Chapitre 6 : Questions thématiques — Le renseignement
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada

Le renseignement

174. La GRC décrit sa fonction comme des « services de police fondés sur le renseignement ». Selon la GRC, « les services de police fondés sur le renseignement reconnaissent que la recherche, l’analyse et les décisions reposant sur des données probantes sont essentielles pour offrir des services de police efficaces et efficients. Le recours aux données et aux renseignements nous permet de détecter les tendances et les liens qui aident à résoudre les enquêtes, et qui permettent de prévoir et de prévenir le crime dans l’avenir Note de bas de page 301 . » La Police fédérale est responsable de la plupart des fonctions et ressources du renseignement à la GRC, tant au pays qu’à l’étranger.

175. La GRC classe le renseignement en trois catégories : tactique, opérationnel et stratégique. Le renseignement tactique appuie les enquêtes notamment par l’identification de suspects et la surveillance. Le renseignement opérationnel fait intervenir les informations tirées de différentes enquêtes et divisions en vue de dégager des tendances émergentes dans la criminalité. Le renseignement stratégique cerne des tendances et des menaces à l’échelle nationale et internationale et la haute direction consulte ses produits dans le cadre de la prise de décisions relatives aux politiques, aux priorités et aux plans Note de bas de page 301 .

176. Le renseignement à la GRC a connu beaucoup de changements au cours des dernières années. La dernière réorganisation servait à combler des lacunes dans la gouvernance qui ont [traduction] « empêché la maximisation des services de renseignements criminels de l’ensemble de la GRC et ont empêché la concrétisation d’une structure de ce qui se rapproche même de loin à de véritables services de police fondés sur le renseignement à l’échelle de la Gendarmerie Note de bas de page 303 . » En 2019, un cadre de gouvernance a donc été créé pour tout le renseignement au sein de la GRC afin d’établir une structure mieux définie.

177. Au sein de la GRC, le directeur général du Renseignement national est chargé de l’exécution du Programme de renseignement national de la Police fédérale. Il relève du directeur exécutif ou commissaire adjoint, Renseignement et Police internationale de la Police fédérale. Même si le directeur général du Renseignement national a une responsabilité sur le plan fonctionnel à travers la Police fédérale, la distribution des ressources du renseignement dans l’ensemble de la GRC fait en sorte que ses responsabilités s’étendent à tous les mandats de la GRC et à toutes les divisions. Des 532 membres de l’effectif du renseignement à la GRC, environ 90 personnes (17 %) relèvent du directeur général du Renseignement national Note de bas de page 304 .

178. Le Programme de renseignement national de la Police fédérale comporte trois sections : la Direction des renseignements stratégiques, le Groupe d’analyse des renseignements opérationnels et le groupe de soutien en matière de renseignements. Les deux premières sections se concentrent sur l’analyse des renseignements sur les plans stratégique, opérationnel et tactique et comprennent des volets d’examen, notamment sur la criminalité à caractère idéologique, la cybercriminalité et l’intégrité économique Note de bas de page 305 . La Direction des renseignements opérationnels est aussi responsable du Programme sur les initiatives mondiales. Basé à la Direction générale de la GRC, ce programme est responsable de 14 analystes du renseignement criminel déployés à l’étranger. Alors que la plupart de ces analystes sont déployés dans des missions canadiennes, trois sont intégrés dans les bureaux de partenaires stratégiques à Washington (Drug Enforcement Administration), à La Haye (Europol) et à Canberra (Australian Federal Police) Note de bas de page 306 . Leur présence dans [traduction] « des endroits clés et l’intégration dans les bureaux de partenaires clés sont essentielles au mandat du Renseignement national de la Police fédérale visant à fournir des rapports de renseignements criminels stratégiques et opérationnels sur les menaces criminelles mondiales émergentes et à cerner des occasions de ciblage aux fins d’enquête et de perturbation Note de bas de page 307  ».

179. La troisième section, le groupe de soutien en matière de renseignements, est responsable de la gouvernance et de la standardisation ainsi que de tous les aspects qui relèvent du Programme de renseignement national de la Police fédérale. Ce groupe comprend l’équipe Normes du renseignement et Élaboration du programme, qui est responsable d’établir et de maintenir un programme professionnel du renseignement criminel au sein de la GRC. Cette équipe vise à s’assurer que toutes les fonctions du renseignement, y compris la dotation, l’assurance de la qualité, l’évaluation et la formation, sont gouvernées par des politiques, des lignes directrices et des méthodologies standards Note de bas de page 308 .

