Chapitre 3 : La réponse du gouvernement
Rapport spécial sur l'ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada

80. Le chapitre qui suit présente la réponse du gouvernement à la menace d’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques (voir à l’annexe C). Dans ce contexte, le Comité estime que la réponse du gouvernement comprend deux grandes initiatives stratégiques : en premier lieu, les initiatives visant à protéger les processus et institutions démocratiques du Canada, *** adoptées par le gouvernement entre 2018 et 2023, ainsi que la mise en œuvre de ces initiatives et, en deuxième lieu, les efforts visant à modifier les cadres juridiques permettant d’endiguer, d’écarter et de contrer cette menace, et de faire enquête sur celle-ci. Ce chapitre examine aussi les efforts du gouvernement pour informer les parlementaires de la menace d’ingérence étrangère, de sa réponse opérationnelle à cette menace, en s’appuyant sur les mandats et les autorisations en place, et la gouvernance interministérielle du dossier.

Initiatives stratégiques

Plan pour protéger la démocratie canadienne (*** 2018)

81. La réponse stratégique du Canada à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques doit être considérée dans le contexte où la question a été mise au premier plan. Comme susmentionné, la Russie a mené une campagne d’influence ciblant l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis dans le but de saper la confiance du public envers le processus démocratique américain et de torpiller la candidature d’Hillary Clinton Note de bas de page 231 . Pour ce faire, le pays a exploité les médias sociaux afin de semer et d’attiser la discorde politique et sociale aux États-Unis, notamment en achetant des publicités politiques et en organisant des rassemblements politiques locaux. Cet effort d’influence s’est traduit notamment par du piratage informatique ciblé et par la divulgation de documents compromettants pour la campagne Clinton Note de bas de page 232 . L’appareil du renseignement américain était au fait des efforts de la Russie pendant la campagne présidentielle, mais la principale difficulté du gouvernement américain résidait dans la façon d’informer les Américains de l’ingérence de la Russie sans sembler indûment influencer les élections. La Russie a ensuite poursuivi sa stratégie moyennant des campagnes de piratage, de fuite et de désinformation contre le Royaume-Uni en 2016, la France en 2017 et l’Allemagne en 2017 Note de bas de page 233 .

82. Ces événements ont orienté les premiers efforts du Canada dans la lutte contre l’ingérence étrangère dans ses élections. En février 2017, le premier ministre a chargé la ministre des Institutions démocratiques de travailler en collaboration avec les ministres de la Sécurité publique et de la Défense nationale pour diriger les efforts du gouvernement en vue de défendre le processus électoral du Canada contre les cybermenaces Note de bas de page 234 . La ministre des Institutions démocratiques a établi un cadre composé de quatre piliers servant de structure aux efforts du Canada dans la lutte contre l’ingérence étrangère électorale. Ces piliers sont les suivants :

  • lutter contre l’ingérence étrangère grâce à une sensibilisation accrue à la menace et une meilleure coordination internationale;
  • promouvoir la résilience institutionnelle en appuyant les intervenants clés (p. ex. les institutions gouvernementales, les partis politiques et les médias) afin de se préparer efficacement à une éventuelle ingérence électorale, d’y répondre et de l’atténuer;
  • renforcer la résilience des citoyens en encourageant la pensée éclairée et critique au sujet de la démocratie et des enjeux connexes dans l’ère numérique;
  • instaurer des règles s’appliquant aux plateformes numériques afin qu’elles exercent les responsabilités qui leur incombent lors d’élections Note de bas de page 235 .

83. [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] En 2018, le gouvernement a reconnu que des mesures additionnelles devaient être prises afin de renforcer l’électorat et l’infrastructure électorale du Canada, et d’atténuer plus intégralement les menaces de cyberactivités et d’autres activités Note de bas de page 236 . En janvier 2019, le gouvernement a annoncé le Plan pour protéger la démocratie canadienne, qui visait à agir sur les principales vulnérabilités relevées alors par le gouvernement, notamment comme suit :

  • officialiser les réponses du gouvernement à l’ingérence étrangère dans une campagne électorale et la façon d’en informer les Canadiens;
  • augmenter les programmes de littératie numérique pour mieux informer les Canadiens et les immuniser contre les campagnes de désinformation;
  • étendre les efforts de sensibilisation aux partis politiques et aux communautés d’expatriés afin de les aider à se protéger contre l’ingérence étrangère d’origine humaine et les cyberopérations;
  • mieux comprendre la propagation de la désinformation sur les plateformes numériques et cerner les principaux auteurs étrangers Note de bas de page 237 .

