Chapitre 2: Le cadre juridique
Rapport spécial sur la collecte, l’utilisation, la conservation et la diffusion de renseignements sur les Canadiens dans le contexte des activités de renseignement de défense du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes

Les fondements juridiques pertinents au renseignement de défense

22. Le déploiement des membres des FAC et des employés du MDN, pour l'exécution entre autres d'activités du renseignement de défense, est régi par les lois canadiennes et internationales. Dans le cadre de l'examen de 2018 du Comité sur les activités du renseignement de défense du MDN/FAC, la juge-avocat général a donné les explications suivantes :

  • Toutes les opérations des FAC sont autorisées par la loi.
  • Toutes les opérations des FAC sont menées conformément à la loi.
  • Alors que la source de l'autorisation légale peut varier :
    • Toutes les opérations nationales doivent avoir trouvé un fondement juridique dans les lois du Canada, et être menées conformément aux lois du Canada;
    • Toutes les opérations à l'étranger doivent trouver un fondement juridique dans les lois du Canada et le droit international, et doivent être menées conformément aux lois du Canada et au droit international applicable Note de bas de page 32 .

23. Le MDN/FAC mène des activités du renseignement de défense à l'intérieur d'un cadre juridique unique et complexe. L'autorisation pour le MDN/FAC de mener la majorité de ces activités découle de la prérogative de la Couronne, alors que d'autres autorisations se trouvent dans les lois fédérales. Le MDN/FAC est également assujetti à d'autres instruments légaux internationaux et au droit international coutumier ayant force exécutoire, qui ont parfois une incidence sur la conduite des activités du renseignement de défense. Ces activités sont également assujetties à de nombreux instruments politiques, notamment des politiques gouvernementales générales, des directives et des autorisations ministérielles, des procédures et des politiques internes, des directives fonctionnelles et des ordres émis par la chaîne de commandement militaire. Le Rapport de 2018 du Comité décrit en vertu de quelles autorisations légales le MDN/FAC mène ses activités du renseignement de défense, et de quelle manière ces autorisations appuient la responsabilité du ministère et du ministre pour leur emploi. Les parties pertinentes du rapport sont résumées ici par soucis de commodité.

La prérogative de la Couronne

24. En plus des autorisations légales qui sont prévues par la Loi constitutionnelle, 1867 et la Loi sur la défense nationale, la prérogative de la Couronne constitue le principal fondement juridique pour le déploiement des FAC. Elle représente aussi la source d'où le MDN/FAC prend son autorité pour mener les activités du renseignement de défense qui y sont associées. La prérogative de la Couronne est une source de pouvoir et de privilège exécutif qui est accordée par la common law à la Couronne, dans des circonstances où l'a utorité de la Couronne n'est pas a utrement limitée Note de bas de page 33 . Le théoricien constitutionnel britannique A.V. Dicey décrit que la prérogative de la Couronne entant que [traduction] « résidu du pouvoir discrétionn aire ou arbitraire, qui reste toujours aux mains de la Couronne Note de bas de page 34 . » Plus simplement, la prérogative de la Couronne est l'autorité exercée par le gouvernement pour prendre des décisions dans des domaines où les « mains de la Couronne » ne sont pas liées par la Constitution, une loi du Parlement ou une décision de la cour qui interprète la portée des pouvoirs du gouvernement.

25. Dans des termes plus généraux, l'autorisation de mener des activités du renseignement de défense est accessoire à l'autorisation de déployer des forces militaires. Comme l'a mentionné le MDN/FAC, [traduction] « l'autorisation de mener des activités du renseignement de défense est implicite lorsque le MDN/FAC est mandaté, en vertu des lois ou de l'exercice de la prérogative de la Couronne, de mener des opérations millitaires et d'autres activités de défense Note de bas de page 35 . » Ni la Loi sur la défense nationale ni aucune autre loi ne contient de disposition qui régit spécifiquement la conduite d'activités du renseignement de défense par le MDN/FAC dans le contexte de l'exécution de son mandat de base.

