Chapitre 6 : Questions thématiques
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada

123. Au cours de l’examen, le Comité a constaté que bon nombre des difficultés cernées par la Police fédérale persistaient entre les domaines d’activités. Par exemple, les problèmes d’intégrité des données ou de gestion financière touchent toutes les facettes du travail de la Police fédérale. Plusieurs thèmes communs sont ressortis tout au long du processus d’examen, c’est-à-dire : les finances et les ressources humaines, le recrutement et la formation, les données, l’établissement des priorités, et le renseignement. Dans le chapitre qui suit, le Comité se penche sur chacun de ces domaines thématiques tour à tour.

Finances et ressources humaines

Finances

124. La structure financière de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est complexe. Pour l’exercice 2022-2023, son budget total de 6 milliards de dollars est composé de crédits votés et législatifs (4,23 milliards de dollars) et de recettes disponibles (1,76 milliards de dollars) provenant principalement des provinces et des territoires Note de bas de page 217 . La majorité des fonds (89 %) est attribuée aux opérations de la GRC sous forme de rémunération des employés (65 %) et de fonctionnement et entretien (24 %) Note de bas de page 218 , et le reste sert aux dépenses en capital (4 %), aux subventions et aux contributions, et aux avantages sociaux prévus par la loi (7 %), qui sont presque complètement consacrés aux pensions d’invalidité pour les policiers blessés en service. Le budget de la GRC est composé en grande partie d’affectations à but spécial, qui sont des fonds qui peuvent seulement servir à des initiatives à court terme ou à des programmes précis et qui ne peuvent pas être réattribués pour agir sur d’autres pressions financières. La distribution de fonds à travers les quatre principales responsabilités de la GRC montre que la Police contractuelle compte pour la majorité (57 %) des dépenses de la GRC (voir le graphiquec5 ci-dessous) Note de bas de page 219 .

Graphique 5 : Projets cotés, par année (par priorité)

Longue description

Composition du financement par facteur d'intrant

  • Subventions et contributions et Autorisations législatives, 7 %
  • Régime d'avantages sociaux des employés, 9 %
  • Dépenses d'immobilisations, 4 %
  • Dépenses non salariales, 24 %
  • Dépenses salariales, 56 %

Répartition des fonds de fonctionnement 2022-2023

  • Services internes, 13 %
  • Services nationaux de police, 12 %
  • Services de police fédérale, 18 %
  • Services de police contractuels et autochtones, 57 %

Source : GRC, « Structure financière de la GRC et finances de la Police fédérale », présentation au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, 2 décembre 2022.

125. Entre les exercices 2016-2017 et 2020-2021, les fonds accordés à la GRC à titre d’organisation ont augmenté (voir le tableau 1). Diverses raisons expliquent ces augmentations, comme de nouvelles initiatives (p. ex., les groupes d’enquête sur la cybercriminalité en 2018), mais la plus importante augmentation a découlé d’un nouveau modèle de financement pour la Police contractuelle, notamment un nouveau financement complémentaire (2018-2019), des ajustements financiers (en 2019-2020, la GRC a reçu un paiement ponctuel de près d’un milliard de dollars pour répondre aux rajustements actuariels des régimes d’avantages sociaux des employés), la négociation collective, les augmentations salariales pour certaines catégories d’employés et un financement ponctuel pour de grands événements (p. ex., le G7). Une petite partie de cette augmentation a servi à accroître la capacité opérationnelle de la GRC.

126. Tout comme d’autres ministères, la GRC avait des fonds inutilisés à la fin de l’année; elle ne pouvait donc pas dépenser les fonds lui étant attribués et l’argent a été retourné dans le cadre financier. Au cours de cette même période de cinq ans, la GRC a soulevé des préoccupations relativement à l’intégrité des programmes (c’est-à-dire que son budget ne suffisait pas à couvrir les dépenses nécessaires pour répondre à ses responsabilités organisationnelles) dans les domaines de la Police fédérale, des Services de police spécialisés et de certains programmes habilitants, comme le recrutement (la plupart de ces pressions subsistent). Même si les fonds inutilisés annuels semblent considérables, la GRC ne pouvait pas réattribuer les fonds pour répondre à ses enjeux d’intégrité des programmes, car la majorité des fonds inutilisés venaient d’affectations à but spécial Note de bas de page 220 . Par exemple, en 2017-2018, la GRC avait 261 M$ en fonds inutilisés, dont 5 M$ provenant de fonds législatifs inutilisés (sans inclure les 121 M$ reportés à un exercice ultérieur), représentant plus de 7 % de son autorisation de dépenses totale en fonds inutilisés pour l’exercice financier. Or, de ce montant, environ 204 M$ venaient d’affectations à but spécial, qui ne pouvaient être réattribuées. Par conséquent, 52 M$ des revenus totaux de la GRC (1,5 %) n’ont pas pu être utilisés. Compte tenu de ces facteurs, la GRC n’a pas utilisé de 1 % à 3 % de ses autorisations finales de dépenser pour les derniers exercices, la majorité venant d’affectations à but spécial, de fonds pour les dépenses de capital liées à des projets spéciaux et de subventions pour les pensions d’invalidité.

