Chapitre 6 : Questions thématiques — Établissement des priorités
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada
Établissement des priorités
159. La Police fédérale fait face à un contexte criminel changeant au moyen de ressources limitées. Pour ce faire, elle utilise un processus d’établissement des priorités conçu pour affecter les fonds et le personnel aux dossiers opérationnels de la plus haute importance. Ce processus comprend de multiples étapes.
160. La première étape de ce processus est l’établissement des priorités stratégiques. Le programme de la Police fédérale a adopté le Cadre d’établissement des priorités fédérales en 2016 afin de mettre en adéquation les résultats et les efforts de ses ressources et le contexte de la menace criminelle en se concentrant sur les menaces les plus importantes pour le Canada et sa population Note de bas de page 271 . Le cadre permettra à la Police fédérale de maximiser ses ressources, d’accroître la gouvernance, la surveillance et la connaissance de la situation au sein de la Police fédérale à la Direction générale, d’améliorer les résultats ainsi que les politiques et la prise de décisions fondées sur les données probantes, et de renforcer les structures de responsabilisation et d’établissement de rapports Note de bas de page 272 . La Police fédérale établit ses priorités stratégiques en suivant un cycle de trois ans Note de bas de page 273 .
161. Au sein de la Police fédérale, la Sous-direction des politiques stratégiques (Politiques stratégiques) est chargée de gérer le cycle d’établissement des priorités et de préparer un aperçu des contextes de la menace criminelle nationale et internationale pour orienter le processus d’établissement des priorités Note de bas de page 274 . Pour préparer cet aperçu, les Politiques stratégiques s’appuient sur des sources d’information internes, externes et internationales. Il s’agit notamment du budget fédéral, des lettres de mandat ministériel, des renseignements et des informations fournis par les partenaires nationaux de la sécurité et du renseignement, des enquêtes terminées et en cours de la GRC Note de bas de page 275 , des rapports du Service canadien de renseignements criminels, et des informations des services alliés Note de bas de page 276 . Le Conseil national des opérations intégrées, présidé par un commissaire adjoint ou un directeur général de l’un des secteurs d’activité opérationnels de la GRC, établit ensuite les priorités stratégiques de la Police fédérale. Tous les officiers des Enquêtes criminelles fédérales et des cadres supérieurs de différentes parties de la Police fédérale y siègent Note de bas de page 277 .
Graphique 6 : Le processus d’établissement des priorités de la Police fédérale
Longue description
Priorités stratégiques
- fixées par la politique stratégique
- fondées sur les menaces criminelles nationales et internationales
Hiérarchisation des grands projets
- défini par le comité de hiérarchisation
- classés du niveau 1 (priorité absolue) au niveau 3
Attribution des ressources
- fixée par la direction de la police fédérale responsable
- dépenses opérationnelles basées sur le niveau
Source : GRC, Police fédérale, « Cadre de responsabilisation de gestion du gouvernement fédéral », janvier 2019.
162. Comme susmentionnées, les priorités de la Police fédérale pour 2020-2023 sont la sécurité nationale, le crime transnational grave et organisé, et la cybercriminalité. La Police fédérale a cerné des éléments cibles prioritaires parmi ces priorités. Pour la sécurité nationale, l’accent est mis sur le terrorisme et l’ingérence étrangère. En ce qui a trait au crime organisé grave et transnational, c’est le crime organisé, le blanchiment d’argent et l’intégrité des frontières qui sont les éléments centraux. Pour ce qui est de la cybercriminalité, l’enjeu prioritaire est la cybercriminalité sous influence étrangère et les cyberactivités criminelles dirigées par les acteurs du crime transnational grave et organisé Note de bas de page 278 .
163. De par sa conception, le processus d’établissement des priorités de la Police fédérale est flexible, permettant au programme de s’adapter aux changements à court terme dans le contexte de la menace. Par exemple, lors du dernier cycle des priorités stratégiques (2020-2023), la Police fédérale a réorienté une partie de son attention de l’extrémisme violent à caractère religieux vers l’extrémisme violent à caractère idéologique en raison de la prédominance croissante de ce dernier Note de bas de page 279 . Les priorités stratégiques sont aussi établies de façon à donner à la Police fédérale une certaine flexibilité en cas de circonstances exceptionnelles (p. ex., la Police fédérale peut mener une enquête non prioritaire si un autre service de police a un conflit d’intérêts dans le dossier) Note de bas de page 280 .
164. La priorisation des grands projets (parfois appelés projets majeurs) constitue la deuxième étape du processus d’établissement des priorités. Le processus de priorisation sert à classer les grands projets des divisions dans l’ensemble du pays selon une perspective nationale de la menace criminelle. La Sous-direction des opérations criminelles de la Police fédérale est responsable de la priorisation des projets des divisions. À cette fin, elles examinent plusieurs facteurs, dont les priorités stratégiques de la Police fédérale Note de bas de page 281 .
