Armes de destruction massive
Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Rapport annuel 2020

Aperçu

97. Dans son Rapport annuel 2018, le Comité a indiqué que les armes de destruction massive et la prolifération de matériel et de technologies à double usage constituent une menace pour la sécurité nationale. Ces armes peuvent causer des accidents de masse aveugles ainsi que des dommages économiques et environnementaux à long terme. La menace envers le Canada que posent ces armes et leur prolifération est demeurée la même au cours des deux dernières années. Toutefois, certaines tendances, décrites plus loin, pourraient influencer cette évaluation. Voici les grandes lignes de ces tendances: le régime mondial de désarmement nucléaire s'est affaibli depuis 2018, et l'utilisation continue d'armes chimiques par des acteurs étatiques ou non étatiques a porté atteinte aux normes internationales; et les avancées technologiques ont facilité l'accès au matériel à double usage ainsi que la conception et la livraison d'armes chimiques et biologiques. De plus, le Canada demeure une cible d'approvisionnement illicite et clandestin de technologies à double usage par plusieurs acteurs étatiques. En outre, la pandémie de COVID-19 a permis de découvrir d'importantes vulnérabilités en ce qui a trait aux économies de l'état, aux secteurs de la santé et aux systèmes d'intervention.

Description de la menace

98. La conception, l'utilisation et la prolifération d'armes de destruction massive constituent une menace pour la sécurité du Canada et de ses alliés. Les armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires peuvent causer des accidents de masse aveugles ainsi que des dommages économiques et environnementaux à long terme. Note de bas de page 157 La prolifération de matériel et de technologies pouvant faciliter la conception et l'utilisation de ces armes par des acteurs étrangers étatiques ou non étatiques, notamment les systèmes de livraison, les articles à double usage ainsi que leur propriété intellectuelle connexe, constitue une autre question préoccupante. Note de bas de page 158

99. Le désarmement et la non-prolifération des armes de destruction massive constituent une priorité pour l'Organisation des Nations Unies depuis sa création. Les traités internationaux visant à prévenir la prolifération des armes nucléaires, et, au bout du compte, à les éliminer complètement; de même que les conventions empêchant la conception, le transfert ou l'utilisation d'armes chimiques et biologiques, ont été acceptés presque à l'unanimité à l'échelle mondiale. Note de bas de page 159

100. Le Canada participe activement aux discussions concernant le désarmement à l'échelle internationale et a élaboré un cadre interministériel de lutte contre la prolifération en vue de prévenir l'acquisition, l'exportation ou le détournement d'articles préoccupants. Note de bas de page 160 Les entreprises canadiennes et les établissements de recherche contribuent activement aux secteurs de l'énergie nucléaire, de la biotechnologie et des produits chimiques, devenant ainsi des cibles pour les proliférateurs et autres acteurs malveillants. Note de bas de page 161 L'appareil de la sécurité et du renseignement tente d'éliminer la menace de prolifération en appliquant les lois visant à prévenir l'exportation de technologies à double usage, en examinant des investissements qui pourraient porter atteinte à la sécurité nationale et en menant des enquêtes sur des personnes ou des entreprises susceptibles de pratiquer des activités illicites dans ce domaine. La GRC *** enquête(s) sur cette question de juillet 2018 à septembre 2020. Note de bas de page 162 Pour la même période, le SCRS a mené une/des enquête(s) liée(s) aux armes de destruction massive faisant l'objet d'un mandat contre *** cible(s) et *** organisation(s). Note de bas de page 163

