Chapitre 6 : Questions thématiques — Données
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada

Données

146. Les données sont essentielles aux opérations de la police. Les types de données recueillies peuvent façonner le point de vue et être centrés sur les menaces criminelles. Selon Malcolm Sparrow, professeur à Harvard :

[traduction] La manière dont les données sont organisées dans les fichiers de données contribue à déterminer les types d’analyse qui peuvent être effectués et les utilisations qui peuvent en être faites. La manière dont l’information circule dans un service détermine en grande partie les questions qui sont retenues à différents échelons et les personnes qui prennent les décisions. […] S’ils sont correctement gérés, les systèmes d’information peuvent être un outil puissant entre les mains de dirigeants progressistes de la police. Ils peuvent réduire les coûts de main-d’œuvre, améliorer l’affectation des ressources et accroître l’efficacité des opérations en place. Ils peuvent également contribuer à redéfinir le travail, à mettre en avant de nouvelles valeurs et à faciliter la formation de nouveaux partenariats Note de bas de page 253 .

147. L’analyse et la communication des données permettent de faire un suivi des priorités, des ressources, des dépenses et du rendement, et de soutenir la gouvernance et la responsabilisation. C’est particulièrement le cas dans une organisation de la taille et de la portée de la GRC.

148. Depuis 2018, la GRC a mené neuf différents audits internes qui ont soulevé les données comme source de préoccupation Note de bas de page 254 . Ces audits ont relevé trois principales difficultés : les données incomplètes ou absentes, les données inexactes et les données incohérentes. Ces difficultés ont apporté des problèmes importants dans la gestion du rendement, l’appui de la prise de décisions et la surveillance. Malgré les engagements en vue d’améliorer les données pris par la direction dans ses réponses et les plans d’action découlant de ces audits, ces difficultés persistent.

Systèmes de données

149. La GRC possède trois grands systèmes de gestion des dossiers électroniques dans lesquels les renseignements policiers sont saisis et stockés. Ces systèmes contiennent des renseignements opérationnels sur l’activité criminelle et les enquêtes. Ils représentent la principale source de l’analyse des renseignements, des statistiques sur le crime, de l’établissement de données et des paramètres du rendement. Le premier est le Système d’incidents et de rapports de police (SIRP), dont se servent la plupart des groupes de la GRC. Le deuxième est le Système d’incidents et de rapports de police protégé (SIRPP), qui contient tous les documents classifiés et sert de base de données principale aux enquêtes en matière de sécurité nationale de la Police fédérale. Le troisième système est le Police Records Information Management Environment (PRIME), qui est une base de données établie et utilisée seulement par la GRC (et les autres services de police) en Colombie-Britannique.

150. L’interopérabilité fait défaut à ces trois systèmes. Le SIRP est géré par la GRC, le SIRPP est réservé aux renseignements classifiés et est isolé pour des raisons de sécurité, et PRIME relève du gouvernement de la Colombie-Britannique. La GRC doit donc accéder aux données et les manipuler dans ces trois systèmes pour comprendre les activités de la Police fédérale à l’échelle nationale et en faire le suivi. Le Groupe de soutien en matière de connaissance de la situation, qui compte environ 20 personnes, est responsable de la communication et de l’analyse des données.

151. Les trois systèmes de la GRC (SIRP, SIRPP et PRIME) comportent différents critères et entrées. Chaque système comporte ses propres critères dans ses menus déroulants, rendant les dossiers non uniformes au sein de la Police fédérale et de la GRC. Le SIRP et le SIRPP ne possèdent pas de codes pour les incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN). Note de bas de page 255 En raison de ce manque d’uniformité, le Groupe de soutien a de la difficulté à faire le lien entre les données et les priorités de la Police fédérale. Par conséquent, le Groupe de soutien classe une grande partie des projets cotés de la Police fédérale dans la catégorie « autre » pour définir leur domaine de priorité. Un bon 28 % de tous les projets cotés classés dans la catégorie « autre » proviennent de la Colombie-Britannique (Division E) et cela est dû aux données et aux limites d’accès du système PRIME Note de bas de page 256 . Ces incohérences nuisent à la capacité de la Police fédérale à obtenir un portrait complet de la fréquence et du type d’occurrences et d’enquêtes.

152. Ces variantes ont des répercussions sur la façon dont la Police fédérale assure le suivi de ses activités d’enquête. Chaque occurrence inscrite dans les systèmes de données est comptée comme étant dirigée par la Police fédérale alors que l’intervention est principalement menée par un groupe de la Police fédérale. Toutefois, les systèmes de données ne comportent pas de champ pour indiquer les groupes de la Police fédérale : ces occurrences doivent être comptabilisées manuellement Note de bas de page 257 . Par conséquent, la Police fédérale ne dispose d’aucun moyen pour obtenir un aperçu des données qui peuvent l’aider à prendre des décisions et à établir des priorités. Sans ces données, la Police fédérale pourrait ne pas être en mesure de cerner les risques les plus importants ou même d’y répondre Note de bas de page 258 .

