Crime organisés d'envergure
Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Rapport annuel 2020

Aperçu

82. Dans son Rapport annuel 2018, le Comité a indiqué que les répercussions du crime organisé sont énormes et insidieuses. Les groupes du crime organisé mènent des activités criminelles traditionnelles, comme le trafic illégal de drogue, d'armes et de marchandises illicites; la traite de personnes; et les crimes financiers, comme la fraude, les activités de jeu illégales et la manipulation des marchés. Les activités illégales des groupes du crime organisé d'envergure continuent d'engendrer des coûts élevés pour la société et de présenter des risques importants pour le Canada. Au cours des deux dernières décennies, ces activités sont devenues de plus en plus complexes et recherchées. Toutefois, la nature de la menace n'a pas changé de façon marquée depuis 2018.

Description de la menace

83. Le crime organisé d'envergure demeure une menace importante pour la sécurité nationale. Les groupes du crime organisé continuent de mener des activités criminelles traditionnelles, comme le trafic illégal de drogue, d'armes et de marchandises illicites; la traite de personnes; et les crimes financiers, comme la fraude, les activités de jeu illégales et la manipulation des marchés. Les groupes du crime organisé se servent du blanchiment d'argent pour dissimuler les profits de leurs crimes et ont recours à de la violence extrême, y compris le meurtre, dans le cadre de leurs activités. De plus, au cours des deux dernières décennies, les activités de groupes du crime organisé d'envergure sont devenues de plus en plus complexes et recherchées. Note de bas de page 126 Les mêmes avancées technologiques qui ont permis d'accélérer la circulation de personnes, d'argent, d'informations et de marchandises ont également permis aux groupes du crime organisé de tisser des réseaux criminels complexes à l'échelle mondiale. Comme l'a souligné l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, ces réseaux ont fait en sorte que le crime organisé [traduction] « a prospéré, s'est diversifié et a élargi la portée de ses activités. Note de bas de page 127  »

84. Le crime organisé comprend de nouveaux secteurs d'activité : la cybercriminalité, le crime contre l'identité, le trafic de biens culturels et le trafic d'organes. Note de bas de page 128 Interpol a également souligné que « avec des revenus évalués en milliards de dollars, les activités des réseaux criminels se présentent comme celles de sociétés internationales légitimes. Elles s'appuient sur des modèles opérationnels, des stratégies à long terme, des hiérarchies, et même sur des alliances stratégiques, qui servent un seul et même but : générer le maximum de profits avec le minimum de risque. Note de bas de page 129  »

Le crime organisé au Canada

85. Au Canada, le crime organisé est omniprésent. Le Code criminel définit une organisation criminelle comme étant un groupe composé d'au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l'étranger dont l'un des principaux objectifs est de commettre ou de faciliter des infractions graves qui pourraient lui procurer un avantage matériel. Le Service canadien de renseignements criminels (SCRC) de la GRC a relevé plus de 1 850 groupes du crime organisé ayant sévi au Canada en 2019 Note de bas de page 130 ce qui représente une augmentation marquée par rapport à 2011, où on avait répertorié entre 700 et 900 groupes. Note de bas de page 131

86. La majorité des groupes recensés par le SCRS ne présentent pas une menace à la sécurité nationale et ne relèvent pas du mandat du Comité. Toutefois, le SCRS a déterminé que 14 groupes du crime organisé constituent une grande menace, c'est-à-dire qu'ils comportent des réseaux interprovinciaux; qu'ils possèdent, dans presque tous les cas, des connections internationales; qu'ils ont pénétré de multiples marchés criminels; et qu'ils ont recours à la violence pour servir leurs intérêts criminels. Note de bas de page 132 La définition des groupes représentant le plus haut niveau de menace selon le SCRS correspond à la définition des menaces pour la sécurité nationale selon le Comité, c'est-à-dire les menaces envers la sécurité du Canada telles qu'elles sont définies dans la Loi sur le SCRS ou une criminalité d'envergure ou de gravité nationale. Ces 14 organisations participent principalement au trafic de drogue et au blanchiment d'argent d'envergure, elles se servent de l'économie légale au profit de leurs intérêts criminels, et elles peuvent exercer leurs activités de l'étranger. Des 14 groupes répertoriés par le SCRS, 12 constituaient une menace modérée et sont devenues une grande menace au cours des cinq dernières années. Les deux autres groupes ont maintenu leur statut de grande menace et sont bien enracinés au Canada. De juillet 2018 à septembre 2020, la GRC a mené *** enquête(s) prioritaire(s) liée(s) au crime organisé grave transnational. Note de bas de page 133

Le crime organisé d'envergure au Canada: le commerce illégal de drogue

87. Le commerce illégal de drogue est la source de financement la plus lucrative pour les groupes du crime organisé au Canada. Note de bas de page 134 En 2018, plus de 90 % des groupes du crime organisé au Canada étaient impliqués dans au moins un marché de drogue illicite. Note de bas de page 135 Il est indiqué dans le rapport sur le crime organisé de 2019 du SCRS que les cinq groupes présentant une grande menace font partie des plus importants réseaux d'importation de cocaïne au Canada, et collaborent notamment avec les cartels de drogue du Mexique et de la Colombie. Ces groupes importent jusqu'à 1 000 kilogrammes de cocaïne au Canada par mois.

