Chapitre 6 : Questions thématiques — Recrutement et formation au sein de la Police fédérale
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada
Recrutement et formation au sein de la Police fédérale
137. Les méthodes de la Police fédérale entourant le recrutement et la formation dépendaient, jusqu’à récemment, des grandes stratégies de la GRC, qui soutiennent principalement le mandat de la Police contractuelle. D’ordinaire, la Police fédérale ne fait pas son recrutement directement à la Division Dépôt, car la formation qui y est donnée se concentre presque exclusivement sur les services généraux de police et souvent les recrues ne possèdent pas l’expérience et les connaissances nécessaires pour travailler au mandat de la Police fédérale Note de bas de page 231 . Dans le cadre des enquêtes fédérales, les enquêteurs doivent employer la pensée critique et des compétences en recherche et en analyse lorsqu’ils traitent les dossiers complexes sur les menaces les plus importantes pour le Canada et sa population Note de bas de page 232 . Les dossiers des enquêtes fédérales peuvent demander des connaissances spécialisées, se dérouler sur plusieurs années et comprendre une coordination avec des partenaires de l’application de la loi de différentes administrations, y compris à l’échelle internationale Note de bas de page 233 . Par conséquent, la Police fédérale recrute principalement des membres réguliers chevronnés au sein de l’ensemble de la GRC. En moyenne, les membres réguliers se joignent au programme de la Police fédérale après avoir travaillé 10 ans au sein de la Police contractuelle Note de bas de page 234 . Cette expérience donne aux nouvelles recrues de la Police fédérale les connaissances et une expertise des enquêtes complexes qui s’appliquent à la Police fédérale.
138. La Police fédérale a récemment signalé que cette méthode de recrutement n’appuie pas suffisamment le mandat fédéral Note de bas de page 235 . L’une des difficultés est simplement une question de nombres. Comme susmentionné, le programme de la Police fédérale connaît une baisse continue dans le nombre de policiers travaillant au mandat fédéral en raison de pressions financières et de difficultés de dotation plus générales à la GRC. Une autre difficulté se trouve à l’interne. Il n’existe aucune voie de recrutement pour la transition entre les mandats; les membres réguliers manifestent simplement leur intérêt à joindre la Police fédérale ou posent leur candidature à des postes à l’interne. Il n’y a pas non plus de parcours de carrière de la Police contractuelle à la Police fédérale; les membres réguliers demandent eux-mêmes une mutation et reviennent souvent au mandat de la Police contractuelle en raison du plus grand nombre de possibilités d’avancement Note de bas de page 236 . Enfin, la Police fédérale a éprouvé des difficultés à acquérir toutes les aptitudes, les compétences universitaires et l’expérience nécessaires pour mener des enquêtes de plus en plus complexes et spécialisées dans le contexte moderne de la menace criminelle.
139. Le programme de la Police fédérale met actuellement en œuvre trois nouvelles initiatives pour répondre aux défis de recrutement. La première est l’Initiative des policiers à la retraite. Lancée en 2019, cette initiative sert à amener le talent existant et qualifié vers la Police fédérale et comporte habituellement des contrats à court terme avec des agents de police récemment partis à la retraite Note de bas de page 237 . La Police fédérale a embauché 10 policiers depuis les débuts du plan et n’a fixé aucun objectif en matière de recrutement pour l’avenir. La deuxième est l’Initiative des policiers d’expérience dans le cadre de laquelle la GRC souhaite embaucher des personnes d’autres services de police et de la police militaire.
