Chapitre 5 : L'évaluation du Comité
Rapport spécial sur la collecte, l’utilisation, la conservation et la diffusion de renseignements sur les Canadiens dans le contexte des activités de renseignement de défense du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes

92. Ce Rapport spécial sur la collecte, l'utilisation, la conservation et la communication d'information sur des Canadiens dans le contexte des activités du renseignement de défense du MDN/FAC a été déclenché par la publication de la directive fonctionnelle CANCIT le 31 août 2018, qui a été fourni au Comité le 26 octobre. Tel que stipulé dans le cadre de référence du Comité, ce Rapport spécial avait les objectifs suivants :

  • Décrire les fondements juridiques et le cadre stratégique du MDN/FAC pour la collecte, l'utilisation, la conservation et la communication d'information sur les Canadiens;
  • Décrire les circonstances dans lesquelles la collecte, l'utilisation, la conservation et la communication d'information sur des Canadiens sont autorisées, et dans quels buts, comparativement aux circonstances où ces activités sont interdites;
  • Décrire de quelle manière le MDN/FAC fait le suivi de la collecte, de l'utilisation, de la conservation et de la communication d'information sur des citoyens canadiens et consigne cette information;
  • Évaluer les cadres juridique, stratégique et administratif suivant lesquels la collecte, l'utilisation, la conservation et la communication d'information sur des Canadiens sont permises ou interdites.

93. Le rapport spécial a atteint les trois premiers objectifs ci-dessus :

  • Les fondements juridiques et le cadre stratégique du MDN/FAC : en l'absence de dispositions claires sur le renseignement de défense dans les lois, le MDN/FAC mène ses activités du renseignement de défense largement en vertu de l'autorité juridique que lui confère la prérogative de la Couronne. Dans la pratique, quand le MDN/FAC doit composer avec la possibilité d'être en contact avec du renseignement sur des Canadiens, il dépend du fondement juridique prévu dans le Integrated SIGINT Signals Intelligence Operations Model pour ses activités SIGINT (voir les paragraphes 35 et 53) et de ses partenariats avec d'autres ministères ou organismes du gouvernement pour ses autres activités (telles que *** voir les paragraphes 18-21 et 69-79 respectivement) au moyen d'une demande d'assistance en vertu de l'article 273.6 de la Loi sur la défense nationale. Les activités du renseignement de défense du MDN/FAC sont également assujetties à plusieurs instruments stratégiques, surtout sous la forme de directives fonctionnelles, dont plusieurs comportent des directives sur la manipulation de l'information sur les Canadiens. La directive fonctionnelle CANCIT, censée s'appliquer à toutes les activités du renseignement de défense, est la dernière à voir le jour dans l'ensemble des politiques. (Chapitres 1-4)
  • Les circonstances dans lesquelles la manipulation de l'information sur des Canadiens est autorisée ou interdite : La collecte intentionnelle d'information sur des Canadiens est actuellement uniquement autorisée dans le contexte du programme de contre-ingérence du MDN/FAC, et lorsque le MDN/FAC prête assistance à un autre ministère ou organisme en vertu de l'article 273.6 de la Loi sur la défense nationale. Dans tous les autres cas, le MDN/FAC adopte une approche prudente. Le plus souve nt, il choisit *** dans laquelle il a été en contact avec de l'information sur des Canadiens par accident. (Chapitres 3-4)
  • La consignation et le suivi de l'utilisation de l'information CANCIT : Avant la publication de la directive fonctionnelle CANCIT, il n'y avait a ucune exigence concernant le suivi de la manipulation de l'information sur des Canadiens. Éta nt donné le peu de données disponible, le Comité ne peut pas commenter cet aspect du Rapport spécial. (paragra phes 89-91)

94. Le Comité s'est ensuite penché sur les cadres juridique, stratégique et administratif selon lesq uels la collecte, l'utilisation, la conservation et la communication d'information sur des Canadiens sont permises ou interdites. Le Comité a évalué trois aspects. Le premier a constitué l'élément déclencheur de ce Rapport spécial : le cadre stratégique actuel du MDN/FAC pour la manipulation de l'information sur des Canadiens. Le deuxième touchait la questio n de l'application extraterritoriale de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le troisième aspect portait sur la dépenda nce du MDN/FAC à la prérogative de la Couronne pour mener ses activités du renseignement de défense, particulièrement quand ces activités comportent la collecte de renseignement sur des Canadiens.