88. Selon le SCRS, le commerce illégal de drogue a pris de l'ampleur, surtout en ce qui a trait au fentanyl et à la méthamphétamine. Le marché illicite du cannabis a diminué depuis la légalisation du cannabis; et les groupes du crime organisé laissent l'héroïne de côté pour passer au fentanyl, surtout dans l'ouest du Canada. Note de bas de page 136 Cinq groupes du crime organisé présentant une grande menace font partie d'importants réseaux de méthamphétamine, ce qui comprend le détournement de produits chimiques non réglementés au Canada et l'importation de produits chimiques précurseurs de Chine et du Mexique pour la production de méthamphétamine et de fentanyl. Note de bas de page 137

Crime organisé d'envergure : blanchiment d'argent

89. Le blanchiment d'argent au nom du crime organisé représente la plus grande menace de financement illicite envers le Canada. Le gouvernement prévoit une augmentation du nombre d'activités de blanchiment d'argent au cours des prochaines années. Note de bas de page 138 Le blanchiment d'argent permet aux groupes du crime organisé d'envergure de blanchir leurs propres produits de la criminalité ou d'offrir le service à titre de fournisseur tiers à d'autres organisations criminelles. Il est indiqué dans le rapport sur le crime organisé de 2019 du SCRS qu'au moins quatre groupes qui constituent une grande menace fournissent des services de blanchiment d'argent à grande échelle au Canada pour les trafiquants de drogue internationaux. Les groupes du crime organisé mènent leurs activités de blanchiment d'argent par l'entremise de casinos, du système bancaire clandestin, des activités de jeu illégales (y compris les maisons de pari illicites et les sites Web d'activités de jeu illégales), des sociétés écran et des prête noms, du blanchiment d'argent par voie commerciale et des investissements immobiliers. Note de bas de page 139 L'intégration de recettes obtenues illégalement dans les marchés légaux compromet l'intégrité des systèmes financiers du Canada, altère les marchés, crée de l'instabilité et entraîne la corruption au sein de l'industrie et du gouvernement.

90. L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime que de 2 à 5 % du PIB mondial, ou entre 800 milliards et 2 billions de dollars américains, font l'objet de blanchiment d'argent dans le monde chaque année. Note de bas de page 140 Au Canada, l'estimation la plus élevée de fonds blanchis au pays s'élève à 100 milliards de dollars canadiens. Note de bas de page 141 Le blanchiment d'argent par des membres du crime organisé par l'entremise de casinos et du marché immobilier en Colombie-Britannique constitue l'exemple le plus connu et discuté publiquement au Canada. Note de bas de page 142 En 2018, le Groupe d'experts sur le blanchiment d'argent dans le secteur immobilier en Colombie-Britannique a estimé que 7,4 milliards de dollars avaient été blanchis dans la province, dont 5 milliards de dollars par l'entremise du marché immobilier. Note de bas de page 143 Les membres du groupe d'experts ont constaté que les fonds blanchis ont fait monter le prix des habitations d'environ 5 % dans l'ensemble de la province, rendant le marché de l'habitation inaccessible pour de nombreux segments de la population. Note de bas de page 144

91. Des augmentations semblables ont eu lieu au sein d'autres marchés immobiliers canadiens. Transparency International Canada estime que, entre 2008 et 2018, plus de 20 milliards de dollars sont entrés dans le marché immobilier de la région du Grand Toronto en dehors du régime législatif actuel et donc sans diligence raisonnable ou sans examen par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Cette estimation comprenait 9,8 milliards de dollars utilisés dans le cadre de transactions en argent comptant, et 10,4 milliards de dollars dans le cadre d'achats par des acheteurs commerciaux ayant recours à des prêteurs non réglementés qui mènent leurs activités en dehors du cadre de lutte contre le blanchiment d'argent au Canada. Note de bas de page 145 Il ne s'agit que d'un seul exemple de la manière dont les groupes du crime organisé distribuent leurs actifs et répartissent leurs transactions financières dans le but de limiter la détection de leurs activités criminelles et de se soustraire au cadre de lutte contre le blanchiment d'argent au Canada. Note de bas de page 146