165. La Police fédérale emploie une approche structurée à la priorisation des grands projets. D’abord, les divisions doivent remplir et envoyer le formulaire de l’outil d’établissement des priorités et de la gouvernance pour les grands projets (formulaire de l’outil d’établissement des priorités). En 2013, la Police fédérale a élaboré un outil d’établissement des priorités pour mieux mettre en adéquation ses ressources et les plus importantes menaces criminelles. L’outil d’établissement des priorités comprend des questions standardisées servant à évaluer le profil et la priorité d’ensemble d’un projet Note de bas de page 282 , dont la pertinence sur le plan stratégique, les cibles, les techniques d’enquête spécialisées, l’objectif d’enquête et le résultat attendu, les exigences en matière de ressources, et la portée des services de la Police fédérale (voir ci-dessous) Note de bas de page 283 . La portée des services renvoie aux trois éléments qui se rapportent précisément aux enquêtes fédérales. Les enquêtes, les opérations et les recherches doivent comprendre au moins un élément de la portée des services — même si elle porte sur une priorité stratégique plus large — pour être considérées comme un grand projet fédéral et activer le processus de priorisation Note de bas de page 284 . Les éléments de la portée des services sont :
Menaces envers :
- l’intégrité économique du Canada;
- l’intégrité des systèmes et programmes du gouvernement du Canada;
- la sécurité nationale;
- les infrastructures essentielles.
Portée :
- Internationale;
- intergouvernementale revêtant des répercussions nationales;
- Frontière canado-américaine.
Initiatives horizontales :
- Initiatives horizontales pour lesquelles la Police fédérale a reçu des directives et des fonds précis Note de bas de page 285
166. Les divisions envoient ensuite les résultats de l’Outil de priorisation à la Police fédérale à la Direction générale Note de bas de page 286 . Le Comité d’établissement des priorités est responsable d’attribuer un niveau de priorité aux grands projets de la Police fédérale. Il est présidé par le directeur général de la Sous-direction des opérations criminelles de la Police fédérale et est composé d’un cadre supérieur de chaque secteur d’enquête thématique de la Police fédérale (comme le crime grave et organisé) et peut comprendre des représentants d’autres secteurs pertinents de la Police fédérale (comme les Opérations secrètes). Le Comité d’établissement des priorités se réunit au besoin ou à la demande de la présidence. Les membres votent sur le niveau de priorité initial d’un projet, sur les modifications à un niveau de priorité et sur le refus ou l’acceptation d’un projet aux fins de priorisation. Les décisions sont prises selon le consensus, et la présidence dispose d’un droit de veto Note de bas de page 287 . Les enquêteurs principaux des projets cotés sont invités à présenter leur dossier au Comité d’établissement des priorités afin que les décisions de priorisation tiennent compte de leur expertise Note de bas de page 288 .
167. Le Comité d’établissement des priorités attribue un niveau de priorité aux grands projets de l’ensemble du pays. Chaque niveau désigne l’importance et les exigences en matière de rapports pour l’équipe d’enquête divisionnaire qui dirige le projet. Les niveaux de priorité des projets de la Police fédérale sont les suivants :
- Niveau 1 : projets considérés comme hautement prioritaires et demandant une surveillance et une orientation considérables de la part de la Direction générale. Les exigences en matière de rapports sont à la discrétion du Comité d’établissement des priorités, mais les divisions font habituellement rapport à la Direction générale tous les 14 jours.
- Niveau 2 : projets considérés comme prioritaires et demandant une certaine surveillance et orientation de la part de la Direction générale. Les exigences en matière de rapports sont à la discrétion du Comité d’établissement des priorités, mais les divisions font habituellement rapport à la Direction générale tous les 28 jours.
- Niveau 3 : projets qui ne sont pas considérés comme prioritaires. Les exigences en matière de rapports sont à la discrétion du Comité d’établissement des priorités Note de bas de page 289 .
168. La Police fédérale à la Direction générale repose sur deux sources principales de données pour la surveillance des activités de la Police fédérale. Le premier ensemble de données est le Tableau de bord des projets et des priorités. Le Groupe de soutien en matière de connaissance de la situation maintient cette base de données centralisée de projets cotés et l’utilise pour produire des rapports mensuels sur tous les grands projets cotés. Il communique ces rapports au comité de la haute direction de la Police fédérale. Un groupe d’évaluation de la Police fédérale distinct tient à jour le deuxième ensemble de données, soit la Project Stat Sheet (grille de statistiques sur les projets), pour consolider les informations sur les projets présentés aux fins d’établissement des priorités.