Le cadre stratégique du MDN/FAC relatif aux Canadiens

95. La directive fonctionnelle CANCIT a pour but premier [traduction] « d'assurer la clarté des contraintes juridiques et stratégiq ues entourant la collecte de re nseignement sur les Canadiens dans la conduite des activités du renseignement de défense Note de bas de page 108 . » Pour les raisons qui suivent, le Comité estime que la directive fonctionnelle CANCIT n'atte int pas ce but, et qu'elle n'est pas suffisamment claire à l'égard de sa portée et des fondements juridiques sur lesquels le MDN/FACs'appuie pour la collecte de renseignement sur les Canadiens dans la conduite d'activités du renseignement de défense.

96. En ce qui a trait à la portée, la directive fonctionnelle CANCIT a été rédigée au titre d'une directive générale à l'intention du MDN/FAC. Cette caractéristique est évidente dans tout le document :

  • La directive s'applique à tous les officiers et aux militaires du rang des FAC et à tous les employés du MDN, et non seulement aux unités responsables des activités spécifiques du renseignement de défense;
  • Le but de la directive fait référe nce aux activités du renseignement de défense de manière générale;
  • Les définitions qui figurent dans la directive sont génériques et sont tirées de la nomenclature officielle du MDN/FAC (par exemple, renseignement de défense, information, renseignement, opérations)

97. Malgré les énoncés de la directive relative à sa portée et à son application, le MDN/FAC a cherché à limiter son application générale pendant le déroulement de l'examen. Le MDN/FAC a expliqué qu'en pratique, les directives et les ordonnances qui régissent les autres domaines d'activités du renseignement de défense - tel que le renseignement d'origine électromagnétique (SIGINT) et le renseignement d'origine humaine (HUMINT) - continuent d'être en vigueur et doivent être lues en parallèle à la directive fonctionnelle CANCIT Note de bas de page 109 . Le MDN/FAC a aussi déclaré que l'exigence de mettre en place la directive fonctionnelle CANCIT découlait de questions liées à la manipulation de matériel et d'équipement capturés *** Or, la directive fonctionnelle CANCIT ne mentionne pas les domaines d'activités du renseignement SIGINT, HUMINT, CEM ou d'autres domaines, ni ne requiert pas de lire la directive en parallèle à d'autres directives fonctionnelles pertinentes. En bref, la directive fonctionnelle CANCIT ne définit pas les activités du renseignement de défense qu'elle vise, et ne précise pas les directives qui ont préséance dans la manipulation de l'information sur des Canadiens. Comme présenté au paragraphe 8, le Comité n'a pu vérifier les raisons pour lesquelles la directive fonctionnelle CANCIT était requise, étant donné l'orientation qui est fournie dans les autres directives fonctionnelles, ni établir les problèmes que cette directive était censée régler.

98. Le manque de clarté dans le cadre stratégique se manifeste aussi dans la caractérisation des autorisations juridiques du MDN/FAC. La directive fonctionnelle CANCIT stipule ce qui suit [traduction] :

Les opérations et les activités du MDN/FAC ne doivent pas comporter la collecte de renseignement sur les Canadiens aux fins du renseignement de défense, sauf lorsque :

  • la collecte a lieu en appui à des opérations ou à des activités de défense autorisées;
  • la collecte en appui à un autre ministère ou organisme est subordonnée aux autorités, au mandat et aux exigences, telles que prescrites par la loi, du ministère ou de l'organisme canadien qui reçoit l'appui pour recueillir l'information Note de bas de page 110