140. La troisième initiative, et la plus grande, est l’Initiative sur les enquêteurs civils. Le programme de la Police fédérale a déterminé que les enquêteurs civils pouvaient apporter une solution à la pénurie de membres réguliers. Lancée en 2021, l’initiative visait d’abord à attirer des membres civils ayant une expertise se rapportant aux enquêtes sur la cybercriminalité et la criminalité financière, et prévoyait de s’étendre à d’autres secteurs du mandat fédéral par la suite Note de bas de page 238 . Ces enquêtes ne demandent pas de formation de base sur les services de police (comme les armes à feu), et les membres civils seraient formés dans la rédaction de plans opérationnels et d’autorisations judiciaires pour l’introduction clandestine ou l’écoute électronique. Ces secteurs demandent aussi une formation et des études spécialisées, dans des domaines comme l’informatique et la juricomptabilité, que des membres civils peuvent avoir suivies (voir l’étude de cas no 2 ci-dessous). L’objectif premier de l’initiative était d’embaucher 35 enquêteurs civils qui travailleraient aux enquêtes sur la cybercriminalité et la criminalité financière dans les quatre divisions où se déroule la majorité des enquêtes fédérales : le Québec, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique Note de bas de page 239 . Depuis le lancement du plan en 2021, la Police fédérale a embauché 25 personnes, dont 13 qui travaillaient déjà pour la GRC Note de bas de page 240 . Le programme de la Police fédérale veut augmenter le nombre d’enquêteurs civils pour qu’ils représentent 30 % de l’effectif de la Police fédérale d’ici les 10 à 15 prochaines années Note de bas de page 241 .
141. La Police fédérale reconnaît que cette initiative peut soulever des défis sur le plan culturel. Elle a fait remarquer que les membres réguliers pourraient ne pas accueillir l’intégration d’enquêteurs civils au sein des groupes fédéraux, puisque ce sont habituellement les agents de police qui s’occupent des enquêtes. Les membres réguliers ont aussi soulevé des préoccupations quant à la possibilité que les enquêteurs civils leur enlèvent des postes d’agents de police et des possibilités d’avancement Note de bas de page 242 . La Fédération de la police nationale, le syndicat représentant les membres réguliers de la GRC, a déclaré que la GRC doit disposer des fonds nécessaires pour continuer de former les nouvelles recrues et de perfectionner les compétences des membres d’expérience. Elle a ajouté que la meilleure façon de maintenir les normes de service et de s’assurer que l’effectif est suffisant pour la charge de travail en tout temps était de rendre attrayante la carrière de policier Note de bas de page 243 .
142. La Police fédérale a déterminé que le modèle actuel de formation ne convenait pas aux exigences actuelles en matière d’enquête. Par le passé, la GRC comptait sur le fait que les membres réguliers gagnaient de l’expérience d’enquête sur le terrain plutôt qu’en suivant des formations Note de bas de page 244 . La Police fédérale approfondit cette expérience par des formations spécialisées qui préparent les personnes aux enquêtes fédérales Note de bas de page 245 . Un membre régulier qui se joint à la Police fédérale doit suivre des cours sur les sujets touchant les enquêtes auxquelles il participera Note de bas de page 246 . De plus, d’autres cours spécialisés sont offerts autant que possible. Par exemple, les membres réguliers qui participent à des enquêtes sur la sécurité nationale doivent suivre un cours de cinq jours sur la sécurité nationale; parmi les cours optionnels offerts, on compte des segments spécialisés du financement des activités terroristes et l’évaluation du risque d’extrémisme violent.
143. L’approche du mandat de la Police fédérale à la formation comporte des problèmes. En 2021, toutes les formations de la Police fédérale sur les enquêtes, le renseignement et les opérations clandestines étaient désuètes, et les programmes n’arrivaient pas à suivre les nouvelles menaces criminelles, les recommandations des audits et des examens, ou les changements dans les lois Note de bas de page 247 . De plus, la gouvernance de la formation dépend en grande partie des groupes de formation de différentes provinces, dont bon nombre possèdent leurs propres budgets et priorités en matière de formation. Donc, la formation offerte aux employés de la Police fédérale n’est pas uniforme et fluctue selon la région où ils se trouvent au Canada. La GRC a aussi fait remarquer que [traduction] « cette approche décentralisée entraîne une duplication des efforts, des problèmes de ressourcement, des écarts dans les budgets de formation, une élaboration et une prestation ponctuelles de la formation et un manque de surveillance nationale et de responsabilisation de l’ensemble du programme de formation de la Police fédérale Note de bas de page 248 ».