84. Le Plan a mis en place ou officialisé plusieurs mécanismes et initiatives, tout particulièrement :

  • le Protocole public en cas d’incident électoral majeur, y compris le Groupe d’experts et le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections (MSRE);
  • l’Initiative de citoyenneté numérique de Patrimoine canadien;
  • l’engagement accru des organisations du renseignement auprès du public au sujet de la menace d’ingérence électorale;
  • la directive à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de former une équipe spéciale d’enquête sur les activités d’ingérence étrangère;
  • la création de l’Unité de protection de la démocratie au Bureau du Conseil privé (BCP);
  • une directive voulant que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et la GRC offrent une séance d’information classifiée sur la menace aux chefs des principaux partis politiques Note de bas de page 238 .

Le Comité présentera ci-après chacune de ces initiatives puis leur mise en œuvre.

85. Protocole public en cas d’incident électoral majeur (le Protocole) : Annoncé par le gouvernement le 30 janvier 2019, le Protocole a établi la façon dont le gouvernement informerait publiquement les Canadiens, pendant une période d’élection, d’incidents pouvant menacer la capacité du Canada de tenir des élections libres et justes. En 2021, le gouvernement a mis à jour le Protocole après la 43e élection générale, afin que la période d’application du Protocole soit conforme à la convention de transition Note de bas de page 239 , c’est-à-dire la période entre la dissolution du Parlement ou le moment où le gouvernement perd en raison d’un vote de censure et l’assermentation d’un nouveau gouvernement ou quand les résultats d’une élection reportent un gouvernement sortant au pouvoir Note de bas de page 240 . La mise en œuvre du Protocole est soutenue par deux organes clés : le Groupe d’experts et le Groupe de travail sur les MSRE.

86. Groupe d’experts : Le Groupe d’experts qui administre le Protocole est composé de cinq administrateurs généraux : le greffier du Conseil privé, le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, ainsi que les sous-ministres de la Justice, des Affaires étrangères et de la Sécurité publique Note de bas de page 241 . Le Groupe d’experts est appuyé et tenu informé par le Groupe de travail sur les MSRE.

87. Groupe de travail sur les MSRE : Composé du SCRS, d’Affaires mondiales Canada (AMC), de la GRC et du CST, le Groupe de travail sur les MSRE est un groupe de travail opérationnel qui [traduction] « vise à accroître la sensibilisation, la collecte, la coordination et les interventions entourant la lutte contre l’ingérence étrangère dans les élections fédérales du Canada Note de bas de page 242 . » Le groupe de travail concentre ses efforts sur les activités secrètes, clandestines ou criminelles qui entravent ou influencent les processus électoraux du Canada Note de bas de page 243 . Il a aussi offert des séances d’information à des représentants disposant de l’habilitation de sécurité Secret de chaque parti politique représenté à la Chambre des communes pendant la période électorale (voir ci-après) Note de bas de page 244 . Pendant la période visée par l’examen, le Groupe de travail sur les MSRE a exercé ses activités tout au long des différentes étapes du processus électoral. Au cours des périodes préélectorales, le Groupe de travail sur les MSRE s’est réuni fréquemment, notamment avec Élections Canada (EC) et le Bureau du commissaire aux élections fédérales (BCEF), et a donné des séances d’information au Groupe d’experts, à EC et au BCEF ainsi qu’aux représentants disposant de l’habilitation de sécurité Secret de partis politiques fédéraux Note de bas de page 245 . Durant la période électorale, y compris le jour de l’élection, le Groupe de travail sur les MSRE s’est réuni tous les jours et a rédigé un rapport de situation quotidien pour le Groupe d’experts; il était en disponibilité en tout temps et a donné des séances d’information sur la menace à des représentants de partis politiques (voir le paragraphe 96 ci-dessous). Après le jour du scrutin, le Groupe de travail est resté en disponibilité durant une semaine, puis a rédigé un compte-rendu après action Note de bas de page 246 . Depuis les élections de 2019, le Groupe de travail est resté un groupe de travail permanent Note de bas de page 247 .