99. Même si en apparence, la directive fonctionnelle CANCIT interdit la collecte d'information sur des Canadiens, le Comité est préoccupé par la première exception à cette interdiction, qui semble l'annuler dans sa totalité. À première vue, le langage utilisé dans la directive laisse fortement croire que le personnel du MDN/FAC est autorisé à recueillir de l'information sur les Canadiens dans tous les cas où des activités du renseignement de défense ont lieu en appui à des opérations autorisées. Tout comme d'autres parties de la directive fonctionnelle CANCIT, le propos renvoie à toutes les activités du renseignement de défense. La directive ne mentionne aucune activité du renseignement de défense, dont certaines, notamment les activités SIGINT, sont assorties d'interdictions juridiques explicites en matière de collecte intentionnelle de communications de Canadiens, y compris dans le contexte d'opérations autorisées. Plus encore, la définition que donne la directive fonctionnelle CANCIT du terme « opérations » com prend une gra nde gamme d'activités militaires, et laisse croire, de nouveau, que la collecte d'information sur des Canadiens est permise dans toutes les missions militaires.

100. Dans les dossiers qui ont été fournis au Comité dans le cadre de son examen de 2018 des activités du renseignement de défense et de ce Rapport spécial, en fait, il est clair que le MDN/FAC n'emploie pas la prérogative de la Couronne pour recueillir de l'information sur des Canadiens dans ses activités du renseignement de défense dans le contexte de ses opérations autorisées Note de bas de page 111 . Le Comité est préoccupé cependant par l'ambiguïté dans les directives et les politiques du MDN/FAC sur ses a utorisations à mener ces activités. En résumé, il faudrait clairement énoncer l'orientation sur les a utorisations légales de mener des activités du renseignement de défense, particulièrement lorsqu'elles peuvent mettre en cause de l'information sur des Canadiens.

101. Le Comité estime que les fondements juridiques pour le deuxième type de collecte, en appui à un autre ministère et subordonné à ses autorisations, on tu ne plus gra nde clarté. Le MDN/FAC a mentionné qu'un tel appui est fourni en vertu de l'article 273.6 de la Loi sur la défense nationale. Puisque qu'il ava it pris connaissance de la demande [*** d'une a utre organ isation gouvernementale au MDN/FAC ***], le Comité est satisfait que des mécanismes appropriés sont en place pour obtenir les autorisations nécessaires.

102. Toutefois, le Comité revient sur un thème qu'il a soulevé dans son Rapport annuel 2018 : les limites importantes qui sont établies pour les activités de renseignement, mais qui figurent dans les documents stratégiques plutôt que dans des lois Note de bas de page 112 . L'exigence dans la directive fonctionnelle CANCIT (et similairement, dans la directive ministérielle sur le renseignement de défense) que l'appui en matière de renseignement de défense à un a utre ministère soit assujetti aux a utorisations légales du ministère qui en fait la demande est une restriction auto-imposée par le MDN/FAC. L'article 273.6 de la Loi sur la défense nationale prévoit que « Le gouverneur en conseil ou le ministre [de la Défense nationale] peut autoriser les Forces canadiennes [sur demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ou d'un a utre ministre] à accomplir des tâches de service public. » Le terme « service public » n'est pas défini, et il n'existe pas de restrictions sur les activités que peut mener le MDN/FAC. À l'opposé, l'autorité du Centre de la sécurité des télécommunications (CST) de fournir de l'assistance est limitée, au moyen d'un énoncé clair dans la loi, aux pouvoirs d u ministère ou de l'organisme qui reçoit l'aide Note de bas de page 113 . Le Comité ne comprend pas pourquoi des limites pour ce genre d'aide se trouvent dans les politiques pour une organisation et dans les lois pour une autre; la clarté juridique devra it exister pour les deux.