92. Le blanchiment d'argent par voie commerciale constitue une question de plus en plus préoccupante pour le Canada. Le Groupe d'action financière, l'organisme international responsable d'établir les normes et les pratiques exemplaires mondiales en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroriste, définit le blanchiment d'argent par voie commerciale comme étant [traduction] « un processus visant à dissimuler les produits de la criminalité et à se servir de transactions commerciales pour écouler des montants dans le but de rendre légale leur origine illicite. Note de bas de page 147  » Selon le Groupe d'action financière, une méthode courante de blanchiment d'argent par voie commerciale implique une fausse déclaration sur le prix, la quantité ou la qualité des importations ou des exportations. Note de bas de page 148 On ne connait pas l'ampleur du blanchiment d'argent par voie commerciale au Canada, mais l’ASFC estime qu'il s'élève au moins à quelques centaines de millions de dollars, et que cette activité se produit principalement à Toronto, à Montréal et à Vancouver. Note de bas de page 149 Selon le renseignement, le blanchiment d'argent par voie commerciale est l'une des principales méthodes utilisées par les cartels de drogue du Mexique et de la Colombie. Note de bas de page 150

93. La GRC est chargée de mener les enquêtes sur des cas de blanchiment d'argent par voie commerciale. Toutefois, cette méthode de blanchiment d'argent n'est pas très connue ou comprise, donc peu de cas sont renvoyés à la GRC. Par exemple, CANAFE n'a pas de pouvoirs conférés par la loi pour la collecte d'informations sur les transactions liées aux renseignements sur le crédit documentaire, ce qui crée des lacunes quant à la capacité de l’ASFC et des organismes de l'application de la loi d'établir des liens entre du financement douteux et des transactions commerciales. En réponse, le gouvernement a créé le Centre d'expertise sur la fraude commerciale et le blanchiment d'argent par voie commerciale au sein de l’ASFC en avril 2020, qui est chargé de repérer et d'intercepter la fraude commerciale complexe et de mener des enquêtes à ce sujet, et de renvoyer les dossiers de blanchiment d'argent par voie commerciale à la GRC. Note de bas de page 151

Crime organisé d'envergure : pénétrer le marché legal

94. Les groupes du crime organisé participent activement à l'économie légale au profit du processus de blanchiment d'argent ou pour investir de l'argent soi-disant propre en vue de faire toujours plus de profits. En plus des activités criminelles variées susmentionnées, les groupes du crime organisé contrôlent des centaines d'entreprises de diverses industries, notamment les services alimentaires, le transport, la construction et le transport routier, la gestion immobilière, les finances et les prêts, les sociétés immobilières et les entreprises qui fonctionnent en argent comptant seulement. Note de bas de page 152 Dans son message pour le rapport final de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, France Charbonneau décrit clairement les défis liés au fait que le crime organisé s'incruste dans l'économie légale :

Les répercussions de ce flux d'argent illicite dans l'économie légale sont dévastatrices à long terme. Les entreprises infiltrées par le crime organisé sont souvent converties en coquilles vides, privant la société de retombées liées à leurs activités, car elles sont transformées en investissements stériles, qui ne servent qu'à des fins de blanchiment d'argent. La présence du crime organisé dans certains secteurs économiques décourage également les investisseurs. En s'immisçant dans l'économie légale, ces organisations criminelles blanchissent leur argent. Elles finissent par devenir intouchables alors que leur fortune est acquise illégalement par l'emploi de la violence [...] Note de bas de page 153

Pandémie de COVID-19

95. La pandémie a offert des possibilités aux groupes du crime organisé. La GRC indique que le maintien des restrictions à la frontière pourrait entraîner une augmentation de la demande pour des marchandises licites et illicites, et le crime organisé pourrait en profiter. Note de bas de page 154 La GRC souligne également une présence accrue des groupes du crime organisé sur le Web, surtout pour faciliter le trafic illégal de marchandises liées à la pandémie (c.-à-d. de l'équipement de protection individuelle, des masques et de l'équipement médical). Note de bas de page 155 l’ASFC estime que la pandémie a entraîné certains changements par rapport aux méthodes de contrebande des groupes du crime organisé, mais qu'il est peu probable que ces changements se traduisent en une diminution importante du trafic mondial de drogue au Canada au cours de la prochaine année. Selon l’ASFC, de petits groupes du crime organisé risquent d'être absorbés au sein de plus gros groupes, qui eux sont en mesure de s'adapter rapidement à l'évolution des restrictions liées à la pandémie. Note de bas de page 156

Principales conclusions

96. Le crime organisé d'envergure présente toujours une menace importante pour la sécurité nationale. On estime que les produits de la criminalité se chiffrent dans les milliards de dollars, ce qui représente une importante perte de revenus pour les gouvernements et pourrait être la source d'autres activités criminelles. Au-delà de ces coûts se trouvent les ramifications sociétales et financières du crime organisé : il sape la primauté du droit, menace la sécurité publique et mine nos institutions financières, légales, politiques et sociales.