26. Le MDN/FAC a déclaré que la conduite d'activités du renseignement de défense en vertu de la prérogative est conditionnelle à l'exigence d'un « lien raisonnable » entre les activités du renseignement de d éfe nse et la mission de défense, qui est censé servir de [traduction] « contraintes aux activités du renseignement de défense36. » En 2013, le MDN/FAC a officialisé l'exigence de ce lien dans la Directive ministérielle sur le renseignement de défense.

Le cadre juridique des activités du renseignement de défense qui sont menées au Canada

27. Les activités du renseignement de défense peuvent appuyer les opérations nationales du MDN/FAC. Ces opérations sont autorisées en vertu des lois ou par l'exercice de la prérogative de la Couronne.

28. Lorsque des activités de renseignement servent à appuyer des opérations nationales, leur portée est circonscrite par la loi, par les responsabilités individuelles des divers ministères et organismes, et par l'équilibre des pouvoirs entre les compétences fédérales et provincia les. En ce qui concerne les lois nationales, le MDN a précisé plusieurs sources de droit Note de bas de page 37  :

  • La loi sur la défense nationale : l'article 273.6 de la Loi pe rmet au MDN/FAC d'accomplir des tâches de service public et de prêter assistance dans des questions d'application de la loi. La partie VI de la Loi détermine les circonstances dans lesquelles les FAC peuvent venir en aide au pouvoir civil (à savoir, intervenir en cas d'émeutes ou de troubles à la paix qui ne peuvent être réglés sans l'aide du MDN/FAC).
  • La Charte canadienne des droits et libertés : Les activités de renseignement du MDN/FAC ne doivent pas enfreindre les dispositions de la Charte, particulièrement l'article 7 (le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne) et l'article 8 (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives).
  • Le Code criminel : Les activités de renseignement du MDN/FAC ne doivent pas enfreindre le Code criminel, notamment les articles sur l'interception des communications privées.
  • La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels : Les activités et les pratiques de conservation liées au renseignement du MDN/FAC doivent être conformes aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

29. Dans la plupart des cas, le MDN/FAC mène ses opérations au Canada à l'appui d'autres ministères ou organismes du gouvernement, à la demande officielle de leur ministre. Dans de tels cas, ces opérations, y compris les activités du renseignement de défense, sont menées en vertu des pouvoirs légaw,: de l'entité appuyée par le MDN/FAC. Comme l'a indiqué la juge-avocat général, [traduction] « lorsque les FAC soutiennent une autre organisation, leurs pouvoirs ne sont pas supérieurs à ceux de l'organisation appuyée Note de bas de page 38 . » En bref, le MDN/FAC peut mener une activité de renseignement (par exem ple, intercepter des communications) en appui à une autre organisation fédérale (par exemple, la Genda rmerie royale canadienne), uniquement si cette organisation dispose elle-même de l'autorisation de le faire (par exemple, un mandat de la cour).

Le cadre juridique des activités du renseignement de défense qui sont menées dans les opérations internationales

30. Les activités du renseignement de défense en appui aux opérations internationales du MDN/FAC sont surtout menées sous l'autorité de la prérogative de la Couronne. Le MDN/FAC est également soumis aux instruments du droit international qui abordent les activités du renseignement de défense, tels que la Charte des Nations Unies, les Conventions de Genève et d'autres conventions et règles coutumières prévues dans le droit des conflits armées.

31. Le MDN/FAC a noté que la source précise de droit national ou international qui peut avoir une incidence sur une activité du renseignement de défense varie selon les circonstances de chaque cas, notamment :

  • Le lieu de l'opération;
  • Si l'opération est menée à l'invitation d'un pays étranger ou sous les auspices d'une résolution des Nations Unies;
  • Si l'opération est menée dans le cadre d'un conflit armé international reconnu, auxquels s'appliquent des instruments précis de droit international et de droit humanitaire international;
  • Si une activité particulière est réputée contrevenir au droit international ou au droit humanitaire international.