L'application extraterritoriale de la Loi sur la protection des renseignements personnels

103. Tout au long de cet examen, le Comité a pris conscience de deux problèmes particulièrement préoccupants relativement à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le premier problème concerne l'application inconstante de la Loi sur la protection des renseignements personnels par le MDN/FAC. Dans le domaine de la collecte du renseignement de défense au Canada, et plus précisément dans ses activités de contre-ingérence, le MDN/FAC applique cette loi à la communication de renseignement à d'autres ministères en ce qui a trait aux questions de sécurité du personnel, et à la tenue d'un fichier de renseignements personnels (voir le paragraphe 67). Dans l'ensemble, le MDN/FAC semble appliquer cette loi dans le contexte de la communication de renseignement à d'autres ministères. La directive fonctionnelle elle-même cite la Loi sur la protection des renseignements personnels comme document de référence, et précise que [traduction] « L'information CANCIT peut être communiquée à d'autres ministères et organismes du gouvernement du Canada si la divulgation est autorisée par la loi, y compris la Loi sur la protection des renseignements personnels. »

104. [*** Le paragraphe a été revu pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Toutefois, dans le cadre de son examen, le Comité a conclu que le MDN/FAC est d'avis que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique pas à ses opérations à l'étranger. Le Comité s'est penché sur une étude de cas qui faisait ressortir, selon le Comité, que le MDN/FAC mettait cette position en pratique. La Loi sur la protection des renseignements personnels est en vigueur depuis 1983 et ne comporte aucune exception quant à son application aux activités du MDN/FAC à l'extérieur du Canada. Le Comité croit que le ministre de la Défense devrait préciser la position du ministère et formule des recommandations à cet effet à la fin du présent rapport. ***] Note de bas de page 114 *** Note de bas de page 115

105. [*** Le paragraphe a été revu pour supprimer de l'information préjudiciable ou privilégiée. Il décrit le deuxième problème connexe qu'il a soulevé. ***]

106. Vu son mandat unique, le MDN/FAC dispose de deux conseillers juridiques : le juge-avocat général et le ministère de la Justice. Selon la Loi sur la défense nationale, le juge-avocat général est le conseiller juridique auprès du gouverneur général, du ministre de la Défense nationale, du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes pour les questions relatives au droit et à la justice militaire, deux domaines d'expertise très spécialisée Note de bas de page 116 . Le Parlement a enchâssé le mandat du juge-avocat général dans la Loi sur la défense nationale en 1998.

107. Pour sa part, le ministre de la Justice et procureur général est mandaté de fournir des conseils aux « chefs des divers ministères sur toutes les questions de droit qui concernent ceux-ci Note de bas de page 117 . » La mission du ministère de la Justice est de :

  • Seconder le ministre de la Justice dans la tâche d'assurer, au Canada, l'existence d'une société juste et respectueuse des lois, pourvue d'un système judiciaire efficace, équitable et accessible;
  • Fournir des conseils et a utres services juridiques de grande qualité au gouvernement ainsi qu'aux ministères ou organismes clients;
  • Promouvoir le respect des droits et libertés, de la loi et de la Constitution Note de bas de page 118 .

108. Le rôle du ministère de la Justice comprend d'aider « le gouvernement fédéral à élaborer des politiques, à rédiger des lois et à les réformer au besoin. » Ses responsabilités reflètent « le double rôle du ministre de la Justice, qui est également, de par la loi, le procureur général du Canada. En termes généraux, le Ministère s'occupe de l'administration de la justice, y compris des questions de politiques dans des domaines tels que la justice pénale, le droit de la famille, le droit de la personne et la justice applicable aux Autochtones; en sa qualité de procureur général, il est le premier conseiller juridique de la Couronne chargé de diriger tous les procès au nom du gouvernement fédéral Note de bas de page 119 . » En bref, le ministère de la Justice constitue le « cabinet juridique » du gouvernement sur les grandes questions de droit et la Constitution.