88. Au titre du Protocole, un rapport indépendant doit être rédigé après chaque élection pour évaluer la mise en œuvre du Protocole et son efficacité à répondre aux menaces. À ce jour, deux rapports ont été publiés : le rapport Judd, en mai 2020, et le rapport Rosenberg, en février 2023 Note de bas de page 248 . Le rapport Judd a conclu que le Protocole avait bien été suivi et a présenté des recommandations visant à résoudre les difficultés qui avaient été rencontrées et auxquelles *** le gouvernement a répondu en 2021, comme susmentionné Note de bas de page 249 . (La Directive sur le Protocole public en cas d’incident électoral majeur du Cabinet requiert que le rapport indépendant sur la mise en œuvre du Protocole soit communiqué au Comité. Le Comité a accueilli les recommandations clés de l’auteur et a souligné plusieurs points à prendre en considération dans une lettre à l’intention du premier ministre en décembre 2020 Note de bas de page 250 .) Pour ce qui est du rapport Rosenberg, il a constaté que les efforts d’ingérence étrangère relevés ne remplissaient pas les critères du Protocole prévoyant que le Groupe d’experts informe le public. Le rapport Rosenberg soulignait également que le « plan et les communications publiques du gouvernement [devaient] reconnaître que le problème de l’ingérence se pose aussi bien avant le déclenchement des élections que pendant la période d’application de la convention de transition Note de bas de page 251 . »

89. Initiative de citoyenneté numérique : Relevant de Patrimoine canadien, l’initiative vise à renforcer la résilience citoyenne relativement à la désinformation en ligne et à nouer des partenariats pour soutenir un écosystème d’information sain, en appuyant des projets visant à encourager la pensée critique et la littératie numérique Note de bas de page 252 . Le gouvernement indique que l’initiative a octroyé plus de 15 millions de dollars à 96 projets de la société civile et d’organisations universitaires pour « renforcer la résilience citoyenne face à la désinformation Note de bas de page 253 . » Par exemple, en 2019-2020, le gouvernement a contribué 7 millions de dollars pour renforcer les connaissances civiques, sur les nouvelles et les médias numériques, allant de séances et d’ateliers de sensibilisation à l’élaboration de documents d’apprentissage. Selon l’Initiative de citoyenneté numérique, ces projets ont atteint plus de 12 millions de Canadiens Note de bas de page 254 .

90. Mécanisme de réponse rapide (MRR) du G7 : Annoncée lors du Sommet du G7 à Charlevoix, en juin 2018, cette initiative dirigée par le Canada vise à renforcer la coordination de la réponse à l’ingérence étrangère au sein des pays du G7, où il sera question de diffuser des renseignements et de cerner les possibilités d’interventions coordonnées en cas de campagnes de désinformation Note de bas de page 255 . Relevant d'AMC, le MRR Canada, qui sert de secrétariat permanent au MRR, surveille lui aussi le milieu de l’information numérique pour détecter la désinformation parrainée par des États étrangers, notamment pendant des élections générales Note de bas de page 256 . Le MRR Canada encadre la participation d'AMC au sein du Groupe de travail sur les MSRE et a commencé à évaluer l’écosystème de l’information numérique du Canada l’année précédant les élections de 2019. Le MRR Canada a régulièrement informé le Groupe de travail sur les MSRE d’activités en ligne ou dans les médias, y compris la désinformation, visant à décourager les Canadiens de soutenir certains partis politiques et discréditant des politiciens et des institutions du Canada. Le paragraphe 35 donne un exemple de contribution du MRR Canada.

91. Engagement accru des organisations du renseignement auprès du public : *** Le Plan pour protéger la démocratie canadienne par le Cabinet a donné aux organisations du renseignement du Canada le feu vert pour accroître leur engagement auprès des Canadiens au sujet de la menace d’ingérence électorale. Pour le SCRS, cela représentait une autorisation de faire des investissements durables dans ses moyens de mener des enquêtes, de faire des analyses et de fournir des conseils concernant l’activité influencée par l’étranger ciblant les institutions démocratiques du Canada, ainsi que d’accroître la sensibilisation au sujet des menaces contre les intervenants clés du processus démocratique. De même, le Plan permettait au CST de fournir des conseils, une orientation et des services techniques aux partis politiques et aux administrateurs électoraux canadiens, ainsi que d’augmenter les efforts d’engagement auprès du public concernant les cybermenaces pesant sur les processus démocratiques du Canada Note de bas de page 257 . En juillet 2021, le SCRS a publié le rapport Menaces d’ingérence étrangère visant les processus démocratiques du Canada, qui décrit les motivations et les techniques des États étrangers, leurs principales cibles au Canada et les efforts du gouvernement pour contrer la menace en question Note de bas de page 258 . Pour sa part, se fondant sur un rapport de 2017, le CST a publié, en 2019, un rapport sur les cybermenaces contre les processus démocratiques du Canada dans lequel il présentait les principales cibles et tendances ainsi qu’une évaluation du contexte canadien Note de bas de page 259 . Le CST a publié une mise à jour à ce rapport en juillet 2021.

