Chapitre 7 : Évaluation du Comité
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada

187. Le rôle de la Police fédérale est essentiel à la sécurité nationale du Canada. Bon nombre de ses responsabilités sont prescrites dans des lois fédérales, tout particulièrement, pour les fins du Comité, dans les domaines entourant la sécurité nationale. Elle est la seule organisation en mesure de mener des enquêtes sur les plus importantes menaces criminelles dans les différentes administrations, tant au Canada qu’à l’étranger (en collaboration avec un service de police étranger). Le gouvernement fédéral l’a chargée de protéger des représentants fédéraux et désignés clés, d’appuyer les opérations internationales, comme le maintien de la paix, et de maintenir des relations policières précises, comme INTERPOL.

188. Pendant son examen, le Comité a constaté plusieurs défis auxquels se heurte la Police fédérale et qui pourraient avoir des incidences sur son rôle essentiel de lutte contre les menaces envers la sécurité nationale du Canada ou d’enquête sur le crime grave et organisé. Ces défis sont présentés ci-après.

Difficultés externes : composantes structurelles de l’organisation

189. La première difficulté que doit surmonter la capacité de la Police fédérale pour remplir le plus efficacement son mandat découle de composantes structurelles de la GRC et de la prépondérance du secteur de la Police contractuelle au sein de l’organisation, ayant des conséquences dans plusieurs domaines. Le Comité n’a pas examiné la structure organisationnelle de la GRC dans son ensemble ni n’a évalué le bien-fondé relatif de la Police contractuelle. Cette question dépasserait la portée du mandat du Comité. Toutefois, dans le contexte du présent examen, il ne pouvait pas faire fi de certains effets indésirables créés par la coexistence des deux mandats.

190. La Police contractuelle compte pour près de 60 % du budget total et du personnel de la GRC (la proportion de la Police fédérale est de 18 %). Le poids relatif de la Police contractuelle au sein de la GRC a des répercussions sur plusieurs aspects. Premièrement, la Police fédérale représente seulement l’une de nombreuses priorités pour le commissaire, le ministre de la Sécurité publique et le Parlement. En effet, comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises dans le présent rapport, aucun examen externe sur la GRC ne portait exclusivement sur l’efficacité du mandat de la Police fédérale. On pourrait donc dire que les problèmes propres au mandat fédéral n’ont pas reçu l’attention nécessaire pour les régler.

191. Deuxièmement, les ressources fédérales peuvent servir à soutenir le mandat de la Police contractuelle, sans que l’inverse soit nécessairement vrai. Cette réaffectation s’effectue en partie sous l’effet d’une gouvernance faible. Comme nous le verrons plus loin, la Police fédérale n’exerce pas une gouvernance suffisante sur ses propres enquêtes nationales pour empêcher les divisions d’utiliser les ressources fédérales en vue de donner suite à des priorités plus faibles ou provinciales. Elle n’exerce pas non plus un contrôle complet sur les activités importantes de soutien aux enquêtes, tout particulièrement les ressources du renseignement, mais aussi divers services techniques comme la criminalistique numérique. Sur le plan financier, la perte de ressources a fait en sorte que les fonctions organisationnelles et de soutien, comme le recrutement, la formation et la gestion de l’information, ont consacré plus de temps et d’efforts pour appuyer la Police contractuelle que ne le représentent les ententes sur les services de police. La GRC ne pouvait pas quantifier la perte financière que subissent les ressources fédérales dans la première sphère (gouvernance), mais une étude de 2017 par un entrepreneur externe a estimé que la perte de la deuxième sphère est considérable : 668 M$ annuellement en coûts indirects qui appuient la Police contractuelle de la GRC Note de bas de page 322 . De plus, les ententes conclues avec les provinces et les territoires demandent que les fonds additionnels pour la Police contractuelle soient fournis dans les 12 mois suivant une demande provinciale ou territoriale. Ces fonds sont souvent tirés au départ des ressources fédérales jusqu’à ce que des fonds permanents puissent être réalisés, ce qui complique davantage les difficultés financières Note de bas de page 323 . Ensemble, ces enjeux financiers ont entraîné des écarts de financement pour la Police fédérale, les Services nationaux de police (comme les laboratoires) et les programmes habilitants comme le recrutement Note de bas de page 324 .