109. En parallèle à la décision d'accorder au juge-avocat général un fondement statutaire en 1998, le ministère de la Justice a créé la fonction de conseiller juridique du MDN/FAC, chargé de fournir des avis juridiques sur des questions qui relevaient précédemment de la com pétence du juge-avocat général. En principe, le juge-avocat général fournit des avis au ministère de la Défense nationale, aux Forces a rmées ca nadien nes et au ministre de la Défense nationale sur des domaines spécialisés du droit et des opé rations militaires, et le ministère de la Justice fournit des avis sur les questions plus larges de droit et la Constitution. Dans les domaines qui se chevauchent, les deux organisations travaillèrent ensemble pour dégager des principes communs et fournir un avis cohérent. Or, bien que cette méthode puisse générer des conflits en pratique Note de bas de page 120 , il est à l'avantage du MDN/FAC de recevoir des avis juridiques de la part d'organisations qui ont une expertise dans le domaine de droit pertinent. Il est raisonnable, semble-t-il, par exemple, que l'avis juridique du juge-avocat général ait préséance dans les questions liées au droit des conflits armés, aussi connu sous le titre du droit humanitaire international. Toute fois, lorsque les activités du MDN/FAC entraînent des questions de droit public plus générales susceptibles d'être éga lement sou levées par d'autres organismes dans des contextes différents (par exemple, les activités consulaires d'Affaires mondiales Canada, des demandes de visas faites par des agents de l'immigration à l'extérieur du Canada), la nécessité pour les avocats du gouvernement de parler d'une même voix s'accentue.

110. [*** Le paragraphe a été revu pour supprimer de l'information préjudiciable ou privilégiée. Il aborde l'évaluation par le Comité du rôle du ministère de la Justice. ***]

La collecte de renseignements sur les Canadiens

111. Dans de récentes missions, le MDN/FAC a obtenu de l'information sur des Canadiens qui pouvaient être membres de groupes extrémistes armés, tels que Daech. Tout comme des citoyens de nos alliés les plus proches, des Canadiens se rendent dans des zones de conflits pour faire la promotion de leurs objectifs par des moyens violents. [*** Les deux phrases suivantes ont été revues pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée et en assurer la lisibilité. Elles indiquent que le MDN/FAC est au fait de tels incidents, y compris dans les endroits où le MDN/FAC a mené des opérations, et qu'un allié lui a demandé de fournir d'autres informations. Le MDN/FAC a obtenu des renseignements sur des Canadiens qui participent peut-être à des activités terroristes contre le Canada, sous l'autorité d'un autre ministère. ***] En soi, ces incidents sont isolés et peuvent renforcer l'argument du MDN/FAC selon lequel ses activités du renseignement de défense mettent rarement en cause des Canadiens. Néanmoins, ces cas soulèvent une importante question : le MDN/FAC devrait-il avoir une autorisation explicite pour recueillir, utiliser, conserver et diffuser des renseignements sur des Canadiens lorsqu'il est approprié de le faire, y compris dans des circonstances où l'utilisation d'une force létale contre la personne visée est envisagée?

Les interdictions dans les politiques du MDN/FAC relatives à la collecte intentionnelle de renseignements sur les Canadiens

112. Au-delà de la disposition dans la directive fonctionnelle CANCIT selon laquelle la collecte de renseignements sur des Canadiens peut avoir lieu à l'appui des activités et des opérations autorisées en vertu de la prérogative de la Couronne, le MDN/FAC démontre un biais clair dans ses politiques contre la collecte de renseignements sur les Canadiens dans le contexte de ses activités du renseignement de défense.