144. En réponse, la Police fédérale a examiné plusieurs solutions à ses difficultés en matière de formation. En 2021, la Police fédérale a élaboré une proposition pour créer une école de formation de la Police fédérale. La proposition aurait mis en place une approche plus structurée de la formation aux membres dans l’ensemble du pays. De plus, les stagiaires auraient accès à un programme de formation uniforme et à jour. Ce programme serait conçu pour bâtir les connaissances et les compétences en matière d’enquête nécessaires pour mener des enquêtes fédérales. Après leur formation générale, les recrues pourraient suivre une formation avancée dans leurs domaines de spécialisation (p. ex., la sécurité nationale, la criminalité financière et l’exécution de la loi aux frontières) Note de bas de page 249 . Les membres réguliers seraient également recrutés directement au sein de la Police fédérale et suivraient toute leur formation à l’École, plutôt qu’à la Division Dépôt. De même, les personnes qui auraient joint le programme comme policiers d’expérience et enquêteurs civils auraient reçu leur formation à l’école de la Police fédérale. Cette proposition n’a cependant pas été approuvée par l’État-major supérieur Note de bas de page 250 .
145. La Police fédérale cherche actuellement à mettre en place un programme d’entrée directe par la Division Dépôt Note de bas de page 251 . Ainsi, les membres réguliers, les enquêteurs civils et les agents de police d’expérience recevraient des variantes d’un programme raccourci de formation policière avant de suivre des cours précis et une formation spécialisée de la Police fédérale dans des domaines comme la sécurité nationale et la criminalité financière. Le premier segment du programme, le Cours sur les enquêtes de la Police fédérale, a été mis en œuvre en septembre 2022. Aucun calendrier n’a été établi pour la mise en œuvre du reste du programme Note de bas de page 252 .
Étude de cas no 2 : Projet OROOK
En janvier 2012, la Police fédérale en Ontario a lancé une enquête sur une fraude en matière d’investissements systématiques (connue sous le nom de combine à la Ponzi) à la demande du Bureau du surintendant des faillites, qui a soulevé des préoccupations relativement à une entreprise et à sa filiale qui ont entamé des procédures de faillite, alléguant qu’elles devaient 75 millions de dollars à ses créanciers.
La Police fédérale a déterminé que cette enquête était prioritaire en raison de l’ampleur de l’aspect financier et a mis sur pied une équipe de trois employés au dossier, y compris une équipe d’enquête composée de deux membres réguliers et d’un juricomptable civil. D’autres membres du personnel ont été ajoutés selon les besoins. En février, les enquêtes de la GRC ont conclu que les deux directeurs de l’entreprise étaient inscrits comme directeurs et débiteurs principaux de 12 entreprises, qui ont profité directement de dépôts, de prêts ou de transferts totalisant environ 16 millions de dollars.
Au cours de l’enquête de deux ans, les enquêteurs de la Police fédérale ont obtenu des preuves par l’entremise de vérifications des antécédents des entreprises, d’ordonnances de communication sur environ 300 comptes financiers et d’entrevues avec les cadres supérieurs de l’entreprise, son personnel des comptes et plusieurs de ses investisseurs. L’équipe d’enquête a été en mesure de suivre la trace du détournement et du blanchiment d’argent entre de multiples comptes, entreprises et institutions financières. Au bout du compte, le directeur de l’entreprise a été déclaré coupable de blanchiment d’argent et de fraude de l’ordre d’environ 55 millions de dollars.
Les compétences du juricomptable civil ont été capitales pour la réussite de l’enquête. Grâce à son analyse, les enquêteurs ont pu prouver que les activités de prêt de l’entreprise ne suffisaient pas pour soutenir les taux d’intérêt promis aux investisseurs. Elle a aussi constaté que les fonds provenant de nouveaux investisseurs servaient à payer le capital et l’intérêt aux anciens investisseurs afin de perpétuer la fraude en matière d’investissements systématiques. L’analyse judiciaire que la GRC a faite des comptes d’affaires de l’entreprise, des comptes d’affaires avec lien de dépendance et des comptes personnels des directeurs a aussi permis de déterminer que les directeurs de l’entreprise ont blanchi les fonds des investisseurs vers leurs comptes personnels.