192. Troisièmement, l’obligation de la GRC, en application des ententes sur les services de police, de satisfaire aux exigences provinciales et territoriales relatives aux postes de membres réguliers nouveaux ou vacants signifie que les besoins en matière de ressources humaines pour la Police contractuelle ont préséance sur ceux de la Police fédérale. Par conséquent, le taux de postes vacants est plus élevé à la Police fédérale, plus particulièrement pour les membres réguliers, que dans d’autres secteurs opérationnels.

Difficultés internes : gouvernance et établissement des priorités

193. La deuxième grande difficulté qui nuit à la capacité de la Police fédérale de remplir son mandat est la gouvernance et l’établissement des priorités entourant ses activités et ses enquêtes nationales. Le personnel et les ressources de la Police fédérale sont dispersés dans l’ensemble du pays, mais le contrôle et la responsabilisation qui s’y rapportent diffèrent considérablement. Les deux grands groupes de la Police fédérale, en Ontario et au Québec, relèvent directement du sous-commissaire de la Police fédérale, tandis que tous les autres groupes relèvent des commandants divisionnaires qui doivent rendre des comptes au commissaire de la GRC et aux autorités provinciales. En résumé, le sous-commissaire à la Police fédérale est responsable de gérer les activités de la Police fédérale sans posséder l’entière autorité de le faire. La création en 2017 des officiers responsables des enquêtes criminelles à la Police fédérale visait à renforcer le contrôle de la Police fédérale sur son personnel et ses ressources. Bien que le programme de la Police fédérale déclare qu’il peut mieux affecter ses ressources aux priorités fédérales les plus élevées et les réaffecter au besoin, les divisions conservent un contrôle important sur leurs propres ressources d’enquête, y compris les ressources fédérales. D’autres améliorations ont peu de chances de produire tous leurs effets avant la mise en œuvre de la nouvelle voie hiérarchique, où tous les groupes de la Police fédérale relèvent directement du sous-commissaire, un changement reporté de 2022, sans échéancier prévu.

194. Des problèmes similaires minent la capacité de la Police fédérale d’établir les priorités de ses enquêtes. Bien que la Police fédérale ait mis en place des mesures pour mieux cerner les priorités et orienter les enquêtes, les divisions conservent un pouvoir discrétionnaire important dans le processus d’établissement des priorités de la Police fédérale, nuisant à la capacité de la Police fédérale de faire un suivi des enquêtes et des dépenses en cours ou de réaffecter des ressources vers des priorités plus élevées. Ces problèmes sont exacerbés par un manque de rapports standardisés et un faible respect des obligations de présentation de rapports à la Direction générale (la question est examinée plus en détail ci-dessous). Enfin, la Police fédérale a cherché à maintes reprises par le passé à déplacer le personnel fédéral en dehors de secteurs comportant peu d’enquêtes fédérales prioritaires, comme dans le nord ou l’est du Canada, vers des secteurs présentant beaucoup d’enquêtes, dans les provinces et les zones urbaines les plus populeuses du Canada. Ce changement ne s’est toujours pas produit. Par conséquent, les ressources de la Police fédérale dans les secteurs non prioritaires ne sont probablement pas consacrées aux enquêtes fédérales prioritaires.

Difficultés internes : Données, établissement des priorités et renseignements

195. La troisième grande difficulté existe dans la sphère connexe des données, de l’établissement des priorités et des renseignements. Commençons par les données et la gestion des données. La GRC a indiqué que [traduction] « l’application de la loi est une question d’information et de gestion des données Note de bas de page 325  ». Certes, le Comité a constaté un manque de données uniformes au sein de la Police fédérale, un faible taux de conformité liée à l’entrée de données et à la production de rapports connexes, le recours à des systèmes hors ligne dans ce qui devrait être un effectif intégré, un système interopérable de gestion des données ou des dossiers inexistant et l’absence de présentation de données à la haute direction en vue d’aider à la prise de décisions. Récemment en 2017, KPMG a noté que [traduction] « l’existence de multiples systèmes de tenue de dossiers combinée au manque d’outils et de pratiques modernes de gestion de l’information limitent les renseignements opérationnels requis pour soutenir la Police fédérale afin qu’elle prenne des mesures en prévision des priorités changeantes et en comprenne les répercussions Note de bas de page 326  ». Les réformes de nature technique et procédurale mises en œuvre depuis ne sont pas encore implantées. Notamment, le déploiement d’un système d’interface clé (FOYER) et la directive du sous-commissaire aux groupes fédéraux de l’utiliser n’ont pas changé considérablement la capacité de l’organisation de recueillir et d’analyser des données ou d’établir correctement la priorité des enquêtes et de soutenir la prise de décisions organisationnelles.