L'application extraterritoriale du droit canadien

32. Le droit canadien suit le MDN/FAC. Cependant, il n'est pas toujours clair de savoir si une loi canadienne s'applique à l'extérieur du Canada. Cette section comporte des exemples sur la manière dont les lois canadiennes peuvent s'appliq uer à l'extérieur du territoire. Elle fournit aussi un exemple ***

Le Code criminel

33. Que ce soit au Canada ou dans un déploiement à l'étranger, les membres des FAC sont assujettis au Code de discipline militaire, qui figure à la partie ill de la Loi sur la défense nationale Note de bas de page 39 . Ce Code s'applique aussi au personnel du MDN qui accompagne les FAC dans les missions internationales. Il étend l'application d u droit criminel canad ien aux emplacements à l'étranger. Ainsi, si un membre des FAC (ou dans certains cas, un employé du MDN) commet une infraction criminelle, il peut être accusé d'une infraction militaire dans le système de justice militaire du Canada Note de bas de page 40 . Le terme « infraction militaire » comprend une infraction au terme de la Loi sur la défense nationale, du Code criminel ou d'autres lois du Parlement, commise par une personne alors qu'elle est soumise au Code de discipline militaire Note de bas de page 41 .

34. Certaines parties du Code criminel ont trait directement aux activités du renseignement de défense. Par exemple, les activités du renseignement de source électromagnétique (SIGINT) entraînent un risque élevé d'interception de communications privées, ce qui constitue un acte criminel si l'activité qui a mené à l'interception a été réalisée sans autorisation judiciaire (un mandat, par exemple). Puisq ue le Code de discipline militaire étend l'application du Code criminel aux territoires étrangers, les membres du MDN/FAC qui interceptent des communications en provenance ou à destination du Canada pourraient s'exposer à des poursuites. Bien q ue certaines infractions ne s'appliq uent pas aux membres du MDN/FAC Note de bas de page 42 , le Code criminel ne comporte pas d'exception pour les interceptions qui ont lieu dans le cadre d'une mission militaire autorisée par la loi.

35. En vertu de la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale, le ministre de la Défense nationale pouvait autoriser le CST à intercepter des communications privées si certaines conditions prévues dans la loi étaient réunies Note de bas de page 43 . Lorsqu'une telle autorisation était en place, la partie VI du Code criminel ne s'appliquait pas à l'interception de communications privées Note de bas de page 44 . L'interception de communications privées en vertu de la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale, lorsque le ministre l'avait autorisée, ne constituait pas alors une infraction criminelle. Lorsque le MDN/FAC menait des activités SIGINT sous l'autorité du CST, le personnel du MDN/FAC était soumis aux autorisations du ministre, et était égaler1ent exempté de l'application de la partie VI du Code criminel à cet effet Note de bas de page 45 . Cela dit, le MDN/FAC devait également respecter les obligations, les politiques et les procéd ures légales en place pour le CST afin de protéger les renseignements personnels des Canad iens, notamment l'interd iction absolue de viser des Canadiens ou toute personne au Canada dans le cadre de ses activités de renseignement étranger SIGINT Note de bas de page 46 .

La Loi sur la protection des renseignements personnels

36. La Loi sur la protection des renseignements est la loi qui régit les pratiques liées aux renseignements personnels des institutions du gouvernement fédéral, y compris le MDN/FAC Note de bas de page 47 . Cette loi s'applique à la façon dont les renseignements personnels sont recueillis, utilisés et communiq ués par les institutions fédérales. Elle donne aussi le droit aux Canadiens d'accéder aux renseignements personnels les concernant qui sont gardées par ces institutions Note de bas de page 48 . Dans la plupart des cas, l'information qui est recueillie à la suite d'activités de renseignement, y compris dans le cadre des activités du renseignement de défense, constituent des renseignements personnel au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels Note de bas de page 49 .