92. GRC : Dans le cadre du Plan pour protéger la démocratie canadienne *** *** le gouvernement a sommé la GRC de former une équipe temporaire spéciale se consacrant aux enquêtes sur les activités d’ingérence étrangère dans le but d’enquêter sur les actes criminels, et de les perturber, qui peuvent être commis à des fins d’ingérence, notamment le piratage, l’intimidation et la corruption de fonctionnaires Note de bas de page 260 . Les activités de l’équipe, d’abord implantée dans l’Équipe intégrée de la sécurité nationale d’Ottawa, ont été « officieusement » transférées à l’Équipe d’ingérence d’acteurs étrangers (EIAE) au sein du Programme de sécurité nationale de la Police fédérale à la Direction générale en 2020 Note de bas de page 261 . Selon la GRC, la [traduction] « mise en place officieuse de l'EIAE à la Direction générale était une solution à court terme pour répondre aux besoins les plus pressants relatifs à l’ingérence étrangère cernés à l’époque Note de bas de page 262 . » L’équipe est composée de sept policiers qui assurent une surveillance des enquêtes de la GRC sur l’ingérence étrangère à l’échelle nationale, mais qui ne prennent pas directement part à ces enquêtes Note de bas de page 263 .

93. Unité de protection de la démocratie du BCP : En 2018, le gouvernement a mis sur pied l’Unité de protection de la démocratie au sein du Bureau du Conseil privé pour « coordonner, élaborer et mettre en œuvre des mesures pangouvernementales conçues pour lutter contre la désinformation et protéger les institutions et les processus démocratiques du Canada Note de bas de page 264 . » L’Unité a été mise sur pied pour agir comme point central pour mener et coordonner tous les travaux au gouvernement ayant trait au renforcement et à la protection des institutions démocratiques du Canada contre les nouvelles menaces ainsi que pour travailler avec les autres ministères et organismes du gouvernement ainsi que d’autres intervenants nationaux et internationaux, au besoin Note de bas de page 265 . Le financement de l’Unité n’a pas été octroyé avant le Budget de 2022 Note de bas de page 266 .

94. Séances d’information pour les partis politiques : *** Le gouvernement a autorisé le SCRS, la GRC et le CST à donner aux chefs des partis politiques représentés à la Chambre des communes des séances d’information classifiées et approfondies sur la menace afin de les encourager à renforcer leurs pratiques internes et leurs comportements en matière de sécurité et d’accroître leur sensibilisation au sujet des activités influencées par l’étranger au Canada. Pour faciliter ces séances, le BCP a parrainé des habilitations de sécurité pour des personnes de chacun des partis représentés à la Chambre des communes Note de bas de page 267 . Au bout du compte, les séances d’information ont été données, dans le cadre du mandat du Groupe de travail sur les MSRE de breffer des représentants des partis disposant de l’habilitation de sécurité Secret, entre juillet et septembre 2019 pour la 43e élection générale et entre juillet et septembre 2021 pour la 44e élection générale Note de bas de page 268 .

95. En février 2023, le rapport Rosenberg a conclu que les « représentants des partis politiques étaient généralement satisfaits du partage d’informations avec le gouvernement Note de bas de page 269  ». Toutefois, en avril et en mai 2023, des représentants du Parti conservateur du Canada et du Parti libéral du Canada ont indiqué dans leur témoignage devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre qu’ils avaient reçu très peu d’informations de la part du gouvernement et que les informations qu’ils avaient reçues étaient « vagues » et qu’elles manquaient de détails. Le Parti conservateur du Canada a aussi déclaré dans son témoignage que le Groupe de travail sur les MSRE n’avait pas pris au sérieux ses préoccupations relativement à l’ingérence étrangère dans 13 circonscriptions lors des élections de 2021 (traitées au paragraphe 33). Les représentants des deux partis ont déclaré qu’ils croyaient que le Groupe de travail sur les MSRE leur fournirait des informations exploitables concernant la menace, nommément sur des candidats et des bénévoles de leurs partis respectifs, afin qu’ils puissent être attentifs aux enjeux ou mener leurs propres enquêtes. Les représentants ont ajouté que les membres du Groupe de travail s’étaient retranchés à plusieurs reprises derrière des obstacles légaux pour ne pas fournir plus d’informations, quoique les membres n’auraient pas précisé de quels obstacles il était question Note de bas de page 270 . Les représentants des partis ont aussi soulevé d’autres difficultés dans leur relation avec le Groupe de travail sur les MSRE. D’une part, les représentants ont affirmé que les membres du groupe de travail possédaient peu de connaissances sur les partis politiques et sur le déroulement des campagnes. D’autre part, les représentants ont reconnu que leur compréhension du renseignement était limitée, mais ont fait remarquer que les membres du groupe du travail ne s’étaient pas vraiment donné la peine de leur expliquer les concepts du renseignement Note de bas de page 271 . Ayant présidé le Groupe de travail sur les MSRE, le CST a informé le Comité qu’il [traduction] « n’avait pas souvenir de discussions en particulier avec des partis politiques lors desquelles le Groupe de travail a discuté de partis et de campagnes politiques ni de conversations sur des éléments pointus de la collecte de renseignements/des concepts Note de bas de page 272 . »

