Chapitre 1 : Menaces et conséquences pour la Police fédérale
Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada

12. L’environnement opérationnel dans lequel la GRC mène ses activités de la Police fédérale est complexe. Plus particulièrement, deux tendances puissantes et étroitement liées, à savoir la mondialisation et l’informatisation Note de bas de page 17 , exercent une influence considérable sur la perpétration de crimes et la conduite d’enquêtes et façonnent les principales menaces criminelles auxquelles se heurtent le Canada et ses alliés. Le présent chapitre examine brièvement ces questions, aborde les principales menaces criminelles et souligne leurs répercussions sur le programme de la Police fédérale.

Mondialisation de la criminalité

13. Bon nombre des menaces criminelles graves sont mondiales. Les mêmes tendances qui ont accéléré la circulation des personnes, de l’argent, de l’information et de la marchandise, à savoir la libéralisation du commerce et la déréglementation et la croissance exponentielle des modalités de transport et des échanges, ont également profité aux groupes criminels organisés, tant ceux qui existaient déjà que les nouveaux Note de bas de page 18 . Ces groupes se servent des industries du transport maritime et de la livraison de colis pour faire le trafic transfrontalier de larges quantités de marchandises illicites Note de bas de page 19 . Un « système financier clandestin parallèle » mondial favorise un large éventail d’activités criminelles, qui vont du commerce de drogues illicites jusqu’à l’évasion fiscale en passant par le blanchiment d’argent Note de bas de page 20 . Le commerce des drogues illicites est le plus grand marché criminel du Canada, et beaucoup de ces drogues proviennent de l’étranger Note de bas de page 21 . Selon une étude universitaire, en 2014, environ 8 % de l’économie mondiale, soit environ 7 600 milliards de dollars américains, était dissimulé dans les paradis fiscaux du monde entier Note de bas de page 22 . L’Agence du revenu du Canada estime qu’en 2014, les paradis fiscaux ont privé le gouvernement fédéral de pas moins de 3 milliards de dollars en recettes fiscales Note de bas de page 23 . Au Canada, des blanchisseurs d’argent professionnels blanchissent les produits de crimes commis dans d’autres pays Note de bas de page 24 et utilisent des banques et des sociétés étrangères pour blanchir les produits de crimes commis au Canada Note de bas de page 25 . Beaucoup d’autres menaces criminelles graves ont également une dimension internationale : des extrémistes violents s’inspirent de mouvements idéologiques transnationaux ou d’attentats commis dans d’autres pays, des cybercriminels à l’étranger ciblent des victimes au Canada, et des cybercriminels au Canada ciblent des victimes à l’étranger.

14. Dans de nombreuses régions du monde, les espaces non gouvernés et l’insuffisance de la capacité de l’État permettent aux groupes du crime organisé et aux groupes terroristes de mener leurs activités avec une impunité quasi totale, ce qui entraîne la banalisation de la violence et le déclin ou le remplacement des institutions étatiques Note de bas de page 26 . Ce phénomène a une incidence sur le Canada. Les crises humanitaires et les conflits dans le monde font augmenter la traite de personnes et le passage de clandestins Note de bas de page 27 . L’instabilité dans certains pays rend la situation plus dangereuse pour les Canadiens qui voyagent ou travaillent à l’étranger, et des Canadiens ont récemment été pris en otage par des groupes terroristes à des fins de profits Note de bas de page 28 ou ont été tués dans des incidents terroristes à l’étranger Note de bas de page 29 . L’instabilité en Afghanistan, surtout depuis le retrait de l’armée américaine en août 2021, a accru l’offre mondiale d’opium et d’héroïne Note de bas de page 30 et pourrait avoir donné aux terroristes internationaux un refuge où s’entraîner et préparer des attaques Note de bas de page 31 . En Amérique du Sud et en Amérique centrale, l’insuffisance de la capacité de l’État a donné lieu ces dernières années à une production record de cocaïne et d’autres drogues Note de bas de page 32 , ce qui permet aux criminels d’importer de plus grandes quantités de drogues au Canada et entraîne, dans certains cas, une migration illégale causée par la violence liée à la drogue.