101. Le désarmement et la non-prolifération se sont avérés plutôt efficaces depuis la mise en place d'un régime de contrôle des armes qui encadre ces armes. Seulement quatre états se sont procuré des armes nucléaires depuis l'entrée en vigueur du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 1970; le nombre total d'ogives nucléaires dans le monde a diminué; et aucune arme nucléaire n'a été utilisée dans le cadre d'un conflit depuis 1945. Note de bas de page 164 Depuis que des conventions à ce sujet sont entrées en vigueur, aucune attaque d'envergure n'a été perpétrée à l'aide d'armes biologiques, et 96 % des réserves d'armes chimiques déclarées ont été éliminées. Note de bas de page 165 Toutefois, des tendances des dernières années laissent croire que la situation pourrait se renverser. Selon le Bureau du Conseil privé, la dégradation de cadres de contrôle des armes à l'échelle mondiale, l'élaboration de nouveaux systèmes d'armes par plusieurs états possédant des armes nucléaires, et le ciblage continu du Canada par des acteurs étatiques ou non étatiques en ce qui a trait aux technologies à double usage pour la conception de nouvelles armes sont toutes source de préoccupations. Note de bas de page 166

Armes nucléaires

102. Dans un article du Bulletin of the Atomic Scientists datant de janvier 2020, il est indiqué que [traduction] « le monde entier marche les yeux fermés vers un paysage nucléaire nouvellement instable. Note de bas de page 167  » Deux tendances importantes dans le domaine des armes nucléaires ont fait surface au cours des cinq dernières années : l'affaiblissement du régime de désarmement nucléaire et la détérioration du milieu de la sécurité nucléaire.

103. Le régime de désarmement nucléaire s'affaiblit pour plusieurs raisons. Premièrement, des ententes bilatérales en matière de contrôle des armes à long terme entre les deux plus grandes puissances nucléaires, les États-Unis et la Russie, sont en jeu. Les États-Unis se sont retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 2019 après avoir prétendu que la Russie avait enfreint le Traité. La seule entente bilatérale en matière de contrôle des armes toujours en vigueur entre les deux pays, l'accord New Strategic Arms Reduction (New START Treaty), vient à expiration en 2021, et son renouvellement est incertain. Note de bas de page 168 Deuxièmement, les négociations au sujet du désarmement avec la Corée du Nord ont atteint un point mort, et le retrait unilatéral des États-Unis du Plan d'action global commun (PAGC), une entente multilatérale visant à limiter la capacité de l'Iran à développer des armes nucléaires, a incité l'Iran à reprendre certaines activités auparavant restreintes de son programme nucléaire. Note de bas de page 169 Enfin, il y a peu de progrès en matière de désarmement nucléaire par les états possédant une arme nucléaire. Le nombre d'ogives nucléaires dans le monde a diminué, mais les états possédant une arme nucléaire continuent de moderniser leurs systèmes d'armes, et ils ont de mauvais antécédents en ce qui a trait au respect des engagements en matière de désarmement qu'ils ont pris lors de conférences d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Note de bas de page 170 Cette faible cadence a entraîné une frustration de plus en plus marquée chez les états qui ne possèdent pas d'armes nucléaires et un fossé de plus en plus grand entre les deux groupes, ce qui compromet possiblement le régime mondial de désarmement dans son ensemble. Note de bas de page 171

104. Les organisations faisant partie de l'appareil de la sécurité et du renseignement ont attiré l'attention sur la modernisation continue des systèmes de missiles. Selon le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes (MDN/FAC), la Chine demeure au premier rang de la mise à l'essai et de la conception de missiles balistiques, tandis que la Corée du Nord, l'Iran et la Russie ont gardé un rythme stable pour la mise à l'essai de missiles durant la même période. Note de bas de page 172

105. La menace envers le Canada liée à l'utilisation d'armes nucléaires provient seulement de la Russie et de la Chine, qui envisageraient probablement de frapper des cibles canadiennes dans un conflit nucléaire avec les États-Unis. Le MDN/FAC estime que même si les deux pays poursuivent la modernisation de leur arsenal nucléaire, leurs principaux objectifs stratégiques demeurent d'empêcher une attaque nucléaire ou une attaque traditionnelle de grande importance. Note de bas de page 173 Les capacités nucléaires et de missiles de la Corée du Nord ont augmenté depuis 2018 et le pays ne cesse de développer ses capacités de frapper les États-Unis. Même si les activités nucléaires de l'Iran suscitent des préoccupations, [*** La phrase suivante a été revue pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Elle décrit une évaluation du MDN/FAC. ***]