37. Aucune jurisprudence n'existe concernant l'application ou non de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l'extérieur du territoire du Canada. [*** Les paragraphes 37-40 ont été revus pour retirer de l'information préjud iciable ou privilégiée. Ils décrivent des consultations qui ont eu lieu entre ministères. ***] *** Note de bas de page 50

38. *** Note de bas de page 51 *** Note de bas de page 52

39. ***

40. *** *** Note de bas de page 53

La Charte canadienne des droits et libertés

41. La Charte s'applique clairement a ux activités de renseignement du MDN/FAC sur le territoire canadien Note de bas de page 54 . Son application aux activités du renseignement de défense à l'extérie ur du territoire est moins claire. [*** Le reste du paragra phe a été supprimé pour retirer de l'information préjudiciable ou privilégiée. Il traite de l'application extraterritoriale de la Charte. ***] Note de bas de page 55

42. Le droit canadien offre des protections constitutionnelles solides contre l'intrusion du gouve rnement dans la vie des Canadiens. Si la Charte s'appliquait aux activités du renseignement de défense extraterritoriales du MDN/FAC, ces activités devraient se conformer, par exemple, à l'article 8 de la Charte, qui prévoit que « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies a busives. » Générale ment, une fouille ou une saisie sera jugée raisonnable si elle est autorisée par la loi (le plus souvent dans u n statut) que cette loi est raisonnable, et la manière dont la fouille et la saisie sont menées est raisonnable Note de bas de page 56 . Dans la plupart des cas, l'État ne peut pas intervenir lorsqu'il y a des attentes raisonnables à l'égard du respect de la vie privée, à moins que l'activité en question de l'État a it été autorisée par un juge.

43. Dans le contexte de la sécurité nationale et du renseignement, deux lois se rapportent à cet examen (en plus du Code criminel, expliqué a ux paragraphes 33-35) Note de bas de page 57 . La première régit les activités du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au Canada et à l'extérieur, à savoir la Loi sur le SCRS : « Le Service recueil le, au moyen d'enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et ana lyse et conserve les informations et re nseignem ents sur les activités dont il existe des motifs ra isonna bles de soup çonner qu'el les constituent des menaces envers la sécurité du Canada. » Le directeur du SCRS peut, au besoin selon le contexte d'une enq uête du genre, faire une demande au près d'un juge désigné de la Cour fédérale pour un mandat l'autorisant à utiliser certaines mesures intrusives dans le cadre de la collecte de renseignement. L'activité a utorisée peut comprendre l'interception de communications privées de Canadiens, ou la saisie de dispositifs qui contiennent des renseignements personnels. Le juge désigné peut imposer des conditions qu'il j uge a ppropriées. L'a utorisation accordée au SCRS par la Cour fédérale peut s'appliquer au renseignement sur des Canadiens au pays ou à l'étranger. La partie VI du Code criminel (interception de communications privées) ne s'applique pas aux cas où l'interception est autorisée par un mandat Note de bas de page 58

44. La deuxième loi qui se rapporte est la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale (Centre de la sécurité des télécommunications), qui autorisait un certain niveau d'intrusion dans la vie privée des personnes. Entre autre choses, la partie V.1 de la Loi conférait au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) le mandat d'acquérir et d'utiliser de l'information de l'infrastructure mondiale d'information dans le but de fournir des renseignements étrangers en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement Note de bas de page 59 . Elle interdisait aussi au CST de viser les Canadiens à l'étranger ou toute personne au Canada dans ses activités. Celles-ci devaient aussi être soumises à des mesures pour protéger la vie privée des Canadiens dans l'utilisation et la conservation de l'information interceptée. En vertu de cette Loi, le ministre de la Défense nationale pouvait autoriser le CST à intercepter des communications privées dans l'exécution de son mandat, pourvu que les conditions établies dans la Loi fussent réunies.

45. Toutefois, les sources d'autorisations légales pour interférer avec les droits qui sont protégés par la Charte ne se limitent pas aux lois. Les tribunaux canadiens ont reconnu que dans certains cas restreints, le Common Law peut accorder suffisamment d'autorité pour mener une fouille ou une saisie Note de bas de page 60 . Ces cas se sont limités pour l'instant aux actions des forces de l'ordre. Aucune jurisprudence n'existe à l'heure actuelle laissant croire que le droit commun fournit une justification suffisante pour l'utilisation de méthodes ou de techniques intrusives dans le contexte des activités de sécurité nationale et de renseignement, y compris les activités du renseignement de défense.