Criminalité et informatisation

15. Les technologies numériques et l’internet ont transformé la criminalité. Les criminels sont souvent parmi les premiers à adopter les nouvelles technologies, car ils désirent un rendement financier maximal au moindre risque d’être poursuivis Note de bas de page 33 . La prolifération des appareils, des applications et des données a transformé la façon dont les criminels planifient et commettent leurs crimes. L’évolution de la technologie du téléphone intelligent et des médias sociaux donne aux criminels des moyens multiples et variés de communiquer tout en posant à la police le défi de se tenir au courant de chaque innovation technologique. Les criminels peuvent facilement stocker de l’information en dehors du Canada dans le nuage (réseau de serveurs informatiques répartis dans le monde), mais bon nombre de fournisseurs de services d’infonuagique ou de communication dans d’autres pays ne peuvent pas ou ne veulent pas divulguer certaines données électroniques directement aux services de police canadiens, ou ne sont pas en mesure de le faire d’une façon favorable aux enquêtes Note de bas de page 34 . Les criminels emploient aussi le chiffrement pour protéger leurs communications et faire obstacle à la détection et aux enquêtes Note de bas de page 35 . Un grand nombre d’applications de messagerie couramment utilisées sont chiffrées par défaut, et plusieurs groupes du crime organisé utilisent des téléphones cellulaires conçus pour ne communiquer qu’avec les autres téléphones d’un réseau chiffré et Note de bas de page 36 . (En août 2022, le Comité a lancé un examen de cadre sur l’interception légale de communications par des organisations de la sécurité et du renseignement Note de bas de page 37 .)

16. De nos jours, l’internet joue un grand rôle dans la criminalité. En effet, l’internet permet aux criminels de planifier, de commettre et de dissimuler leurs crimes facilement et d’acheter et de vendre efficacement des biens et des services illicites sur les marchés en ligne. Nombre de ces marchés sont exploités sur le Web clandestin et acceptent les cryptomonnaies comme moyen de paiement, deux facteurs qui compliquent encore les enquêtes. Les grandes quantités de renseignements personnels et financiers qu’entreposent les entreprises et les commerces en ligne sont des cibles lucratives que des criminels volent afin de les vendre ou de les utiliser pour extorquer de l’argent à des victimes. Durant la pandémie, des millions de personnes en télétravail sont rapidement devenues la cible de cybercrimes Note de bas de page 38 . Des criminels ont par ailleurs profité de la pandémie pour diffuser de fausses informations au sujet du nouveau coronavirus et vendre des produits contrefaits en ligne Note de bas de page 39 .

17. L’internet est utilisé pour diffuser de l’information fausse et planifier des attaques ou des manifestations illégales. Pour les extrémistes violents, l’internet est un lieu de recrutement, de promotion et d’orientation sur les méthodes, les tactiques et les armes, et un moyen de se rencontrer, de diffuser ou d’amplifier la désinformation et de propager la haine Note de bas de page 40 . Ces dernières années, des théories du complot véhiculées en ligne ont motivé des Canadiens à commettre des actes de violence ou à proférer des menaces; pensons notamment à la personne qui, inspirée en partie par une théorie du complot sur l’origine de la COVID-19, voulait arrêter le premier ministre Note de bas de page 41 . Des États utilisent l’internet pour mener un éventail d’activités malveillantes, dont des activités criminelles. L’internet leur sert à diffuser de l’information fausse, à faire taire la critique à l’égard de leur régime, à influencer les électeurs et les élections du Canada, à semer ou à amplifier la discorde entre les Canadiens, à influencer les décisions des gouvernements, à diviser les alliances occidentales, et à mener des cyberattaques contre les systèmes gouvernementaux et, de plus en plus, contre la propriété intellectuelle des secteurs privé et universitaire Note de bas de page 42 . Les systèmes de contrôle industriel, les systèmes informatiques qui contrôlent le réseau électrique et divers processus de fabrication, sont souvent connectés à l’internet, ce qui les rend vulnérables à la cybercriminalité et à d’autres menaces Note de bas de page 43 .