  • Le MDN/FAC réalise ses activités SIGINT en vertu des autorisations du CST, dont les activités sont assujetties à une interdiction légale générale de viser des Canadiens dans ses activités de renseignement Note de bas de page 121 .
  • Les activités du MDN/FAC en cours pour recueillir de l'information *** sur des Canadiens qui pourraient constituer une menace envers le Canada sont menées en vertu *** Note de bas de page 122 .
  • Le MDN/FAC a officialisé un processus selon lequel [*** un autre ministère ***] communique l'information qui pourrait intéresser le MDN/FAC ***.
  • Le MDN/FAC a mis en place des politiques et des directives opérationnelles qui lui interdisent de mener des activités HUMINT au Canada, ou de viser des Canadiens dans ses activités HUMINT partout au monde Note de bas de page 123 .
  • Le MDN/FAC a déclaré sans équivoque qu'il ne communique pas d'information sur des Canadiens aux alliés du Canada Note de bas de page 124 .

Selon ces règles, les voyageurs extrémistes canadiens qui peuvent être présents dans la zone d'opération du MDN/FAC ***

113. Ces restrictions stratégiques sont difficiles à réconcilier avec la réalité opérationnelle décrite au chapitre 1 de ce Rapport spécial. Le Comité reconnait les aspects sensibles associés aux conséquences possibles d'une action militaire contre des Canadiens, même lorsque l'usage de la force n'est pas envisagé. Cependant, la menace que posent les voyageurs extrémistes canadiens requiert une réponse proportionnelle. Le Comité n'est pas convaincu que l'approche actuelle du MDN/FAC *** pour les activités du renseignement de défense qui mettent en cause des Canadiens, ou de l'information à leur sujet, constitue une réponse appropriée à la menace qu'ils représentent.

114. Le gouvernement envoie fréquemment des membres des FAC et des employés du MDN à l'étranger pour participer à des opérations internationales, le plus souvent dans le cadre d'une coalition de pays. Lorsque des Canadiens physiquement présents dans la zone d'opération posent une menace envers les forces de la coalition, il revient au Canada d'utiliser ses ressources du renseignement pour aider les forces de la coalition à comprendre la menace, [*** Le reste de cette phrase et les deux suivantes ont été revues pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Les phrases décrivent les préoccupations du Comité quant à l'approche du MDN/FAC. ***]

115. [*** Le paragraphe a été revu pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée et en assurer la lisibilité. En l'absence de fondement juridique clair, le MDN/FAC se tourne vers d'autres partenaires canadiens pour obtenir l'autorisation de mener des activités de renseignement. Dans certains cas, ce recours est parfaitement légitime : le Parlement a fourni des mécanismes légaux aux organisations de la sécurité et du renseignement afin d'appuyer les activités des autres ministères quand elles ont des capacités ou des pouvoirs uniques. Dans d'autres cas, ce recours n'est pas idéal. Le présent Rapport spécial a traité d'une situation lors de laquelle le MDN/FAC a obtenu de l'information contenant de l'information sur des Canadiens et n'était pas certain s'il pouvait posséder ou analyser les informations. La collaboration avec un autre ministère dans ces situations n'est pas toujours efficace, puisque ceux-ci pourraient ne pas comprendre les exigences relatives au renseignement ou aux opérations du MDN/FAC. Rien ne garantit que le ministère puisse détecter dans cette information des détails en rapport direct à une opération militaire ou com muniquer cette information dans un format utile au contexte militaire. Finalement, le fait que le MDN/FAC dépende des autorisations juridiques des autres organisations peut entraîner des difficultés. Cette façon de fonctionner est incompatible avec la fluidité des opérations militaires, dans lesquelles la valeur des renseignements opérationnels diminue avec le temps (par exemple, l'emplacement physique d' une personne ou l'intervalle dans lequel un événement va se produire). ***] *** Note de bas de page 125

116. Quand il est en contact avec des renseignements sur des Canadiens qui peuvent prendre part aux hostilités, le MDN/FAC ne devra it avoir aucun doute sur son autorité à obtenir ces renseignements, à déterminer leur pertinence, et à les communiquer aux autres organisations gouvernementales ou, s'il y a lieu, aux pays alliés.