106. La possibilité que des groupes terroristes acquièrent des armes nucléaires ne préoccupe pas l'appareil de la sécurité et du renseignement. Le SCRS estime que, [*** Deux phrases ont été revues pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Elles décrivent une évaluation du SCRS. ***] Note de bas de page 175 *** Note de bas de page 176 Dans un contexte de sécurité nucléaire et radiologique, l'Agence internationale de l'énergie atomique a enregistré plus de 450 incidents de contrebande ou de possession non autorisée de matériel nucléaire (pas des armes) et plus de 700 incidents impliquant le vol ou la perte de matériel nucléaire depuis les années 1990. Note de bas de page 177 L'indice de sécurité des matières nucléaires de 2020 de l'Initiative contre la menace nucléaire indique que les progrès en matière de sécurité nucléaire à l'échelle mondiale ont [traduction] « considérablement ralenti » depuis 2018 et que les lacunes qui persistent en matière de sécurité rendent le matériel ou les installations nucléaires vulnérables face à la menace et au sabotage. Note de bas de page 178 Des experts ont également soulevé des préoccupations en ce qui a trait au risque que des cyberattaques soient dirigées contre des installations nucléaires. Cependant, dans le contexte canadien, la Commission canadienne de sûreté nucléaire indique que toutes les installations nucléaires exerçant des activités au Canada respectent des règles strictes en matière de cybersécurité et font régulièrement l'objet d'examens et d'inspections visant à assurer leur conformité continue. Note de bas de page 180

Armes chimiques

107. Un autre risque touche l'affaiblissement des normes relatives à l'utilisation d'armes chimiques. Au cours de la dernière décennie, on s'est servi d'armes chimiques à répétition dans le cadre de conflits et d'assassinats ciblés. Durant la guerre civile en Syrie, l'équipe de mission d'enquête conjointe de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et des Nations Unies a découvert que des armes chimiques avaient été utilisées à maintes reprises par des acteurs étatiques ou non étatiques depuis 2013. Note de bas de page 181 Le MDN/FAC estime que le régime syrien a employé à de nombreuses reprises des armes chimiques depuis l'ouverture d'hostilités et que Daech a utilisé des substances chimiques *** en Syrie, *** Note de bas de page 182 L'utilisation d'armes chimiques dans le cadre d'assassinats ciblés au cours des trois dernières années, malgré l'imposition de sanctions et de condamnations internationales, compromet également les normes interdisant l'utilisation de ces armes. Note de bas de page 185 En février 2017, le gouvernement de la Corée du Nord a ordonné l'assassinat de Kim Jong-nam, le frère du dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jang-un, au moyen de l'agent neurotoxique VX en Malaisie. Note de bas de page 184 En mars 2018, des agents de renseignement russe ont empoisonné l'ancien espion russe Sergeï Skripal et sa fille loulia au moyen d'un agent neurotoxique à Salisbury, au Royaume-Uni. Note de bas de page 185 En août 2020, des agents de renseignement russes ont empoisonné le chef de l'opposition russe Alexei Navalny avec un agent neurotoxique de la même catégorie en Russie. Note de bas de page 186