196. Par conséquent, la Police fédérale ne sait pas avec exactitude où ses ressources sont affectées. L’organisation ne sait pas et ne peut pas savoir si les ressources de la Police fédérale sont effectivement consacrées aux priorités et aux activités de la Police fédérale au sein des divisions. Il est donc difficile pour la Police fédérale de prendre des décisions fondées sur des données probantes et de réaffecter des ressources lorsque les priorités changent. Ces mêmes difficultés liées aux données nuisent à la capacité de la Police fédérale d’établir la priorité des enquêtes. Les fonctionnalités différentes des systèmes de données (SIRP, SIRPP et PRIME) et le contrôle sur l’accès aux données minent la capacité du programme de cerner les priorités (p. ex., faire le lien entre la fréquence et les types d’incidents déclarés et les enquêtes) ou de les superviser lorsqu’elles reçoivent un niveau de priorité approprié, ce qui peut faire en sorte que des enquêtes soient mal identifiées ou que le niveau de priorité attribué ne soit pas correct. Ces lacunes risquent à leur tour de nuire à la surveillance et à la responsabilisation de la Police fédérale sur ses opérations.

197. Le renseignement repose sur l’accès aux informations et la capacité de les regrouper, de les analyser et de les communiquer pour appuyer les décisions. Le renseignement est essentiel aux opérations de la Police fédérale. La GRC reconnaît que [traduction] « dans un environnement de plus en plus complexe et en constante évolution, la fonction du renseignement de la GRC joue un rôle capital pour ce qui est de répondre aux priorités de la Police fédérale dans les domaines de la sécurité nationale, du crime transnational grave et organisé grave et de la cybercriminalité Note de bas de page 327  ». Toutefois, les mêmes difficultés entourant les données qui freinent la gouvernance et l’établissement des données, c’est-à-dire que les informations sont souvent éparpillées, non uniformes, incomplètes, incorrectes ou inaccessibles, ont des conséquences sur la qualité et l’efficacité des groupes du renseignement de la Police fédérale et les produits qu’ils produisent. Cette situation mine la prise de décisions sur les plans tactique, opérationnel et stratégique. Les problèmes liés aux données sont exacerbés par les problèmes liés à la responsabilisation, à la gouvernance et aux ressources humaines. Au sein de la GRC, moins de 20 % des analystes et du personnel du renseignement relèvent du directeur général du Renseignement national. Par conséquent, le Comité craint que la Police fédérale ne reçoive pas ou n’évalue pas les renseignements dont elle a besoin pour établir les priorités et mener les opérations.

Difficultés internes : recrutement et formation

198. La quatrième grande difficulté est le déclin constant de l’effectif de la Police fédérale, particulièrement les policiers, au cours des huit dernières années, et rien n’indique que cette tendance se renversera dans un avenir rapproché. Les finances en sont en partie responsables : la Police fédérale gère son budget par l’attrition du personnel. La Police fédérale peut ainsi soutenir ses opérations en cours, mais n’a pas la flexibilité d’embaucher de nouveaux employés. Le déclin de l’effectif est aussi en partie attribuable aux difficultés dans le recrutement d’employés qui conviennent aux fonctions.