Tableau 1 : Pouvoirs de dépenses et fonds inutilisés de la GRC, 2016-2020.

GRC (Tous) 2016-2017 2017-2018 2018-2019 2019-2020 2020-2021
Autorités 3 306 749 745 3 593 218 945 4 094 866 936 5 045 053 533 4 025 481 830
Dépensés 3 017 626 084 3 210 983 890 3 789 228 428 4 732 973 923 3 827 365 703
Surplus/déficit 289 123 661 383 235 055 306 638 508 312 079 610 198 116 127
Report supplémentaire 0 121 147 476 12 026 723 0 74 787 048
Surplus/déficit 289 123 661 261 087 579 293 611 785 312 079 610 123 329 079

Y compris les frais de santé, le régime d'avantages sociaux des employés et d'autres items de crédit législatif. Source: Comptes publics

Source : GRC, « Structure financière de la GRC et finances de la Police fédérale », présentation au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, 2 décembre 2022.

127. La même tendance a été observée dans le programme de la Police fédérale de la GRC (voir le tableau 2). Le budget de la Police fédérale (les « pouvoirs ») est demeuré relativement stable au cours des cinq dernières années. Pendant cette période, très peu de ressources ont été inutilisées et, dans de nombreux cas, elles ne pouvaient pas être réattribuées, car elles venaient d’une affectation à but spécial ou d’une pension d’invalidité (comme susmentionné, un avantage prévu par la loi). Par exemple, les fonds inutilisés de 111 millions de dollars en 2018-2019 comprenaient des fonds servant à la sécurité au Sommet du G7 à Charlevoix, au Québec (77 M$) et aux opérations de maintien de la paix (17 M$).

Tableau 2 : Pouvoirs de dépenses et fonds inutilisés de la Police fédérale, 2016-2020.

Police fédérale 2016-17 2017-18 2018-19 2019-20 2020-21
Autorités 867 811 976 1 002 406 458 1 069 242 113 1 153 350 350 958 903 137
Dépensés 842 453 420 910 017 621 955 021 495 1 093 472 764 890 171 085
Surplus/déficit 25 358 556 92 388 837 114 220 618 59 877 586 68 732 052
Report supplémentaire - 82 919 489 2 547 000 - 7 863 779
Surplus/déficit 25 358 556 9 469 348 111 673 618 59 877 586 60 868 273

Y compris les frais de santé, le régime d'avantages sociaux des employés et d'autres items de crédit législatif. Source : Comptes publics

Source : GRC, « Structure financière de la GRC et finances de la Police fédérale », présentation au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, 2 décembre 2022.

128. Cela dit, deux enjeux sont dignes de mention. D’abord, les coûts complets de la Police contractuelle de la GRC ne sont pas indiqués dans les ententes sur le service de police. Il ne s’agit pas d’un nouveau problème. En 1992, le vérificateur général a conclu que la GRC dépensait 100 M$ additionnels par année pour répondre à ses obligations en application des ententes sur les services de police Note de bas de page 221 . Dans son évaluation de la GRC de 2017, KPMG a calculé que la GRC dépensait 668 M$ en fonds fédéraux pour répondre aux exigences de la Police contractuelle. Cette dépense n’est pas un transfert direct, mais plutôt des coûts indirects additionnels pour les secteurs de programme, comme le recrutement, la formation et la gestion de l’information, qui viennent appuyer la Police contractuelle de la GRC. Néanmoins, c’est dire que les ressources ne sont pas disponibles ailleurs à la GRC, y compris dans la Police fédérale. Comme l’a indiqué KPMG,

[traduction] Nonobstant les pressions précises, les défis en matière de capacité ont principalement eu pour effet de réorienter le niveau d’effort, qui est ainsi passé du crime grave et organisé/de la criminalité financière aux menaces à risque élevé pour la sécurité nationale/aux services de protection. Malgré ce qui précède, le taux de criminalité au Canada est à la baisse depuis 2012, tandis que la présence des services de police à contrat de la GRC continue d’augmenter dans le pays Note de bas de page 222 .

