Chapitre 4 : Activités liées a la sécurité nationale et au renseignement
Activités liées au renseignement dirigees par Affaires mondiales Canada
Rapport spécial sur les activités d’Affaires mondiales Canada en matière de sécurité nationale et de renseignement

122. AMC mène bon nombre de ses activités liées à la sécurité et au renseignement en vertu de la prérogative de la Couronne et de l'autorité que le ministre exerce sur le réseau mondial du Ministère. La section qui suit examine les activités menées par AMC qui sont ou bien exécutées intégralement par le Ministère ou bien menées sous la direction de celui-ci. Dans un premier temps, la présente section aborde les activités du Ministère sur le plan de la collecte et de l'évaluation des renseignements, lesquelles nécessitent la production de rapports diplomatiques spécialisés de la part de son réseau mondial de missions, et la réalisation d'évaluations de la menace envers le personnel et les biens gouvernementaux à l'étranger. Ensuite, elle décrit les activités qu'AMC mène dans la sphère de la sécurité nationale et qui ont pour objet de « repousser la frontière », et ce, par l'intermédiaire des programmes internationaux de sécurité. Enfin, elle présente le rôle du Ministère dans la réponse aux incidents liés à la sécurité nationale à l'étranger, les leçons apprises d'incidents antérieurs et deux études de cas sur la prise de Canadiens en otage par des terroristes.

Activités liées au renseignement dirigées par Affaires mondiales Canada

123. Les renseignements orientent un large éventail d'activités ministérielles, allant de la gestion des relations bilatérales à la promotion et à la protection des intérêts du Canada à l'étranger274. Étant donné le rôle essentiel que jouent lesrenseignements au sein de ses activités, AMC est un élément central des priorités de collecte de renseignements du gouvernement et l'un des plus grands consommateurs de renseignements au gouvernement275. Grâce à son réseau de missions à l'étranger, AMC est aussi un important agent de collecte et évaluateur de renseignements. Ses activités de collecte se restreignent presque totalement aux rapports diplomatiques privilégiés, qui s'étendent des rapports habituels politiques et économiques jusqu'aux rapports spécialisés sur les enjeux en matière de sécurité et de renseignement 276. En ce qui concerne les activités d'évaluation du renseignement d'AMC, elles se concentrent sur l'évaluation des menaces pour les missions et le personnel du Canada à l'étranger. La prochaine section examine les activités de collecte et d'évaluation en matière de renseignement du Ministère, et met l'accent sur les pouvoirs, le contexte et la gouvernance entourant ces activités.

Activités de collecte de renseignements d'AMC

124. Le Comité définit le renseignement comme étant les activités demandant l'utilisation de sources ou de méthodes sous couverture, secrètes ou privilégiées. Les activités de collecte de renseignements d'AMC se limitent aux rapports diplomatiques privilégiés sur les enjeux en matière de sécurité et de renseignement et à la liaison avec des pays en particulier. Les pouvoirs du Ministère pour recueillir ce type de renseignements découlent des pouvoirs du ministre conférés par la prérogative de la Couronne. Les rapports diplomatiques et les renseignements étrangers font partie intégrante des activités diplomatiques et sont essentiels pour appuyer les responsabilités du ministre concernant les relations étrangères énoncées à l'article 1O de la Loi sur le MAECD277. Les activités d'AMC sont entreprises à visage découvert et font partie des rapports diplomatiques courants. AMC mène ces activités liées aux rapports conformément à l'article 3 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui définit l'une des fonctions d'une mission diplomatique comme étant de s'informer « par tous les moyens licites des conditions et de l'évolution des événements dans l'État accréditaire et faire rapport à ce sujet au gouvernement de l'État accréditant » 278.

Programme des agents de liaison du renseignement

125. Les agents de liaison du renseignement (ALR) d'AMC représentent l'appareil de la sécurité et du renseignement du Canada dans les capitales alliées clés de Washington, de Londres, de Canberra ***. Le programme des ALR a vu le jour en 1946, lorsque des ministères non militaires se sont joints au Comité mixte du renseignement du Canada 279. À l'époque, le Comité mixte du renseignement était responsable de l'orientation et de la planification stratégiques des moyens du Canada en matière de renseignement et servait de point central de liaison pour les comités homologues dans les capitales du Groupe des cinq. Au début des années 1950, des diplomates du Ministère ont été affectés comme agents de liaison du Comité mixte du renseignement à Washington et à Londres pour améliorer cette fonction de liaison 280. En 1972, la réorganisation du Comité mixte du renseignement a donné naissance au Comité consultatif des renseignements, et le rôle de l'agent de liaison a été élargi pour ajouter un poste à Canberra. ***.