Principales menaces

18. Les principales menaces sur lesquelles la Police fédérale enquête sont l’extrémisme violent, la criminalité transnationale grave et organisée, la criminalité financière, l’ingérence étrangère, l’espionnage et la cybercriminalité. Chacune de ces menaces n’exclut pas les autres; par exemple, certains groupes extrémistes violents achètent des armes auprès de groupes du crime organisé; l’espionnage peut nécessiter l’accès non autorisé à un ordinateur à distance; et des groupes terroristes font le trafic de drogues illicites et en blanchissent les produits Note de bas de page 44 . La Police fédérale intervient lorsqu’une activité liée à la menace pourrait constituer une infraction criminelle, peu importe l’identité de ses auteurs et ce qui les motive. Par exemple, l’accès non autorisé à un système informatique au Canada constitue une infraction au Code criminel, que ce soit fait pour des raisons financières ou géopolitiques ou par un service du renseignement à l’étranger ou un groupe du crime organisé au Canada Note de bas de page 45 . Les paragraphes qui suivent examinent le contexte de la menace criminelle.

Extrémisme violent

19. L’extrémisme violent et le terrorisme représentent une menace à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Au Canada, le niveau national de la menace terroriste est « moyen » depuis le début d’octobre 2014, ce qui signifie qu’un acte de violence terroriste pourrait se produire Note de bas de page 46 . Entre 2001 et juin 2021, 62 personnes ont été accusées d’infractions de terrorisme en vertu du Code criminel Note de bas de page 47 . Bien que des attaques sophistiquées aient été commises par le passé et qu’on ne puisse pas écarter la possibilité que d’autres le soient, les extrémistes violents et les terroristes agissent normalement seuls et ont recours à des tactiques moins raffinées, comme à des attaques à la voiture-bélier ou à l’arme blanche ou encore à des attaques contre des personnes dans des lieux publics non surveillés Note de bas de page 48 .

20. La Police fédérale se concentre sur les activités criminelles de groupes ou d’individus impliqués dans la planification ou la réalisation d’une activité terroriste. Les auteurs sont en grande majorité de jeunes hommes. En effet, 95 % des Canadiens étant recrutés en ligne au sein de groupes extrémistes sont des hommes âgés de 27 ans en moyenne. L’activité criminelle comprend les tentatives d’attentats, les menaces et les complots visant à commettre de tels actes de violence grave contre des personnes, des biens ou des services essentiels, lorsque l’activité est commise en tout ou en partie dans le but d’atteindre un objectif idéologique, politique ou religieux Note de bas de page 49 .

21. L’extrémisme violent à caractère idéologique (EVCI) et l’extrémisme violent à caractère religieux (EVCR) sont des menaces majeures. Les personnes motivées par l’EVCI, qui existe depuis longtemps au pays Note de bas de page 50 , s’inspirent d’une diversité d’influences, comme la xénophobie, les opinions antigouvernementales et la misogynie Note de bas de page 51 . La montée de l’extrémisme violent au Canada est associée au racisme, à l’islamophobie, à l’antisémitisme et à un nombre record de crimes haineux commis au cours des cinq dernières années Note de bas de page 52 . L’EVCIa lui-même augmenté ces dernières années Note de bas de page 53 . Selon le SCRS, des personnes motivées du moins en partie par l’EVCI ont commis entre 2014 et 2021 des attentats qui ont fait « 26 morts et 40 blessés sur le territoire canadien, ce qui en fait la forme d’extrémisme violent la plus grave Note de bas de page 54  ». Par exemple, en janvier 2017, six personnes ont perdu la vie sous les balles d’un tireur qui a ouvert le feu dans une mosquée de Québec. En juin 2021, une personne a foncé sur les membres d’une famille musulmane canadienne à London (Ontario) avec une camionnette, tuant quatre personnes et en blessant grièvement une autre, un incident qui a amené un grand nombre de musulmans à craindre pour leur sécurité Note de bas de page 55 .