169. L’allocation des ressources est l’un des principaux résultats du processus d’établissement des priorités. La Police fédérale accorde une attention et des ressources accrues aux projets d’enquête de niveau supérieur. Annuellement, la Police fédérale prend part à un processus de « réinitialisation des ressources », dans le cadre duquel le sous-commissaire à la Police fédérale donne des lignes directrices aux officiers des Enquêtes criminelles fédérales et aux commandants divisionnaires pour qu’ils mettent en adéquation l’empreinte des ressources et les priorités fédérales. Le sous-commissaire à la Police fédérale remet chaque année une lettre de mandat à chaque officier responsable des enquêtes criminelles fédérales, qui décrit les restrictions budgétaires, les priorités opérationnelles et les attentes. Le sous-commissaire de la Police fédérale et les officiers des Enquêtes criminelles fédérales de chaque division discutent des progrès de ces points trimestriellement, et la Direction générale de la Police fédérale réaffecte les ressources des divisions selon les thèmes d’enquête prioritaires Note de bas de page 290 .
170. Le processus d’établissement des priorités actuel comporte quatre grands enjeux. Le premier est le pouvoir discrétionnaire des divisions. Même si les divisions doivent utiliser l’Outil de priorisation pour chaque grand projet, les officiers des Enquêtes criminelles fédérales de chacune des divisions sont libres de choisir le moment où ils présentent un projet aux fins de priorisation Note de bas de page 291 . Parfois, ils décident d’attendre que des enquêtes soient rendues à une étape avancée avant de les présenter aux fins de priorisation Note de bas de page 292 ou, si une enquête dans ses débuts avait été rejetée lors du processus de priorisation, ils peuvent quand même décider de continuer de faire avancer l’enquête Note de bas de page 293 . Concrètement, on peut dire que les divisions travaillent sur ce qu’elles estiment être des priorités divisionnaires sans les présenter à la Police fédérale, même si elles correspondent entièrement à la portée des services de la Police fédérale. Cela veut aussi dire que le Comité d’établissement des priorités examine les nouveaux projets sans connaître les enquêtes et les dépenses en cours dans les divisions. La Police fédérale n’est donc pas entièrement au fait en tout temps du nombre ou du type de grands projets qui progressent, ce qui limite sa capacité de faire le suivi des grands projets dans l’ensemble du Canada ou de diriger les ressources vers les menaces qui portent le plus grand préjudice sur le plan national Note de bas de page 294 .
171. Le deuxième enjeu de l’établissement des priorités est la gouvernance. Comme susmentionné, chaque niveau de priorité impose des exigences en matière de rapports aux divisions. Toutefois, aucune méthode standard ne régit ces rapports. Il n’y a aucun outil de suivi centralisé pour ces rapports, et un audit interne a conclu que, pour les dossiers examinés, les divisions ont présenté leurs rapports à temps pour seulement 43 % des projets cotés Note de bas de page 295 . La capacité de la Police fédérale de gouverner ses propres enquêtes est encore plus entravée. Ces difficultés ne datent pas d’hier. Un sondage interne de 2016 sur l’établissement des priorités a fait la comparaison entre les listes des divisions et la liste nationale des grands projets et a relevé plusieurs écarts. Dans ses recommandations, le sondage a indiqué que [traduction] « la direction devrait envisager d’améliorer sa surveillance et la production de rapports et cerner les causes possibles de ces écarts Note de bas de page 296 ».
172. Le troisième enjeu est le contrôle continu des ressources fédérales par les divisions. Comme la GRC l’a noté, [traduction] « les divisions sont responsables de la gestion de leurs ressources d’enquête et de leurs priorités conjointement avec leurs secteurs d’activité à la [Direction générale] et les priorités de la Police fédérale Note de bas de page 297 ». Ainsi, même si le programme de la Police fédérale établit les priorités et attribue un niveau de priorité aux grands projets, il ne détermine pas automatiquement les enquêtes que mène l’effectif fédéral ni le niveau de ressources affectées aux enquêtes cotées des divisions Note de bas de page 298 .
173. Le quatrième enjeu de l’établissement des priorités est l’intégrité des données. Comme susmentionné, la Police fédérale s’appuie sur deux sources de données pour superviser les enquêtes fédérales (le Tableau de bord des projets et des priorités et la grille de statistiques sur les projets). Il existe d’importants écarts dans le nombre de projets cotés consignés dans ces deux documents, principalement en raison du manque de contrôles sur les données saisies et de l’examen sporadique de la qualité Note de bas de page 299 . En conséquence, les cadres supérieurs ne reçoivent pas un portrait clair et uniforme des projets cotés dans l’ensemble du pays. Sans une application et une standardisation appropriées, les rapports sur lesquels s’appuient les représentants du programme de la Police fédérale pour prendre des décisions pourraient être inexacts, incohérents ou incomplets Note de bas de page 300 . Il est donc difficile pour la GRC de garantir elle-même ainsi qu’au ministre et à la population qu’elle s’emploie à contrer les menaces portant le plus grand préjudice au Canada et aux Canadiens.