199. La Police fédérale doit surmonter d’importants défis GRC satisfaire à ses exigences uniques de recrutement et de formation. On pourrait dire que le modèle qu’utilise la GRC, centré sur les compétences de base des services de police et d’agents de la paix, convient bien aux services généraux de police de première ligne, mais qu’il ne répond pas aux exigences de la Police fédérale. Elles demandent de plus en plus de compétences et de diplômes d’études spécialisés. Sur le plan du recrutement, la GRC, en tant qu’organisation, a de la difficulté à attirer suffisamment de candidats pour pourvoir ses postes vacants, en raison d’un bassin de main-d’œuvre qui se rétrécit et d’attentes sociales changeantes relativement au travail. Le personnel recruté sert principalement à pourvoir des postes vacants ou nouveaux dans les provinces et les territoires, et non pas les postes de la Police fédérale en général. Par conséquent, la Police fédérale n’a pas été en mesure de recruter et de maintenir en poste suffisamment d’employés, particulièrement des agents de police, pour satisfaire à ses propres besoins. Pour ce qui est de la formation, le programme de la Police fédérale pour ses employés est désuet et inégal, et il ne prépare pas bien son personnel à mener des enquêtes sur les menaces dans le contexte criminel moderne.

Le plan de transformation de la Police fédérale

200. Le programme de la Police fédérale n’a pas relâché sa vigilance devant ces problèmes et les hauts dirigeants de la GRC sont au fait de ces difficultés. S’appuyant sur le travail réalisé au cours des cinq dernières années, la Police fédérale a commencé à mettre en œuvre un plan de transformation pour surmonter ces difficultés. En bref, le plan s’articule autour de quatre axes.

  • Mandat : Éclaircir les enjeux prioritaires de la Police fédérale, les éléments de la portée des services et les activités du renseignement, de prévention et d’application de la loi, y compris l’harmonisation des mesures du rendement aux objectifs et activités de la Police fédérale;
  • Gouvernance : Mettre en place des structures de surveillance, de rapports et de responsabilisation plus centralisées pour la Police fédérale, y compris changer les voies hiérarchiques du personnel de la Police fédérale dans les divisions contractantes afin qu’il relève directement de la Direction générale;
  • Ressources humaines et finances : Créer des critères de recrutement et des modules de formation propres à la Police fédérale, y compris pour les enquêteurs civils et les agents chevronnés d’autres services de police, la création de parcours de carrière propres à la Police fédérale et adapter la mutation du personnel de la Police fédérale (concentrer les ressources dans les six grands centres urbains);
  • Données : Développer un point d’accès unique pour les données qui contiennent de l’information sur les opérations, le rendement, les finances et les ressources humaines, ainsi qu’un ensemble d’outils analytiques reliés à ce dépôt Note de bas de page 328 .

Ces changements devraient appuyer les initiatives de la Police fédérale, lancées en 2019, visant à centraliser et à mieux encadrer la fonction du renseignement.

201. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises dans le présent examen, des éléments de ce plan sont déjà à l’étape de la mise en œuvre. La GRC a indiqué que dans certains points, comme la gouvernance, la Police fédérale exerce maintenant un meilleur contrôle sur les ressources des divisions et peut mieux réattribuer les fonds vers de nouvelles priorités. De même, des initiatives de gouvernance clés, notamment celle voulant que les ressources fédérales relèvent directement du sous-commissaire à la Police fédérale, devraient accroître la gouvernance et la responsabilisation en faisant en sorte que toutes les ressources de la Police fédérale soient responsables devant la Direction générale plutôt que devant les divisions; mais ces changements ont été retardés ou reportés. Dans d’autres points de la réforme, comme les données, nous avons constaté une réticence importante à se conformer à l’orientation centrale (le taux de conformité de bon nombre de divisions frôle le zéro), et la mise en œuvre complète de ces éléments dépend en partie d’autres secteurs de la GRC.

202. Les efforts de la Police fédérale en vue de changer ses modèles de recrutement et de formation sont particulièrement importants. Comme le montre le présent rapport, la Police fédérale a élaboré deux initiatives de recrutement pour pallier son incapacité à recruter des employés en nombre suffisant pour reconstituer son effectif. La première, soit l’Initiative des policiers d’expérience, est un moyen attendu depuis longtemps d’intégrer des policiers d’autres organisations directement dans différents rangs de la GRC. Entre autres, l’initiative devrait apporter de nouvelles perspectives et de nouveaux talents à l’organisation. Cela dit, la Police fédérale a embauché peu de policiers d’expérience jusqu’à présent et n’a fixé aucun objectif à cette fin. Il faudra rapidement régler ces lacunes si on veut que l’initiative produise des retombées importantes.