22. L’extrémisme violent à caractère religieux (EVCR) demeure aussi une menace à la sécurité nationale. Ce type d’extrémisme comprend des personnes qui s’alignent sur l’idéologie de groupes comme Daech, al-Qaïda ou le Hezbollah ou figurant sur la liste des entités terroristes du Canada ou qui s’en inspirent. Au Canada, des extrémistes violents à caractère religieux financent des groupes terroristes Note de bas de page 56 , comme la personne arrêtée à Toronto en décembre 2022 soupçonnée de recueillir des fonds pour Daech Note de bas de page 57 . Au Sahel et dans d’autres régions de l’Afrique, des groupes qui s’alignent sur Daech et al-Qaïda continuent de poser une menace pour les entreprises et les particuliers canadiens et pour les membres des Forces armées canadiennes qui participent à l’opération impact Note de bas de page 58 . Le Comité a récemment examiné un enlèvement terroriste, précisément au Sahel, dans le cadre de son examen sur les activités en matière de sécurité nationale et de renseignement d’Affaires mondiales Canada Note de bas de page 59 .

Criminalité transnationale grave et organisée

23. La criminalité transnationale grave et organisée est une menace omniprésente pour la sécurité nationale, la sécurité publique et l’intégrité du système financier et de l’économie du Canada. Les réseaux du crime organisé sont implacables dans la recherche de profits illicites par tous les moyens possibles, et sont responsables de plus de décès au Canada que toute autre menace à la sécurité Note de bas de page 60 . Les réseaux du crime organisé s’adonnent à une diversité de crimes liés entre eux qui coûtent cher à la société, comme le trafic de drogues illicites, d’armes et de marchandises, la traite de personnes et les crimes financiers (fraude, jeu illégal, manipulation des marchés, etc.) Note de bas de page 61 . Comme l’explique Europol, [traduction] « la fraude documentaire, le blanchiment d’argent et le commerce en ligne de biens et de services illicites sont les moteurs du crime organisé. Ces menaces criminelles intersectorielles donnent lieu à la plupart, voire à la totalité, des autres types de criminalité grave et organisée Note de bas de page 62  ». Le commerce illicite de la drogue reste l’activité la plus lucrative de ces groupes Note de bas de page 63 . Les drogues illicites mettent en danger la santé et la sécurité des personnes qui les consomment et peuvent être mortelles. En 2021, par exemple, 7 993 Canadiens sont morts après avoir consommé des opioïdes illicites Note de bas de page 64 en grande partie fournis par des groupes du crime organisé, ce qui représente un record.

24. La menace posée par le crime organisé a récemment augmenté à au moins deux égards. Les pertes attribuables à la fraude signalées en 2021 au Centre antifraude du Canada dirigé par la GRC sont les plus lourdes jamais enregistrées et représentent une hausse de 130 % par rapport à l’année précédente Note de bas de page 65 . Entre 2014 et 2021, les homicides attribuables au crime organisé ont augmenté de près de 58 %, totalisant 788, et le nombre et le taux d’homicides liés aux gangs en 2021 sont les plus élevés jamais observés depuis que la collecte de données a commencé, en 2005 Note de bas de page 66 .