180. En 2019, la GRC a mis en œuvre un nouveau cadre de gouvernance entourant le renseignement en vue d’en accroître la centralisation. Tandis que la plupart des ressources du renseignement se trouvent dans les divisions, les analystes du renseignement responsables des renseignements tactiques, opérationnels et stratégiques relèvent maintenant d’un dirigeant divisionnaire des Renseignements dans chaque division Note de bas de page 309 . Auparavant, certaines divisions ne comptaient pas de dirigeant divisionnaire des Renseignements. Ce sont donc les groupes d’enquête qui dirigeaient le personnel du renseignement Note de bas de page 310 . Dans le contexte du nouveau cadre, dans la plupart des divisions Note de bas de page 311 , le dirigeant divisionnaire des Renseignements est maintenant chargé de la fonction du renseignement et du contrôle financier des activités du renseignement au niveau de la division.

181. La GRC régit aussi le Service canadien de renseignements criminels (SCRC). Le SCRS a été fondé en 1970 pour créer un lien au sein de l’appareil du renseignement criminel à tous les échelons : municipal, provincial et fédéral. Le SCRS a pour mandat « de diriger les initiatives de renseignements stratégiques et opérationnels visant à combattre le crime organisé et les crimes graves liés au crime organisé au Canada et d’assurer la production et la mise en commun d’information et de renseignements criminels en temps opportun au sein de la communauté de l’application de la loi, à l’appui de la Stratégie [canadienne d’application de la loi pour lutter contre le crime organisé] Note de bas de page 312 . ». Il produit annuellement une Évaluation nationale de la menace posée par le crime organisé et les crimes graves au Canada, qui sert de base à l’établissement des priorités et aide à repérer, à perturber et à prévenir le crime grave et organisé au Canada.

182. La fonction du renseignement au sein du programme de la Police fédérale fait face à plusieurs enjeux qui limitent son efficacité. Le premier enjeu est la décentralisation de longue date de la fonction au sein de la GRC. En 2019, la GRC a fait remarquer que :

[traduction] Les activités du renseignement de l’ensemble des mandats de la GRC au sein de la Direction générale font l’objet d’une surveillance et d’une gouvernance nationales limitées. Les priorités de la Police fédérale sont actuellement établies par une gouvernance opérationnelle sans processus indépendant visant à définir les priorités en matière de renseignement. Par conséquent, les priorités en matière d’application de la loi et les priorités en matière de renseignement sont confondues, mais sont distinctes et ont des fonctions différentes Note de bas de page 313 .

Les ressources du renseignement de la Police fédérale sont gérées à l’échelle divisionnaire par les instances qui sont placées sous l’autorité de la Police fédérale et des provinces et territoires. Bien que la création d’un cadre stratégique pour le renseignement en 2018 et d’un cadre de gouvernance en 2019 ait réglé certains problèmes Note de bas de page 314 , principalement relativement à la standardisation et à la professionnalisation, des lacunes persistent. Comme le sous-commissaire de la Police fédérale l’a mentionné au Comité, sa visibilité sur les ressources du renseignement au sein des divisions est très limitée et il estime qu’elles servent principalement aux priorités de la Police contractuelle Note de bas de page 315 .

183. Le deuxième enjeu découle de problèmes liés aux données de la Police fédérale. Les renseignements servent à trouver des pistes, à dégager des tendances et à établir des priorités. Comme susmentionné, la GRC est confrontée à plusieurs problèmes de gestion de l’information et d’intégrité des données. Si les informations ne sont pas complètes, exactes ou accessibles, cela ébranle la production et la qualité des renseignements qu’utilise la GRC. L’utilisation de PRIME, un système exclusif au gouvernement de la Colombie-Britannique, entraîne d’autres difficultés. Même si une enquête est cotée, les enquêteurs fédéraux en Colombie-Britannique continuent souvent à alimenter PRIME comme base de données opérationnelle principale même s’ils doivent utiliser la base de données classifiée fédérale (SIRPP) Note de bas de page 316 . Puisque l’accès à PRIME est contrôlé, les analystes du renseignement de la Direction générale de la GRC pourraient ne pas être en mesure de produire des analyses et des conseils à court préavis et pour des enquêtes urgentes, car ils doivent attendre une approbation pour accéder aux informations, ce qui limite l’information sur laquelle la direction s’appuie pour prendre des décisions. Enfin, certains groupes d’enquête conservent les données opérationnelles sur des systèmes hors ligne ou des disques durs personnels, empêchant les analystes du renseignement et les planificateurs d’accéder aux données pertinentes pour leur travail Note de bas de page 317 . L’interface de FOYER a été créée pour atténuer de telles difficultés (voir le paragraphe 154), mais la réponse n’a pas été très favorable et des problèmes persistent.