203. La deuxième initiative de recrutement vise à attirer des civils dans les postes d’enquêteur criminel. Bien gérée, cette initiative offrirait d’importantes possibilités d’attirer un effectif diversifié aux talents, compétences et diplômes relativement rares, ce qui renforcerait la capacité de la Police fédérale de répondre à des menaces complexes et sophistiquées dans le cadre de son mandat. Or, le Comité craint que le nombre de civils recherchés (30 % de l’effectif fédéral) et le calendrier de mise en œuvre (de 10 à 15 ans) soient trop ambitieux étant donné l’absence d’un plan clair comprenant des objectifs intermédiaires. Qui plus est, le Comité redoute que la Police fédérale sous-estime les obstacles liés à l’intégration d’un nombre important de civils au sein de ses groupes et secteurs depuis longtemps occupés par des policiers.

204. La Police fédérale a aussi cherché à changer la façon dont elle forme ses employés afin qu’ils soient mieux outillés pour remplir son mandat. Sa proposition de créer une école de la Police fédérale n’a pas évolué après l’étape de la planification. Par la suite, la Police fédérale a lancé un programme de formation exclusif aux employés de la Police fédérale, y compris ceux recrutés dans le cadre des deux initiatives ci-dessus, au centre de formation de la GRC. Bien que le Comité reconnaisse l’importance d’offrir une formation uniforme et spécialisée, l’absence d’un calendrier entourant la mise en œuvre de cette formation par la Police fédérale le préoccupe.

205. Enfin, le Comité constate un décalage évident dans ce plan : de nouveaux fonds. Le plan reconnaît clairement que les défis auxquels fait face la Police fédérale découlent en grande partie de facteurs internes : le poids relatif de la Police contractuelle au sein de l’organisation; une diminution du nombre d’employés chevronnés dans le programme de la Police fédérale; une piètre gouvernance sur les fonctions des enquêtes et du renseignement; une priorisation non uniforme; un modèle de recrutement et des programmes de formation lacunaires; et des problèmes liés à l’intégrité et à l’intégration des données. Néanmoins, il est peu probable que la Police fédérale réussisse à rebâtir son effectif et à mettre en œuvre un plan de cette ampleur sans investissements ciblés et permanents.

Réforme de la Police fédérale : le gouvernement doit agir

206. En somme, la GRC reconnaît de toute évidence les problèmes qui pèsent sur le mandat de la Police fédérale. Ses nombreuses initiatives dans les domaines de la gouvernance, des données, de la priorisation, du renseignement, du recrutement et de la formation devraient améliorer la capacité de la Police fédérale de remplir son mandat, si elles sont complètement mises en œuvre. Toutefois, le Comité craint que l’élan vers le maintien du statu quo soit fort : la prépondérance du mandat de la Police contractuelle au sein de la GRC, le manque d’orientation politique propre à la Police fédérale, la complexité des problèmes que l’organisation doit affronter et la nature souvent urgente des enjeux de la Police fédérale ont tous un puissant effet dissuasif sur une réforme considérable. La GRC ne peut y arriver seule.

207. Le ministre de la Sécurité publique doit assumer un plus grand rôle. En particulier, le ministre devrait fournir à la GRC une orientation pour chacun des grands secteurs qui doivent être réformés selon le gouvernement. Comme indiqué au paragraphe 108 à 110, bien que le principe de l’indépendance de la police empêche le ministre de fournir une orientation dans le champ précis des enquêtes policières, des arrestations et des accusations, il n’empêcherait pas une orientation dans les grands domaines de la réforme institutionnelle et des priorités du gouvernement. Il s’agit d’une importante étape pour renforcer la responsabilisation démocratique de la Police fédérale. Tout au moins, le Comité est d’avis que la gouvernance, les contrôles financiers, et le recrutement et la formation devraient en faire partie. Cette orientation doit aussi comprendre les attentes du ministre sur tous les aspects de l’orientation, les objectifs intermédiaires et finaux clairs, et des exigences en matière de production annuelle de rapports, semblables à celles ayant trait aux rapports fournis au ministre par le SCRS. Elle doit faire l’objet de mises à jour périodiques afin d’en assurer la pertinence compte tenu de circonstances changeantes. Il s’agirait d’un symbole puissant de la volonté politique et d’un important mécanisme visant à renforcer la responsabilisation du ministre pour la GRC.