25. Le Comité inclut la criminalité transnationale grave et organisée dans sa définition de « menace à la sécurité nationale ». Toutefois, la plupart des réseaux du crime organisé au Canada ne constituent pas une menace à la sécurité nationale Note de bas de page 67 . Selon le Service canadien de renseignements criminels (SCRC), il y avait en 2022 plus de 3 000 groupes du crime organisé au Canada, dont 647 qui ont été évalués par le SCRC. Parmi ces 647 groupes, on a déterminé que 14 posent une menace de haut niveau, car ils commettent un éventail de crimes graves, emploient la violence comme élément intégral de leur stratégie, entretiennent des liens avec d’autres groupes du crime organisé, infiltrent les services de police et de sécurité et mènent leurs activités par-delà les frontières provinciales ou nationales. Ils utilisent en outre des techniques de blanchiment d’argent sophistiquées et des entreprises légales pour commettre leurs crimes Note de bas de page 68 . Leurs associations entre eux rendent leurs activités plus complexes, et il est donc plus difficile d’enquêter sur eux que s’ils menaient leurs opérations criminelles de manière autonome du début à la fin Note de bas de page 69 . Comme l’a fait remarquer le Comité dans son rapport annuel de 2020, la « définition des groupes représentant le plus haut niveau de menace selon le SCRC correspond à la définition des menaces pour la sécurité nationale selon le Comité, c’est-à-dire les menaces envers la sécurité du Canada telles qu’elles sont définies dans la Loi sur le SCRC ou une criminalité d’envergure ou de gravité nationale Note de bas de page 70 . »

Criminalité financière

26. La criminalité financière constitue une menace considérable et persistante pour l’économie légitime. La criminalité financière mine l’économie, mise sur des professionnels et des agents publics corrompus et favorise le maintien de l’économie criminelle mondiale. Selon un rapport d’Europol paru en 2022, « de vastes réseaux internationaux de financement illicite [...] dépendent des paradis fiscaux à l’étranger, de réseaux complexes de structures commerciales légales et de la corruption pour mener à bien une diversité d’activités criminelles, y compris l’évasion fiscale, la fraude et le blanchiment d’argent Note de bas de page 71  ». Le blanchiment d’argent est un crime financier grave en soi, et il s’intègre à de nombreux autres crimes graves. Entre 2001 et 2022, les trois principales infractions sous-jacentes visées par les communications de renseignements financiers faites par CANAFE aux organismes d’application de la loi se rapportaient aux drogues illicites (33 %), à la fraude (23 %) et au passage de clandestins ou à la traite de personnes (15 %) Note de bas de page 72 . Un rapport du SCRC paru en 2022 explique qu’environ la moitié des groupes du crime organisé au Canada qui s’adonnent au blanchiment d’argent le font de part et d’autre des frontières, y compris en exploitant les faiblesses des régimes de réglementation de divers pays Note de bas de page 73 . Selon le même rapport, de nombreux groupes du crime organisé utilisent des techniques sophistiquées de blanchiment d’argent, notamment des systèmes informels de transfert de valeur, des voies commerciales, des entreprises de services monétaires, des placements immobiliers à grande échelle ou des entreprises privilégiant les paiements comptants comme les casinos Note de bas de page 74 .

27. Deux enquêtes publiques menées récemment ont fait la lumière sur l’ampleur du phénomène du blanchiment d’argent au Canada. En 2019, le groupe d’experts sur le blanchiment d’argent dans le secteur immobilier en Colombie-Britannique a fait une estimation prudente du montant d’argent blanchi au Canada de 2011 à 2015 et a constaté que cela représentait systématiquement environ 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) Note de bas de page 75 , soit environ 43,5 milliards de dollars en 2022 Note de bas de page 76 . Par ailleurs, en 2022, la Commission d’enquête Cullen sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique révélait que des blanchisseurs d’argent professionnels « blanchissent des sommes stupéfiantes de fonds illicites au Canada » et « qu’une entreprise de services monétaires précise était responsable à elle seule du blanchiment de plus de 220 millions de dollars par année Note de bas de page 77  ». Entre 2001 et 2022, plus de 84,5 % des communications de renseignements financiers à CANAFE se rapportaient au blanchiment d’argent Note de bas de page 78 . Le département d’État des États-Unis place le Canada sur sa liste restreinte des [traduction] « pays grands blanchisseurs d’argent », précisant en 2022 que [traduction] « les groupes du crime organisé transnationaux et les blanchisseurs d’argent professionnels sont des acteurs clés de la menace » et que [traduction] « des produits de la criminalité générés à l’étranger sont blanchis au Canada Note de bas de page 79  ».