153. L’intégrité des données est une source de préoccupations constante pour la GRC. De toutes les informations saisies dans les systèmes, bon nombre comprennent des dossiers incomplets, des rapports désuets, une utilisation non uniforme des codes et des étiquettes, des données incorrectes et de l’information manquante Note de bas de page 259 . De plus, la GRC ne compte pas d’équipes d’assurance de la qualité dans ses divisions Note de bas de page 260 . Étant donné que les éléments saisis dépendent de l’enquêteur et des variantes entre les systèmes de données, les incohérences et le manque d’uniformisation font en sorte que les données, un élément essentiel à l’efficacité des services de police, ne sont pas toujours fiables pour soutenir de manière efficace les opérations et la prise de décisions.

154. En 2020, la Police fédérale a mis en place un nouveau système de renseignements opérationnels pour répondre à ces problèmes. FOYER est un système d’interface qu’utilise la Police fédérale et qui a été conçu pour combler les lacunes entre les systèmes de données (SIRP, SIRPP et PRIME). Ce système vise à accroître l’uniformité et à augmenter la capacité du Groupe de soutien en matière de connaissance de la situation d’analyser les données opérationnelles convenablement et d’en rendre compte. Il aide aussi à la responsabilisation, puisque les superviseurs peuvent voir les ébauches des formulaires normalisés qui sont versés dans les systèmes de données. De plus, la Police fédérale a mis en place l’outil de triage des incidents (OTI) afin que ses efforts et ses ressources ciblent les menaces criminelles les plus importantes. Comme l’indique la GRC, l’Outil de triage des incidents [traduction] « sert à assurer l’uniformité dans la prise de décisions tout en permettant la collecte de données qui n’étaient auparavant pas accessibles Note de bas de page 261  ».

155. La mise en application du système FOYER et de l’Outil de triage des incidents est faible. La Police fédérale avait visé juin 2021 pour la mise en application complète, mais a laissé les divisions établir leurs propres règles relativement à l’utilisation de l’Outil de triage des incidents et du système FOYER. Au début de 2021, le sous-commissaire de la Police fédérale a envoyé une lettre de mandat à tous les commandants divisionnaires en leur demandant une mise en application complète de ces systèmes de données. En mars 2022, le taux de mise en application le plus élevé a été atteint au Québec (Division C) à 24 %. En Ontario (Division O), le taux de mise en application était de 1 %, tandis qu’il affichait 0 % en Colombie-Britannique (Division E). En février 2023, l’Ontario avait amélioré son taux de mise en application maintenant rendu à 11 %; celui du Québec est descendu à 16 %, et celui de la Colombie- Britannique est resté à 0 %. Le taux global de mise en application était de 3 % Note de bas de page 262 . Les divisions sont au fait de la non-utilisation, car le Groupe de soutien en matière de connaissance de la situation envoie des rapports mensuels sur l’utilisation du système Note de bas de page 263 .

156. Cette situation apporte des difficultés considérables. La GRC ne peut pas calculer avec exactitude le coût des enquêtes. Les cadres supérieurs de la GRC ne reçoivent pas de rapports annuels sur les données opérationnelles et leur analyse. La GRC ne possède pas de système de gouvernance, comme des méthodes ou des approches normalisées, pour l’analyse des données Note de bas de page 264 . Cette lacune dans les données et les informations a un effet domino sur l’organisation, sa gouvernance et sa responsabilisation. En 2021, l’Équipe de gestion supérieure de la GRC a indiqué que les mécanismes et les incohérences de la GRC entourant les données dans les rapports de l’ensemble de la Police fédérale [traduction] « ne soutiennent pas la prise de décisions fondée sur des données probantes Note de bas de page 265  ». L’organisation a elle-même cerné des difficultés continues avec la collecte, l’interprétation et la présentation des données, rendant difficile de déterminer avec exactitude les effets de la GRC sur l’activité criminelle Note de bas de page 266 .

157. Les décisions de la direction sur le placement des ressources sont aussi touchées. En janvier 2019, la GRC a créé un cadre de responsabilisation de la Police fédérale. La Police fédérale a décidé que [traduction] « la prise de décisions fondée sur des données probantes et les priorités opérationnelles déterminent où les ressources sont affectées » et que les systèmes de gestion organisationnelle pour les ressources humaines et les finances seraient entretenus et mis à jour régulièrement Note de bas de page 267 . À cette fin, le cadre de responsabilisation fait porter sur les divisions la responsabilité du suivi et des rapports sur la charge de travail et les ressources de la Police fédérale. Les agents des Enquêtes criminelles fédérales ont été chargés de fournir des rapports périodiques sur le rendement, comprenant des « données cohérentes et comparables » pour orienter la prise de décisions Note de bas de page 268 . Ces changements n’ont pas toujours été bien accueillis. D’après un rapport de consultation de 2019 sur les opérations criminelles de la Police fédérale,

[traduction] Le chevauchement des responsabilités entre les divisions peut créer des tensions si les divisions estiment qu’elles ne sont pas libres de prendre leurs propres décisions, en fonction de leur budget et de leurs priorités, sans l’intervention de la Direction générale Note de bas de page 269 .

158. Ces tensions ont nui aux efforts de la Police fédérale visant à affecter les ressources et à en faire un suivi avec précision. Le rapport a ajouté que la réticence des divisions rendait [traduction] « très difficile d’exercer le type de surveillance dictée dans le nouveau cadre de gouvernance » Note de bas de page 270 .