129. Ensuite, la capacité de la GRC de gérer son budget de la Police fédérale n’a été possible que par la diminution du nombre de policiers dans le programme au cours de la même période. Dans les huit années qui se sont écoulées entre 2014-2015 et 2021-2022, le nombre d’employés à temps plein de la Police fédérale a diminué de 485 personnes, dont la majorité était des policiers (ce point est examiné plus en détail aux paragraphes 135 et 138). Les fonds liés à ces postes vacants ont servi à maintenir les enquêtes et les activités du mandat de la Police fédérale. Comme l’ont fait remarquer des représentants de la GRC dans un exposé devant le Comité, si le programme de la Police fédérale pourvoyait tous ses postes vacants, il dépasserait son budget de 50 à 80 M$, à tout le moins Note de bas de page 223 .

Ressources humaines

130. Au 1er avril 2022, la GRC comptait environ 30 000 membres du personnel. La majorité d’entre eux sont des membres réguliers (environ 19 580 employés, soit 63 % de tous les employés). La Police contractuelle compte pour environ les deux tiers de la GRC (approximativement 18 400 employés de toutes les catégories), et le reste des employés sont répartis entre les trois autres secteurs : la Police fédérale, les Services de police spécialisés et les Services internes.

131. Le modèle de formation et de recrutement de la GRC est orienté vers ses obligations liées à la Police contractuelle en application des ententes sur les services de police. Pour remplir ces obligations, la GRC suit un modèle de formation et de recrutement généraliste permettant de fournir des agents de police de première ligne.

132. Tous les agents de police recrues de la GRC doivent satisfaire à une liste de qualifications et d’exigences. Les candidats doivent être âgés d’au moins 18 ans et être un citoyen canadien ou un citoyen permanent, maîtriser le français ou l’anglais, détenir un permis de conduire valide, posséder un diplôme d’études secondaires canadien ou l’équivalent, et répondre aux normes de la GRC en matière de santé, de bien-être psychologique, d’acuité visuelle et auditive, et de conditionnement physique. Les candidats doivent aussi consentir à porter et à utiliser une arme à feu ou à recourir à toute autre force nécessaire, à fréquenter l’École de la GRC, à travailler n’importe où au Canada, à travailler par quarts de travail et à se conformer à certaines normes, comme l’uniforme et le comportement Note de bas de page 224 .

133. Lorsqu’ils se joignent à la GRC, les membres réguliers suivent une formation de six mois et demi à l’École de la Gendarmerie royale du Canada, ou à la Division Dépôt, en Saskatchewan. Le programme de la Division Dépôt est axé presque entièrement sur le soutien aux services de police généraux et ne fait qu’aborder rapidement le mandat fédéral. À la Division Dépôt, les recrues apprennent les compétences de police de base, notamment :

  • 428 heures de sciences policières appliquées, y compris les procédures d’arrestation et d’enquête, d’habiletés pour la communication, et de connaissances des lois appropriées, y compris la Charte canadienne des droits et libertés et le Code criminel;
  • 104 heures de formation sur les armes à feu;
  • 94 heures de tactiques de défense policières;
  • 67 heures de conduite policière;
  • 45 heures de conditionnement physique pour les opérations;
  • 38 heures d’exercice et de maintien, y compris le défilé et l’entretien de l’équipement;
  • 41 heures dans d’autres champs, comme les examens;
  • 6 heures sur le mandat fédéral de la GRC, y compris les priorités fédérales, les lois fédérales, les questions liées au crime organisé et le rôle du renseignement Note de bas de page 225 .