108. La prolifération d'armes chimiques constitue une autre préoccupation. Selon l'Initiative contre la menace nucléaire, les armes chimiques représentent [traduction] « l'arme de destruction massive dont l'utilisation et la prolifération sont les plus importantes. Note de bas de page 187  » Certaines substances servant à la conception d'armes chimiques ont des utilisations légitimes et sont hautement réglementées. Cependant, les avancées technologiques de la dernière décennie, y compris les technologies et les chaînes d'approvisionnement qui peuvent faciliter la livraison de matériel et d'armes chimiques, pourraient nuire aux futurs efforts de lutte contre la prolifération. Note de bas de page 188 Le SCRS laisse entendre que de récents incidents liés à l'utilisation d'armes chimiques ont permis de sensibiliser et d'informer le public concernant ces armes, et pourraient donc changer le contexte de la menace en matière d'armes chimiques. Note de bas de page 189 Des chercheurs ont mentionné que des groupes terroristes comme al-Qaïda ont cherché à obtenir des armes chimiques, et l'équipe de mission d'enquête conjointe de l'OIAC et des Nations Unies a découvert des situations où le groupe Daech s'est servi d'armes chimiques en Syrie. Note de bas de page 190 Le SCRS estime [*** Deux phrases ont été revues pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Elles décrivent une évaluation du SCRS des risques associés aux groupes terroristes et la prolifération. ***] Note de bas de page 191 *** Note de bas de page 192

Armes biologiques

109. Des préoccupations semblables ont été soulevées quant à la prolifération d'armes biologiques et à la capacité des pays d'intervenir face à une attaque biologique de grande envergure. Note de bas de page 193 En mars 2020, le secrétaire général des Nations Unies a donné un avertissement par rapport au fait que les [traduction] « avancées scientifiques réduisent les barrières techniques qui auparavant limitaient le potentiel des armes biologiques. Note de bas de page 194  » Cette préoccupation a été confirmée dans le Bulletin of the Atomic Scientists : [traduction] « les technologies en matière de biologie synthétique et de génie génétique sont maintenant moins coûteuses et plus faciles à obtenir, et elles se répandent rapidement. Note de bas de page 195  » Même si ces technologies ont des utilisations légitimes, elles peuvent aussi servir à l'utilisation d'armes biologiques. La Convention sur les armes biologiques n'a aucun mécanisme de vérification officiel à sa disposition. Même si aucun pays n'affirme posséder un programme de guerre biologique, le MDN/FAC est d'avis que des pays spécifiques maintiennent de tels programmes *** Note de bas de page 196 Le secrétaire général des Nations Unies a souligné l'importance de renforcer la capacité des états d'intervenir en cas d'attaque biologique s'il n'est pas possible de la prévenir. Note de bas de page 197 Les défis auxquels plusieurs pays font face pour prendre des mesures à l'égard de la pandémie mondiale de COVID-19 donnent à penser que leur capacité d'intervenir en cas d'attaque biologique de grande envergure est limitée.

Technologies à double usage

110. Selon le SCRS, le Canada demeure une cible pour l'approvisionnement illégal et clandestin ainsi que le transfert de technologie *** Note de bas de page 198 [*** Le paragraphe a été revu pour supprimer de l'information préjudiciable ou privilégiée. Il décrit des évaluations du SCRS des méthodes et des objectifs d'un état ainsi que des préoccupations découlant des nouvelles technologies. ***] Note de bas de page 199 *** Note de bas de page 200 *** Note de bas de page 201

Pandémie de COVID-19

111. La pandémie de COVID-19 n'a pas eu de répercussions importantes sur la menace que représentent les armes de destruction massive. Par contre, la pandémie de COVID-19 a révélé des faiblesses notables des secteurs de la santé et des systèmes d'intervention.

Principales conclusions

112. Le contexte de la sécurité entourant les armes de destruction massive n'a connu aucune amélioration depuis 2018. Le régime de contrôle des armes nucléaires a subi des revers importants au cours des deux dernières années. L'utilisation de ces armes par des acteurs étatiques ou non étatiques dans le cadre de conflits et d'assassinats ciblés a compromis les normes internationales à long terme contre l'utilisation d'armes chimiques. Les armes biologiques sont rarement utilisées, mais le régime de vérification est faible, et les défis découlant de la pandémie de COVID-19 laissent croire que la capacité des états d'intervenir est limitée. L'accessibilité au matériel chimique et biologique ainsi que la prolifération des technologies à double usage préoccupent particulièrement le Canada.