208. En outre, les finances sont un autre point problématique. Le Comité est d’avis que le gouvernement devrait mettre en place des mesures plus rigoureuses pour s’assurer que les ressources fédérales sont consacrées aux priorités fédérales. Bien que ce ne soit pas une mince affaire, des changements apportés au cadre financier actuel de la GRC devraient rendre le tout possible. Tout aussi important, le gouvernement doit déterminer si le programme de la Police fédérale nécessite plus de ressources. Le Comité réitère que la GRC est la seule organisation en mesure d’assumer plusieurs responsabilités et rôles fédéraux essentiels, et pourtant la Police fédérale doit surmonter des défis considérables pour les exercer. Les finances actuelles de la Police fédérale ne lui offrent pas la flexibilité de s’attaquer à ces défis. Par conséquent, elle devra maintenir le statu quo sous-optimal (le nombre actuel d’employés fédéraux se concentrant sur un nombre limité de priorités), demander une orientation au gouvernement sur les secteurs sur lesquels elle devrait recentrer ses ressources (c’est-à-dire que l’attention sur certains secteurs serait réduite), ou demander de nouvelles ressources pour rebâtir sa capacité de mener des enquêtes prioritaires. Cette décision ne devrait pas être laissée à la GRC. C’est au gouvernement que cette tâche revient lorsqu’il précisera à la GRC le rôle qu’il s’attend à ce que la Police fédérale joue dans l’ensemble du Canada.

209. Parallèlement aux domaines à améliorer susmentionnés, le gouvernement devrait déterminer si les objectifs de la transformation de la Police fédérale — l’utilisation adéquate des ressources et la capacité d’affecter ces ressources en vue de l’atteinte des objectifs de la Police fédérale — nécessitent des changements à la structure organisationnelle de la GRC. L’éventail des possibilités est large. Une plus grande indépendance au sein de la GRC pourrait permettre à la Police fédérale de faire face à ses plus grands défis et de se concentrer sur son mandat principal, tout en profitant des avantages opérationnels (l’échange d’information et la mise en place de partenariats, par exemple), et de la synergie des services organisationnels communs, comme les ressources humaines et les finances. Un récent exemple pertinent est la mise en place du Centre canadien pour la cybersécurité par le gouvernement comme élément du Centre de la sécurité des télécommunications. En revanche, ou de manière itérative, il est peut-être temps que le Canada envisage une organisation indépendante de la Police fédérale Note de bas de page 329 . Dans tous les cas, la plupart des réformes que la GRC met actuellement en place cherchent à isoler ses responsabilités et ses opérations fédérales du reste de l’organisation. Toutefois, le Comité estime que bon nombre des changements les plus essentiels tireront profit d’une orientation claire du gouvernement fédéral. La seule composante de la GRC pour laquelle le gouvernement fédéral est l’unique responsable est la Police fédérale : il doit préciser que le mandat est une priorité et qu’il appuie les réformes dans ce domaine.

210. Dans l’éventualité où des changements sont apportés à la structure, le gouvernement devrait tenir compte des répercussions possibles de ces changements sur la relation opérationnelle entre la Police fédérale et la Police contractuelle. Dans un tel cas, le gouvernement devrait déterminer si d’autres modèles de services de police peuvent être mis en place (par exemple, au Québec, les corps de police municipaux fournissent des services selon la taille de la population et disposent d’une capacité d’intensification si des services additionnels sont requis). Lorsqu’il prépare des changements à la structure, le gouvernement devrait aussi consulter les provinces, les territoires et les communautés autochtones afin que les changements apportés à la Police fédérale soient entièrement compris et que leur mise en œuvre soit coordonnée.