Ingérence étrangère

28. La menace que pose l’ingérence étrangère pour le Canada a augmenté. L’ingérence étrangère érode la confiance envers les élections et les institutions publiques et, du même coup, envers la souveraineté du Canada. Le Comité définit l’ingérence étrangère comme étant le fait, pour un État étranger ou ses mandataires, d’utiliser des moyens clandestins ou trompeurs pour influencer ou manipuler les communautés ethnoculturelles, les partis politiques ou les responsables gouvernementaux canadiens Note de bas de page 80 . Selon un expert, les activités d’ingérence étrangère sont « le fait de grandes bureaucraties », « renferment presque toujours un élément de désinformation » et sont « dirigées vers un but ultime, soit, en général, d’affaiblir l’adversaire ciblé » Note de bas de page 81 . Dans son rapport annuel de 2019, le Comité explique que le Bureau du Conseil privé et le SCRS ont déterminé que le Canada est la cible d’activités d’ingérence étrangère en raison de son statut dans le monde, de son économie robuste et diversifiée, de ses grandes communautés ethnoculturelles, de son appartenance à des organisations multilatérales comme le G7 et l'OTAN et de son étroite relation avec les États-Unis Note de bas de page 82 . La Chine et la Russie sont les principaux auteurs de la menace à pratiquer l’ingérence étrangère contre le Canada par des moyens traditionnels et des cybermoyens Note de bas de page 83 . L’ingérence étrangère comprend souvent des activités traditionnelles et des cyberactivités.

29. Dans son examen de 2019 des mesures prises par le gouvernement fédéral à l’égard de l’ingérence étrangère, le Comité a fait remarquer que c’est surtout l’ingérence étrangère « traditionnelle » qui menace la démocratie et les institutions publiques du Canada Note de bas de page 84 . Les états ciblent le public, les électeurs, les élus, les fonctionnaires, les groupes d’intérêt, les organismes communautaires et les médias canadiens. Pour ce faire, ils emploient la persuasion, la désinformation, le harcèlement, les dons politiques, la corruption et la coercition Note de bas de page 85 . Les préoccupations au sujet de l’ingérence étrangère continuent de croître. Dans son plan ministériel de 2022-2023, la GRC indique que le terrorisme et l’ingérence étrangère sont ses deux priorités clés en matière de sécurité nationale Note de bas de page 86 , et en 2022, la GRC a commencé à enquêter sur le phénomène des « postes de police chinois » Note de bas de page 87 . Le ministre de la Sécurité publique a aussi fait part récemment de son intention de déposer des mesures législatives pour lutter contre cette menace Note de bas de page 88 . Le 8 mars 2023, le Comité a lancé un examen sur l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques du Canada.

Espionnage

30. L’espionnage est une menace constante pour la sécurité et l’économie nationales. L’espionnage d’État désigne le vol de secrets gouvernementaux ou militaires canadiens par une organisation du renseignement étrangère, tandis que l’espionnage économique désigne le vol de propriété intellectuelle et de secrets commerciaux d’organisations canadiennes par des organisations du renseignement ou des entreprises étrangères. Toute activité d’espionnage comporte des activités clandestines et illégales Note de bas de page 89 .