126. Depuis son apparition, le rôle de l'ALR a évolué. Au départ, l'ALR servait de point de contact principal pour les organisations de la sécurité et du renseignement des alliés les plus proches du Canada. Au fil du temps, les relations bilatérales entre les organisations homologues se sont développées et l'ALR a assumé un rôle plutôt axé sur la coordination et la liaison avec les homologues chargés des politiques et de l'évaluation du renseignement. Le Secrétariat de la sécurité et du renseignement d'AMC et du BCP gère actuellement le programme des ALR, même si le Ministère fournit les fonds et le personnel pour les postes 281. Les principales responsabilités d'un ALR sont d'échanger des informations avec les groupes chargés des politiques et de l'évaluation du renseignement du pays hôte, de surveiller les priorités en matière de renseignement et les faits nouveaux sur le plan des politiques liées à la sécurité nationale du pays hôte et d'en faire rapport, et de coordonner les activités d'autres représentants de la sécurité et du renseignement basés dans une mission 282. Les ALR jouent aussi un rôle important dans la promotion des contributions du Canada à l'alliance du Groupe des cinq et donnent à l'appareil de la sécurité et du renseignement une perspective stratégique sur les avancées dans les capitales de pays alliés283.

127. Le rôle de l'ALR change selon le pays. L'ALR à Washington gère la relation du Canada avec le Bureau du renseignement et de la recherche du département d'État des États-Unis, la direction de l'Analyse de la CIA et le Conseil national du renseignement. L'ALR à Londres représente le Canada au comité mixte du renseignement du Royaume-Uni, qui est l'organisation responsable de l'évaluation et de la coordination du renseignement, et fait la liaison avec l'Organisation mixte du renseignement, le secrétariat à la sécurité nationale du Bureau du Cabinet, et le Research Analyst Group du Bureau des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement. À Canberra, l'ALR gère le dialogue avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et ses principaux interlocuteurs sont le bureau national du renseignement et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce de l'Australie, ainsi que le Bureau national d'évaluation et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce de la Nouvelle-Zélande. ***284

128. Aucune politique ou procédure ne régit le programme des ALR, qui n'est pas non plus assujetti aux exigences habituelles d'examen ou d'établissement de rapports. Les documents que le Comité a reçus sur ce programme étaient composés entièrement de descriptions de poste pour chaque mission. Le rôle de coordination des ALR dans les missions n'est pas officialisé dans des procédures écrites ou par l'entremise de structures de comité officielles. Il comprend plutôt des communications fréquentes avec des partenaires de la sécurité et du renseignement dans les missions pour échanger des informations et gérer les visites de hauts représentants canadiens. Le programme n'a jamais fait l'objet d'une évaluation ou d'un audit interne visant à établir son rendement, et le Ministère n'a pas mis en place d'exigences en matière d'établissement de rapports pour le ministre sur les activités du programme 285.

Programme d'établissement de rapports sur la sécurité mondiale

129. Le Programme d'établissement de rapports sur la sécurité mondiale (PERSM) est un programme d'établissement de rapports diplomatiques spécialisés visant à recueillir des informations sur la sécurité et la stabilité dans des pays précis par l'entremise de moyens diplomatiques ouverts. Après la Guerre froide, de moins en moins de rapports sur les enjeux de sécurité dans les pays et régions représentant un intérêt stratégique pour le Canada étaient produits. Puis, en 2002, le gouvernement a créé le PERSM pour accroître la capacité du Ministère de présenter ce genre de rapport286. Au départ, les fonds ont été obtenus par l'entremise de l'Initiative Sécurité publique et antiterrorisme, un effort gouvernemental d'ensemble visant à accroître la capacité fédérale de renforcer les moyens liés à la sécurité, à la surveillance et à la lutte internationale contre le terrorisme dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre 2001287. Dans les décennies qui ont suivi, le PERSM a grandi. En effet, il est passé de 11 postes en 2002 à 31 en 2021, assurant une couverture d'établissement de rapports dans les Caraïbes, l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud, le Moyen-Orient, l'Afrique, l'Asie de l'Est et l'Asie du Sud-Est288. Même si les rapports du programme sont toujours axés sur la sécurité et la stabilité, son mandat s'est aussi élargi et comprend maintenant des rapports sur les menaces pour les missions et le personnel de mission289. La Direction d'analyses et de rapports de renseignement gère le programme et dispose d'un budget annuel de 1 M$ pour mener ses opérations290.

130. Les agents du PERSM sont des diplomates accrédités et déclarés dont la responsabilité primaire est de recueillir des informations ouvertement par l'entremise de réseaux de contacts gouvernementaux et non gouvernementaux au sujet de priorités en matière de renseignement qui ne sont pas couvertes par d'autres membres de l'appareil de la sécurité et du renseignement 291. Ils doivent consacrer 90 pour cent de leur temps à la rédaction de rapports basés sur une source unique et qui s'appuient sur des entretiens avec des contacts locaux, y compris des représentants du gouvernement, des journalistes, des universitaires et des militants. Les rapports du PERSM sont diffusés au sein de l'appareil de la sécurité et du renseignement et des membres du Groupe des cinq. 292 Les agents du PERSM ne recrutent pas de sources et ne font pas miroiter d'argent, de service ou de promesse en échange d'informations293. D'après une évaluation interne réalisée en 2018, les partenaires nationaux et alliés tiennent en haute estime les rapports du PERSM et les décrivent comme étant [traduction] « un produit d'une valeur unique qui répond à un besoin bien précis de l'appareil de la sécurité et du renseignement294. »