134. Au cours des dernières années, la GRC a éprouvé des difficultés à recruter et à former un nombre suffisant d’agents de police. Plusieurs facteurs expliquent la situation, notamment un marché du travail où la concurrence est féroce et des attentes changeantes relatives aux emplois (p. ex., moins de gens sont prêts à accepter les exigences en matière de mobilité). Néanmoins, la GRC a réussi à augmenter cumulativement son recrutement de membres réguliers par environ 350 personnes, dont la plupart ont servi à combler les lacunes liées aux ressources dans les administrations contractantes Note de bas de page 226 . Les changements dans le nombre d’équivalents temps plein de la GRC, ventilés par classification des employés, sont montrés dans le tableau 3.

Tableau 3 : Équivalents temps plein de la GRC

Groupes de type d'emploi 2013-14 2014-15 2015-16 2016-17 2017-18 2018-19 2019-20 2020-21 2021-22
M.R. 18270 17 933 18 085 18 152 18 226 18 462 18 866 18 843 18 616
M.C. 3 661 3 524 3 521 3 521 3 353 3 180 3 030 2 861 2 729
Fonct. 5 622 5 694 5 785 5846 6 109 6 566 6 953 7 430 7 696
Durée déterminée 1 481 1 002 938 927 1 068 1047 1 085 1 037 1 084
Total 29 033 28 154 28 330 28 446 28 756 29 254 30 935 30 171 30 125
Variation d'une année à l'autre - (878) 176 115 311 498 881 236 (46)
Variation cumulative - (878) (702) (587) (276) 222 902 1 138 1 092

Source : GRC, réponses aux questions du Comité, 29 août 2022.

135. À l’inverse, la Police fédérale est confrontée à un bassin de recrutement de plus en plus petit. Les neuf dernières années à la Police fédérale ont été marquées par une baisse cumulative de près de 600 membres réguliers Note de bas de page 227 , malgré les fonds reçus pour pourvoir 500 postes additionnels au cours de la même période Note de bas de page 228 . En 2018, Sécurité publique Canada (SP) a relevé que la GRC n’était pas en mesure de remplir son mandat de Police fédérale en raison de ses obligations dans le cadre des ententes sur les services de police. SP a observé que le taux de poste vacant de la Police fédérale s’élevait à 9,4 %, comparativement à 3,7 % pour la Police contractuelle (à ce moment, la Police fédérale représentait 23 % des postes de membres réguliers prévus au budget de la GRC, mais constituait environ 40 % du taux de postes inoccupés global de la GRC). Note de bas de page 229 Pendant l’exercice 2022-2023, le taux de postes inoccupés de la Police fédérale s’élevait à 13 % pour les membres réguliers Note de bas de page 230 . Les changements dans le personnel au sein de la Police fédérale sont illustrés dans le tableau 4.

Tableau 4 : Équivalents temps plein de la Police fédérale

Groupes de type d'emploi 2013-14 2014-15 2015-16 2016-17 2017-18 2018-19 2019-20 2020-21 2021-22
M.R. 3976 3 829 3 634 3 533 3493 3 526 3518 3 499 3 390
M.C. 434 483 486 498 488 480 462 441 417
Fonct. 702 716 695 694 750 813 807 856 869
Durée déterminée 210 110 138 144 171 145 159 158 161
Total 5 322 5 137 4 953 4 869 4 901 4 965 4 945 4 954 4 837
Variation d'une année à l'autre - (184) (184) (84) 33 63 (19) 9 (117)
Variation cumulative - (184) (369) (453) (420) (357) (377) (368) (485)

Source : GRC, réponses aux questions du Comité, 29 août 2022.

136. Cet écart s’explique par deux raisons. La première est que les ententes sur les services de police conclues avec les provinces et les territoires obligent sur le plan légal la GRC à maintenir (ou à augmenter sur demande) le personnel dans les administrations contractantes, peu importe ses autres priorités. Par conséquent, les obligations contractuelles de la GRC ont priorité lorsqu’il est question de pallier la pénurie de personnel. La deuxième est que le modèle de recrutement de la Police fédérale était, jusqu’à récemment, complètement dépendant des grandes stratégies, politiques et campagnes de recrutement de la GRC dans son ensemble. Cette dépendance a limité la capacité de la Police fédérale à recruter par elle-même des personnes ayant fait des études poussées ou possédant des compétences spécialisées, particulièrement dans les domaines de la cybercriminalité et de la criminalité financière. La Police fédérale n’a pas pu recruter un nombre suffisant d’agents possédant l’expérience et les compétences requises pour suivre le rythme de la demande créée par les départs à la retraite de membres réguliers. Le Comité se penche à présent sur le recrutement au sein de la Police fédérale.