La prérogative de la Couronne

117. Comme noté, la directive fonctionnelle CANCIT comprend la mention que la collecte de l'information sur des Canadiens peut avoir lieu à l'appui des opérations et des activités autorisées par la prérogative de la Couronne. En effet, le MDN/FAC dépend de la prérogative de la Couronne pour toutes ses activités du renseignement de défense, sauf qua nd il agit en vertu des a utorisations juridiques d'un autre ministère ou organisme. Pour le Comité, la question éta it de savoir, dans la pratique, quand la prérogative de la Couronne fournit une autorisation implicite au MDN/FAC pour qu'il mène ses activités du renseignement de défense dans le contexte d'une opération déployée, pourquoi n'a-t-elle pas aussi constitué un fondement juridique suffisant pour que le MDN/FAC puisse recueillir, utiliser, conserver et communiquer de l'information sur des Canadiens dans le même contexte? En d'autres mots, pourquoi le MDN/FAC ne vise-t-il pas des Canadiens da ns ses activités de renseignement?

118. Il semble que la prérogative de la Couron ne n'est pas suffisante à ces fins. Bien qu'elle fournisse certaines a utorisations implicites pour les activités du renseignement de défense qui sont menées à l'appui de missions spécifiques du MDN/FAC, ces autorisations sont incertaines pour savoir si elles permettent la collecte, l'utilisation, la conservation et la commu nication d' information sur des Ca nadiens par le MDN/FAC. Par conséquent, le MDN/FAC recueille de l'information sur des Canadiens uniquement dans le cadre de son programme de contre-ingérence, en vertu des autorisations de la Loi sur la gestion des finances publiques, ou qua nd elle mène des activités selon les a utorisations juridiques d'un autre ministère, en vertu de l'article 273.6 de la Loi sur la défense nationale Note de bas de page 126 .Pour les a utres activités du renseignement de défense, le MDN/FAC dépend des autorisations juridiques des autres ministères ou organisme concernant la ma nipulation de l'information sur des Canadiens qua nd il est en contact avec cette information. Ces a utorisations sont bien établies da ns les lois et la jurisprudence, ma is n'ont pas été conçues pour les besoins spécifiques des forces militaires.

119. L'application de la Charte aux activités du renseignement de défense est une autre source d'incertitude. Dans l'état actuel du droit, la Charte ne s'applique pas ordinairement à l'extérieur du territoire, et *** Cependant, à l'heure actuelle, la Cour suprême a comme position que la Charte peut s'appliquer dans certaines circonstances, surtout quand des acteurs étatiques canadiens enfreignent leurs obligations selon le droit international. À l'avenir, cette situation pourrait inclure les actions du MDN/FAC dans un pays étranger.

120. Si l'on venait à trouver que la Charte s'applique aux activités du renseignement de défense du MDN/FAC à l'extérieur du Canada, le Comité croit que l'argument selon lequel la prérogative de la Couronne offre un fondement juridique suffisant pour recueillir de l'information sur des Canadiens ne suffirait pas à convaincre. D'un point de vue légal, selon les faits, le Parlement et les gouvernements successifs croient, en ce qui a trait aux activités de renseignement du Canada, que des protections doivent être en place lorsque l'État recueille de l'information sur des Canadiens, même lorsque l'application de la Charte est incertaine. Cet état de fait est évident dans les deux principales organisations du renseignement du Canada : le CST et le SCRS.

