au moins un correspondant politique d’expérience a fait remarquer qu’il n’avait jamais vu ce type de séance d’information donnée par un si haut fonctionnaire Note de bas de page 106 . Les préoccupations du CSNR selon qui la réputation des « organismes publics respectés » était menacée sont compréhensibles. Toutefois, le Comité a appris que le CSNR n’a averti aucun haut dirigeant des Affaires mondiales Canada, de la GRC ou du SCRS qu’il avait l’intention de tenir une séance d’information à l’intention des journalistes, et chaque représentant de ceux-ci a nié, en témoignage, être préoccupé de torts à la réputation de leur organisme à ce moment-là ou après.
80. Le Comité trouve que le motif le plus convainquant invoqué par le CSNR pour justifier son intervention auprès des journalistes était son désir de contrer l’ingérence étrangère en « temps réel ». Le Comité fait toutefois remarquer que d’autres facteurs personnels, professionnels et contextuels ont contribué à sa prise de décision. Le CSNR s’était beaucoup investi dans la résolution des enjeux de sécurité que l’Inde entretenait à l’égard du Canda et du gouvernement du Canda afin que le voyage du premier ministre, en février 2018, soit un succès. Il était bien au courant de *** de l’Inde ***. Les articles « publiés stratégiquement » dans les médias avant la visite du premier ministre, et les préoccupations soulevées à répétition par les autorités indiennes au sujet de l’extrémisme et du séparatisme sikh, même après les nombreux efforts des autorités canadiennes, dont ceux du CSNR, visant à réfuter ces affirmations, s’inscrivent très bien dans le schème que celui-ci voyait se développer : une tentative concertée de « braquer tous les projecteurs » sur l’invitation envoyée à M. Atwal dans le but de mettre le gouvernement du Canda dans l’embarras. Comme le CSNR l’a dit dans son témoignage : *** [traduction]
Conclusions quant à l’utilisation du renseignement par le CSNR
Le Comité conclut :
C16
Qu’il ne peut pas tirer de conclusions quant aux mérites de la décision du CSNR de tenir une séance d’information « non officielle » à l’intention de journalistes canadiens. Cette décision a été prise dans des circonstances difficiles, et le CSNR a lui-même affirmé devant le Comité qu’il aurait dû tenir une séance « officielle » à l’intention des journalistes. Néanmoins, cette décision soulève d’importantes considérations :
- Certaines questions soulevées par la présence de M. Atwal aux événements en Inde auraient pu être mieux gérées par le Cabinet du premier ministre, notamment en ce qui concerne le fait de ne pas avoir procédé à un filtrage des invités.
- Dans la mesure où des allégations de manquement en ce qui concerne la sécurité ou l’échange d’information ont trait à des actions ou des erreurs d’organisations gouvernementales, ces allégations auraient dû être analysées et traitées par les organisations en question et non pas seulement par le CSNR.
- Le statut du CSNR à titre de l’un des plus hauts fonctionnaires de l’État et des principaux conseillers du premier ministre sur la sécurité et le renseignement et les efforts qu’il a déployés pour communiquer de l’information à titre « non officiel » aux médias ont donné encore plus de visibilité aux questions en jeu.
- Le CSNR n’a pas consulté les ministères et organisations responsables des aspects importants de la sécurité et des relations bilatérales avant de s’adresser aux journalistes. Cette décision a fait de lui la seule personne responsable de déterminer si l’information qu’il comptait communiquer était classifiée ou non et si ses commentaires auraient des répercussions sur les relations bilatérales du Canada, les enquêtes de sécurité ou les relations avec les organismes de sécurité indiens. Ces décisions relevaient plutôt des ministres ou des sous-ministres des ministères concernés.
C17
Que rien ne porte à croire que le CSNR se soit adressé aux journalistes à la suite d’une directive directe du Cabinet du premier ministre. Avant de s’adresser aux journalistes, le CSNR a consulté le Cabinet du premier ministre, qui lui a remis une liste de journalistes avec lesquels communiquer. Le statut du CSNR, à titre de conseiller principal du premier ministre, a sans doute contribué à la perception selon laquelle il essayait d’atténuer les critiques générales formulées à la suite du voyage du premier ministre en Inde.
C18
Que l’affaire Atwal ne mine pas la crédibilité et la réputation d’Affaires mondiales Canada, du SCRS et de la GRC.
Recommendations
R5
Le premier ministre devrait réexaminer le rôle du CSNR en ce qui concerne la lutte contre les menaces pour la sécurité du Canada. Le Comité a déjà formulé une recommandation relativement au rôle du CSNR quant ***. Le Comité fait remarquer que d’autres ministères et organismes gouvernementaux ont déjà le pouvoir, en vertu de la loi, de prendre des mesures afin de protéger le Canada contre les menaces pour sa sécurité. Il faudrait aussi préciser le rôle du CSNR par rapport à ces organismes.