31. Des acteurs étatiques hostiles volent de l’information des gouvernements et de l’armée du Canada au moyen d’une diversité de tactiques, depuis les sources humaines jusqu’aux cyberoutils. En 2013, la GRC a mené une enquête visant un officier de la Marine canadienne, qui a par la suite été reconnu coupable d’avoir fourni de l’information à la Russie. Selon un rapport diffusé en 2022 par le Centre de la sécurité des télécommunications, « [l]es cyberprogrammes parrainés par les États de la Chine, de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord représentent les plus grandes cybermenaces stratégiques pour le Canada Note de bas de page 90  ».

32. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène nouveau, l’espionnage économique suscite une attention accrue depuis quelques années. Ce type d’espionnage menace la concurrence du Canada et nuit à sa prospérité économique. Les activités, menées par des acteurs étatiques ou non étatiques, ciblent des organisations de toutes tailles dans presque tous les secteurs de l’économie, y compris la biopharmacie et l’intelligence artificielle Note de bas de page 91 . Des États ou des entreprises de l’étranger volent des secrets commerciaux, des données et des technologies de nature délicate à des entreprises ou à des chercheurs, et en tirent des profits aux dépens du Canada. Comme l’a fait remarquer un groupe de réflexion associé au Brookings Institution, les entreprises [traduction] « ne sont plus simplement en concurrence avec leurs rivales. Elles sont en concurrence avec les États-nations qui soutiennent leurs rivales, des États-nations qui ont des ressources et des capacités énormes et très peu de retenue quant à ce qu’ils sont disposés à faire pour parvenir à leurs fins Note de bas de page 92  ».

Cybercriminalité

33. La cybercriminalité est une grave menace pour la sécurité et le bien-être économique des Canadiens et des entreprises. Pour la GRC, la cybercriminalité est tout crime dans lequel l’internet ou les technologies de l’information, que ce soit comme cible ou comme moyen, jouent un grand rôle Note de bas de page 93 . La Police fédérale fait une priorité de l’activité cybercriminelle par des groupes de réseaux du crime organisé dépassant la portée et les moyens des services de police locaux ou compétents. Dans le domaine de cyberingérence étrangère, la Police fédérale met la priorité sur la cyberactivité criminelle dirigée par un État étranger ou à l’appui d’un État étranger qui cible des Canadiens, des intérêts canadiens ou des infrastructures essentielles canadiennes Note de bas de page 94 .

34. Les cybercriminels victimisent les personnes et les organisations au moyen, par exemple, du vol d’identité, de sites Web ou de courriels frauduleux (hameçonnage) et d’escroqueries dans les médias sociaux Note de bas de page 95 . Les rançongiciels posent une menace tenace et perturbatrice pour les entreprises, les gouvernements et les universités, en partie parce qu’ils nuisent à leur capacité de fonctionner et entraînent des coûts importants Note de bas de page 96 . Par exemple, en 2021, des criminels ont utilisé un rançongiciel pour perturber les activités de quatre autorités de santé publique de Terre-Neuve-et-Labrador et leur extorquer de l’argent Note de bas de page 97 . Les cybercriminels ciblent également des organisations en tous genres pour voler de la propriété intellectuelle, des secrets commerciaux et les renseignements personnels des clients ou des employés Note de bas de page 98 .

35. La cybercriminalité a augmenté ces dernières années. Entre 2017 et 2021, le nombre de cybercrimes signalés à la police a connu une hausse de 152 %, passant de 27 829 à 70 288 Note de bas de page 99 . Selon le Centre antifraude du Canada, « l’année 2021 a vu le signalement de 379 millions de dollars de pertes dues à la fraude, soit 130 % de plus qu’en 2020 » et le montant le plus élevé jamais signalé au Centre Note de bas de page 100 . Selon un sondage de Statistique Canada, les entreprises canadiennes ont consacré, en 2021, 10 milliards de dollars à la cybersécurité, et un peu moins d’un cinquième (18 %) des entreprises ont été touchées par un incident de cybersécurité Note de bas de page 101 . On prévoit que ces tendances se maintiennent. D’ici 2024, le coût collectif mondial des atteintes à la protection des renseignements personnels pourrait atteindre les 5 000 milliards de dollars Note de bas de page 102 .