121. Le régime juridique sous lequel le CST mène ses activités l'interdit de viser des Canadiens, même à l'extérieur du Canada Note de bas de page 127 . En reconnaissance du fait que les activités du CST comportent le risque de recueillir accidentellement de l'information sur des Canadiens, le régime demande à l'organisme de mettre en place des mesures pour protéger la vie privée des Canadiens dans l'utilisation et la conservation des communications interceptées Note de bas de page 128 . Ce régime a été récemment modifié par le Parlement pour lui ajouter un nouveau mécanisme de surveillance du CST, le commissaire sur le renseignement, dont le mandat sera d'examiner les conclusions à partir desquelles le ministre de la Défense nationale a autorisé le CST à mener une activité autorisée, et d'approuver l'autorisation si les conclusions du ministre sont raisonnables, y compris celles concernant les mesures pour protéger la vie privée des Canadiens Note de bas de page 129 . Des restrictions similaires sont en place pour les situations où il y a un risque d'interception de communications privées de Canadiens Note de bas de page 130 . Dans la même veine, le Parlement a récemment modifié la Loi sur le SCRS pour étendre la compétence d'un juge désigné de la Cour fédérale afin d'émettre un mandat autorisant le SCRS à prendre des mesures d'enquête à l'extérieur du Canada Note de bas de page 131 . Même si cette modification avait pour but de régler des problèmes de compétences entourant certaines activités du SCRS, elle atténue également les risques dans certaines circonstances où un droit protégé par la Charte peut être enfreint, et dans lesquels il faut se munir d'un mandat.

122. En d'autres mots, dépendre de la prérogative de la Couronne comme source de fondement juridique pour recueillir, utiliser, conserver et communiquer de l'information sur des Canadiens n'est pas une option viable. Plutôt, le Comité réitère le raisonnement qu'il a donné dans son Rapport annuel 2018, selon lequel le gouvernement devrait fournir des autorisations légales explicites pour la conduite des activités du renseignement de défense (voir le chapitre 4, Rapport annuel 2018, et plus particulièrement « Renseignement de défense : la question de législation », paragraphes 241-252). D'après cet examen, le Comité offre deux autres raisons pour accorder un fondement juridique au MDN/FAC pour mener ses activités du renseignement de défense.

123. Premièrement, l'approche actuelle à l'égard des activités du renseignement de défense, qui sont menées sous l'autorité de la prérogative de la Couronne et d'un ensemble de directives et d'autres instruments, suscite de l'incertitude. Dans les pires cas, le MDN/FAC ne sait pas s'il a l'autorité légale de faire des choses qui, du point de vue stratégique ou opérationnel, il devrait avoir le droit de faire. [*** Cette phrase a été revue pour supprimer l'information préjudiciable ou privilégiée. Cette phrase note que le Comité a félicité le MDN/FAC. ***] beaucoup d'énergie est dépensée pour les éclaircir. Les consultations i nternes et externes entreprises dans le feu de l'action pour éclaircir les incertitudes liées aux fondements juridiques peuvent contribuer à des retards dans les opérations, une situation qui peut porter atteinte à la sécurité des membres des FAC et aux intérêts nationaux du Canada. De plus, les solutions que peut employer le MDN/FAC peuvent être im parfaites ou tarabiscotées, dans lesquelles le MDN/FAC a recours aux autorisations d'autres ministères ou organismes. Bien que ces autorisations puissent fournir au MDN/FAC un refuge légal, elles viennent avec ***

124. Deuxièmement, les fondements juridiques flous suscitent des doutes dans u n système démocratique régi par la primauté du droit. Le Parlement n'a jamais envisagé le travail du MDN/FAC dans le domai ne du renseignement de défense, ni étudié les enjeux du renseignement de défense par rapport aux droits protégés par la Charte. Par conséquent, le renseignement de défense constitue une anomalie parmi les autres formes du renseignement du Canada. Bien qu'il soit vrai que la prérogative de la Couronne est la source d'une partie du fondement juridique, elle n'est pas une source transparente et démocratique. Les lois établies par le Parlement apportent crédibilité et acceptation sociale. Les pouvoirs étatiques qui n'ont jamais été précisés par une loi sont rares; plus ils sont invasifs, plus ils sont susceptibles, avec raison, d'attirer la controverse. Si l'on procède correctement pour inscrire le mandat du renseignement de défense du MDN/FAC dans une loi, nous pourrions régler les préoccupations et préserver la souplesse dont le MDN/FAC a besoin pour exécuter ses missions.