Conclusion
Rapport spécial sur l'ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada

171. Dans le présent rapport, le Comité se penche pour la troisième fois sur la réponse du gouvernement aux menaces d’ingérence étrangère. Son rapport de 2018 a permis au Comité de se familiariser avec la menace dans le contexte précis de la visite officielle du premier ministre en Inde. Son rapport de 2019 constituait un examen plus approfondi des activités d’ingérence étrangère de 2015 à 2018. Bien que le Comité ait décidé de ne pas étudier l’ingérence électorale à la lumière des efforts précoces du gouvernement pour lutter contre des menaces précises dans ce domaine, ses recommandations en matière de lutte contre l’ingérence étrangère étaient suffisamment générales pour s’attaquer à l’ingérence dans un vaste éventail de situations, y compris les processus et institutions démocratiques (voir à l’annexe D). Compte tenu des risques que pose l’ingérence étrangère envers la sécurité nationale du Canada, le Comité s’attendait à ce que le gouvernement agisse, ce qu’il a tardé à faire. En effet, le premier ministre a reconnu publiquement que le gouvernement devait assurer un meilleur suivi des recommandations du Comité Note de bas de page 411 .

172. D’après le Comité, ce retard a contribué en partie à la crise qui a frappé le gouvernement à la fin de 2022 et au début de 2023. Une série de fuites non autorisées de renseignements a soulevé d’importantes préoccupations sur la situation de l’ingérence étrangère au Canada et dans ses processus et institutions démocratiques. Le premier ministre a demandé la tenue de trois examens distincts, soit un par le rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère, un par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et un par le Comité. Plus exactement, il a demandé au Comité « [d’]évaluer l’état de l’ingérence étrangère dans les processus électoraux fédéraux » en ce qui a trait aux « tentatives d’ingérence étrangère qui ont eu lieu lors des 43e et 44e élections générales fédérales, y compris leurs répercussions possibles sur la démocratie et les institutions canadiennes Note de bas de page 412  ».

173. Le Comité a accédé à la demande du premier ministre, en élargissant la portée afin de mener un examen qui a rendu compte des grands enjeux de l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques du Canada. L’examen a révélé que les réformes mises en place par le gouvernement en 2018 ne sont pas parvenues à agir sur l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques. Alors que le gouvernement a reconnu cette lacune en 2018, il lui a fallu quatre ans pour élaborer et faire approuver sa stratégie de lutte contre les activités hostiles parrainées par des États. Les consultations sur les réformes législatives, un élément central de la stratégie, ont ensuite été repoussées de plus d’une année. De plus, ce long processus n’a pas illustré un sentiment d’urgence proportionnel à la gravité de la menace, selon le Comité.

174. Le retard dans ces mesures, dont bon nombre avaient été recommandées par le Comité, a nui aux réponses opérationnelles du gouvernement à la menace. Sans nouveaux outils, l’appareil de la sécurité et du renseignement a été forcé de s’appuyer sur les autorisations et les lois en place. Les lacunes dans ce domaine ont limité la capacité des organisations de la sécurité et du renseignement d’agir, particulièrement pour ce qui est d’échanger des informations avec les organismes d’application de la loi en vue de lancer des enquêtes, de porter des accusations ou de soutenir des poursuites. De même, le Service canadien du renseignement de sécurité a sensiblement été incapable d’échanger des informations cruciales avec des intervenants clés de l’extérieur du gouvernement fédéral, en particulier avec les parlementaires et d’autres ordres de gouvernement. Ces lacunes font notamment en sorte qu’il existe peu de moyens pour dissuader efficacement les États étrangers et leurs mandataires établis au Canada de mener des activités d’ingérence.

175. La réponse tardive à une menace connue représente une grave lacune, qui pourrait entraîner des conséquences pour le Canada pendant de nombreuses années. Parmi les conséquences de cette inaction, mentionnons que les droits démocratiques et les libertés fondamentales des Canadiens, l’intégrité et la crédibilité du processus parlementaire du Canada, et la confiance du public dans les décisions stratégiques prises par le gouvernement ont été sapés. Le Canada commence seulement maintenant à voir la mise en place des mesures additionnelles permettant d’agir sur les activités d’ingérence étrangère.

176. La menace d’ingérence étrangère est omniprésente et constante. Il est crucial que le gouvernement agisse dès maintenant pour prendre en main les vulnérabilités qui font des processus et institutions démocratiques du Canada des cibles faciles. Le gouvernement doit s’assurer que les lois suivent l’évolution de cette menace afin de munir l’appareil de la sécurité et du renseignement des outils nécessaires pour répondre à la menace de façon à dissuader les éventuels efforts d’ingérence. Il doit définir clairement des seuils de réponse et préciser les rôles et les responsabilités des organes de surveillance en vue de soutenir une réponse cohérente et coordonnée aux cas d’ingérence étrangère, et l’imputabilité des ministres. Le gouvernement doit aussi corriger les failles dans la diffusion, l’évaluation et l’utilisation à l’interne des renseignements et, ce faisant, bâtir une culture où les représentants autant que les ministres sont chargés et responsables de déterminer les défis et de prendre des décisions visant à les surmonter.

177. Compte tenu de sa responsabilité d’assurer la sécurité nationale du Canada, le gouvernement fédéral doit agir rapidement pour supprimer les obstacles qui l’empêchent de jouer un rôle de direction efficace dans l’ensemble du pays dans la lutte contre l’ingérence étrangère. Il s’agit notamment de lois désuètes qui gouvernent l’échange d’informations classifiées, d’initiatives au point mort visant à informer la population canadienne et d’autres intervenants clés, et de l’absence de mécanismes servant à mobiliser d’autres ordres de gouvernement. Le Comité souligne qu’il est impératif d’informer les parlementaires sur la menace.

178. Enfin, les parlementaires ont un rôle à jouer. Ils doivent reconnaître que, comme décideurs, ils peuvent être la cible d’ingérence étrangère en raison des postes qu’ils occupent et des décisions qu’ils prennent. Le Comité prie les parlementaires d’examiner minutieusement toutes les conséquences éthiques et légales possibles de leurs rapports avec les représentants étrangers ou leurs mandataires et les exhorte à agir de sorte à diminuer leurs propres vulnérabilités. L’ingérence étrangère ne constitue pas des « affaires courantes ». Les parlementaires doivent faire partie de la solution.