36. Le modèle « cybercriminalité en tant que service », qui permet aux cybercriminels inexpérimentés de louer des outils de cybercriminalité faciles à utiliser, a réduit les obstacles pour les criminels qui veulent lancer des logiciels malveillants ou des attaques par déni de service Note de bas de page 103 . L’interconnexion des systèmes informatiques des entreprises sur l’internet a aussi mené les cybercriminels à cibler le maillon le plus faible afin d’accéder aux réseaux de plusieurs entreprises Note de bas de page 104 . Ils utilisent cet accès pour voler de la propriété intellectuelle, déployer des rançongiciels ou ajouter des ordinateurs infectés à des réseaux de zombies (groupes d’ordinateurs infectés) pour commettre des cybercrimes additionnels Note de bas de page 105 .

Conséquences pour la Police fédérale

37. La complexité de l’environnement de la menace pose de grands défis opérationnels et organisationnels à la Police fédérale. En effet, en raison de la nature multiterritoriale d’un grand nombre de ces crimes, la Police fédérale doit collaborer avec les services de police provinciaux et locaux, les organismes de sécurité fédéraux, ses homologues internationaux et des organisations policières multinationales comme Europol. Les partenariats aident les organismes policiers à découvrir les liens qui existent entre les crimes, à éviter les recoupements, à partager la charge de travail en matière d’enquête et à utiliser efficacement l’expertise de chacun des partenaires.

38. En raison du rôle que jouent les technologies numériques et l’internet dans la criminalité moderne, la Police fédérale doit posséder un éventail de compétences techniques pour analyser les grandes quantités de données qui proviennent de multiples sources. Essentiellement, toutes les grandes enquêtes criminelles exigent la participation de nombreux spécialistes, comme des experts en comptabilité judiciaire ou des spécialistes des données, pour recueillir, évaluer, analyser, stocker et divulguer une grande quantité d’information d’une façon efficace et conforme à une norme de preuve. C’est surtout vrai en ce qui concerne les crimes très techniques, comme le blanchiment d’argent ou la cybercriminalité. Il faut ensuite des systèmes de technologie de l’information modernes capables de recueillir, de stocker, de communiquer et d’analyser de l’information, de repérer des tendances et des liens entre de multiples systèmes de technologie de l’information et de favoriser l’échange d’information entre les services de police canadiens et les ministères fédéraux.

39. Étant donné la complexité des menaces criminelles, il faut confier les enquêtes à des experts spécialisés. Pour déceler le flux de capitaux illicites à l’échelle internationale et faire enquête à cet égard, il faut comprendre les subtilités des accords commerciaux internationaux et des règlements financiers de plusieurs pays, la façon dont les blanchisseurs d’argent combinent fonds licites et illicites, et les communications de renseignements financiers de CANAFE, qui contiennent parfois des milliers de déclarations financières Note de bas de page 106 . Pour prévenir la menace liée à l’EVCI et enquêter sur leurs auteurs, il faut bien connaître les indices et les complexités de la radicalisation Note de bas de page 107 et comprendre les groupes et les communautés impliqués. En raison des nouvelles tendances en matière de criminalité, les organismes doivent se doter d’effectifs qui possèdent l’expertise et la sophistication nécessaires pour unir leurs forces avec les partenaires internationaux et employer de nouvelles méthodes d’application de la loi Note de bas de page 108 . Toutes ces exigences posent de grands défis à la Police fédérale dans des domaines aussi diversifiés que le recrutement, la formation et la gestion des talents. Le Comité traite de ces incidences pour la capacité de la Police fédérale à remplir son mandat dans son évaluation qu’il présente au chapitre 7.