131. La gouvernance du PERSM a évolué depuis sa création en 2002. Afin de répondre aux recommandations d'une évaluation de 2008, le programme a mis sur pied un comité interministériel pour fournir une orientation et une surveillance au programme et assurer sa conformité aux priorités en matière de renseignement295. En 2010, le Ministère a établi un cadre de gestion du rendement doté de normes de rendement s'appuyant sur le nombre de rapports produits, les échéanciers de ces rapports et la satisfaction des clients296. En 2012, le programme a élaboré le Global Security Reporting Handbook, énonçant les principes directeurs du programme et le processus d'établissement des rapports, et dictant les méthodes d'entretien.297 Le Cadre de responsabilisation de gestion du programme, mis à jour en 2016, expose de façon plus détaillée la structure de gouvernance et de responsabilisation du programme dans les missions à l'étranger et à l'Administration centrale298. Le programme est assujetti à la Politique sur les résultats du Conseil du Trésor. Par conséquent, la pertinence et le rendement du programme ont fait l'objet d'évaluations internes en 2008, en 2013 et en 2018. La dernière évaluation indiquait que l'une des priorités à venir du programme est d'accroître la gouvernance et la spécialisation des agents299.

132. En 2020, l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) a mené un examen du PERSM. Pour éviter les chevauchements, le Comité ne s'est pas penché davantage sur le programme au-delà de ce dont le présent rapport fait état. Cela dit, plusieurs conclusions qu'a tirées l'OSSNR rejoignent les conclusions du Comité relativement à certains aspects, notamment en ce qui concerne les structures de gouvernance et d'autorisation, la surveillance, les évaluations des risques et l'harmonisation €iVec les autres organisations fédérales. 300 Le Comité pourrait se pencher sur ce programme au titre de son propre mandat en temps opportun.

Activités de l'évaluation du renseignement d'AMC

133. La Direction générale du renseignement mène des évaluations du renseignement liées aux menaces pour les missions, le personnel et les biens à l'étranger pour appuyer les délibérations politiques de hauts dirigeants et des ministres. Elle travaille aussi à la protection du réseau de communications hautement classifié du Ministère. La prochaine section survole ces responsabilités.

134. AMC gère plus de 175 missions dans 110 pays. Dans le cadre de ses responsabilités de gestion, le Ministère a une obligation de diligence à l'endroit de tout le personnel du Canada et de leurs personnes à charge 24 heures sur 24, ainsi que le personnel embauché localement pendant les heures de travail301. La Direction générale du renseignement d'AMC surveille l'information classifiée et dans les sources ouvertes afin de cerner et d'évaluer les menaces pour les missions canadiennes 302. La Direction générale du renseignement produit des évaluations de la menace annuelles, bisannuelles ou triennales, selon le niveau général de menace pour la mission, qui servent de point de référence pour plus de 175 missions303. Ses évaluations examinent les menaces pour le personnel diplomatique, les biens et l'information dans six catégories : la criminalité, les troubles civils, le terrorisme et l'extrémisme, le conflit armé, l'espionnage, et les catastrophes naturelles304. Les évaluations mesurent la fréquence et la sévérité des événements qui pourraient avoir des répercussions sur la zone entourant la mission, et les comparent à ce à quoi les représentants pourraient s'attendre dans la région de la capitale nationale. On attribue à chaque catégorie de menace une cote d'évaluation de la menace allant de faible à critique, et l'on évalue chaque catégorie en comparaison aux dangers possibles pour le personnel, les biens et l'information305. Depuis 2019, la Direction générale du renseignement prépare aussi un large éventail d'évaluations du renseignement et d'autres produits d'analyse pour appuyer les délibérations politiques des hauts dirigeants et informer les ministres.

135. La responsabilité de la protection du réseau mondial des missions du Canada incombe à l'agent de sécurité du ministère du Secteur des services consulaires, de la sécurité et de la gestion des urgences. Toutefois, la Direction générale du renseignement joue un rôle important dans l'élaboration des évaluations du risque et la protection des missions reliées au Réseau canadien Très secret (RCTS). À l'heure actuelle, *** missions ont accès à ce réseau306. En 2017, AMC a créé une direction au sein de la Direction générale du renseignement responsable de la gestion des communications hautement classifiées dans les missions à l'étranger307. La Direction de l'accès au renseignement et des contre-mesures collabore étroitement avec le CST pour accréditer et protéger les zones de sécurité SIGINT (ZSS). Cette direction est chargée de la sécurité de l'infrastructure des communications Très secret à Ottawa et dans les missions à l'étranger, et son équipe d'analyse se spécialise dans les produits de la menace et d'information ciblant la sécurité et l'intégrité des zones de sécurité SIGINT d'AMC308.