184. Le troisième enjeu est que la fonction du renseignement ne dispose pas de dépôt centralisé. Les évaluations et les rapports de renseignement sont conservés dans différents systèmes au sein de la GRC et ne sont pas accessibles aux autres analystes. Le programme de la Police fédérale a fait remarquer que :

[traduction] Étant donné les problèmes de gouvernance et la conservation des produits du renseignement criminel dans une myriade de différents endroits séparés par des frontières opérationnelles et divisionnaires, il est difficile de consolider toutes les connaissances sur le renseignement criminel disponibles en un système centralisé et d’utiliser ce système pour soutenir les techniques de recherche et d’analyse structurées et non structurées Note de bas de page 318 .

Par conséquent, le contexte nuit à la capacité des analystes du renseignement à faire des liens entre les enquêtes à l’échelle nationale et peut entraîner un chevauchement des efforts.

185. Pour conclure, la GRC a du mal à déterminer le rôle que le renseignement devrait jouer au sein de l’organisation. Comme l’ont fait remarquer les représentants de la GRC en 2022, [traduction] « il n’existe pas de culture du renseignement à la GRC, c’est-à-dire qu’il n’est pas souvent considéré comme un outil pour aider les décideurs, mais plutôt qu’il vise à aider directement les enquêteurs et d’autres organismes d’application de la loi de première ligne (c’est-à-dire qu’il devient des éléments de preuve) Note de bas de page 319  ».

186. Dans son évaluation, le Comité se penche sur les enjeux liés au renseignement.

Autres études horizontales pertinentes

[*** Ce paragraphe a été revu pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Certaines des difficultés cernées dans le présent rapport, notamment le manque de formation appropriée et les technologies de l’information inadéquates, ainsi que l’importance de reconnaître la perturbation comme étant un moyen viable de contrer les menaces dans certains secteurs, ont été soulignées dans deux autres études. La première a été réalisée en 2018 par la GRC et le SCRS et portait sur le modèle de lutte contre le terrorisme du Royaume-Uni. Elle visait à tirer des leçons, à formuler des observations et à présenter des recommandations afin de soutenir la refonte du modèle de lutte contre le terrorisme du Canada, tout particulièrement pour ce qui est du SCRS et de la GRC. Il convient de noter que l’étude a rapporté des observations concernant la formation sur les enquêtes pour les professionnels de la lutte contre le terrorisme du Canada, les outils de gestion de cas et l’utilisation de la perturbation comme moyen d’atténuer les menaces. L’étude a aussi présenté des recommandations pour certains de ces aspects Note de bas de page 320 .

La deuxième étude, intitulée « Examen d’amélioration opérationnelle », était un examen indépendant réalisé par l’avocat de la défense Anil Kapoor, qui a agi comme avocat auprès la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India. M. Kapoor a réalisé l’examen entre mai 2018 et mars 2019 à la demande de la commissaire de la GRC et du directeur du SCRS. Dans le cadre de son examen, il s’est penché sur la relation entre la GRC et le SCRS dans les enquêtes criminelles sur la sécurité nationale et il a présenté 76 recommandations. Même si l’examen n’a pas abordé les moyens techniques de la GRC, il a souligné que la GRC ne disposait pas d’une unique base de données dans laquelle elle pouvait travailler ou faire des recherches dans le domaine de la sécurité nationale. Il a aussi recommandé que la Sécurité nationale de la Police fédérale et les équipes intégrées de la sécurité nationale de la GRC acceptent que la poursuite criminelle ne soit pas « la voie à suivre » dans les enquêtes en matière de sécurité nationale. Plutôt, il a avancé que le recours à une panoplie d’outils, dont la perturbation, permettait aux organisations de faire preuve de souplesse quant à leurs approches respectives pour maintenir la sécurité publique Note de bas de page 321 .