Stratégie de lutte contre les activités hostiles parrainées par des États (AHPE)

96. [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] L’appareil de la sécurité et du renseignement a reconnu que le travail investi dans la lutte contre l’ingérence étrangère visant les processus et institutions démocratiques devait englober bien plus que la simple protection du système électoral Note de bas de page 273 . En effet, en 2018, le gouvernement a reconnu que la menace posée par l’ingérence étrangère est à volets multiples, le Canada doit donc se doter d’une stratégie souple à plusieurs volets reconnaissant, dès lors, que les activités d’ingérence humaine traditionnelles, qui font l’objet de suivi depuis longtemps par les organisations du renseignement, sont toujours perpétrées au Canada Note de bas de page 274 .

97. En mars 2018, Sécurité publique Canada (SP) a d’abord informé les sous ministres sur la menace que posent les activités hostiles parrainées par des États (AHPE), lesquelles étaient définies comme étant « des activités lancées par des États hostiles, ou leurs intermédiaires, qui sont trompeuses, coercitives, corrompues, clandestines, menaçantes ou illégales, mais qui ne peuvent pas être considérées comme un conflit armé, et qui affaiblissent les intérêts nationaux du Canada Note de bas de page 275 . » Ensuite, en juillet 2018, Sécurité publique Canada a amorcé l’élaboration d’une stratégie ***, qui a été discutée et débattue pendant les quatre années suivantes Note de bas de page 276 . À l’automne de 2019, les ministères et organismes avaient relevé, au sein de l’appareil de la sécurité et du renseignement, les sphères qui se prêtaient le plus à une réforme Note de bas de page 277 .

98. [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Il aura fallu au gouvernement plus de deux ans et demi pour mettre en place un plan de réforme. Le plan comprenait une stratégie gouvernementale interne et classifiée de lutte contre les AHPE; la création d’un poste de coordonnateur de la lutte contre les AHPE; une stratégie non classifiée destinée au public; des consultations sur les modifications législatives; et de nouvelles ressources et activités pour la GRC. Ces initiatives sont décrites ci-après. Note de bas de page 278 Note de bas de page 279 Note de bas de page 280

  • Détecter : comprendre le contexte de la menace et établir une image commune de la situation opérationnelle comme condition préalable à une réponse pangouvernementale efficace;
  • Renforcer : renforcer la résilience, réduire la vulnérabilité et changer la perception comme quoi le Canada est un environnement permissif afin de faire du Canada une cible plus ardue;
  • Agir : déployer des mécanismes coordonnés pour répondre aux AHPE, selon les données probantes recueillies par la détection de menaces et en respectant les lois applicables Note de bas de page 281 .

100. La création d’un nouveau poste de coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère : [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Le gouvernement a approuvé la création d’un rôle de coordination afin de mettre en œuvre la Stratégie et d’inciter les ministères et organismes fédéraux à se pencher sur les nouveaux enjeux liés aux AHPE, par la création d’un poste de « coordonnateur de la lutte contre les AHPE », à compter de l’exercice 2023–2024. Les fonctions du coordonnateur n’entraîneraient aucune modification du mandat des ministères et organismes responsables de la sécurité nationale et n’accorderaient à Sécurité publique Canada aucun pouvoir l’autorisant à donner des directives aux autres intervenants. Son mandat se limiterait plutôt à mieux tirer parti du rôle de coordination de SP pour s’assurer que les menaces liées aux AHPE sont examinées et contrées conjointement Note de bas de page 282 . Ce rôle de coordination se distingue également de celui de l’Unité de protection de la démocratie, qui se concentre presque exclusivement sur la mise en œuvre du Plan pour protéger la démocratie, notamment sur la lutte contre la désinformation.

101. Le 6 mars 2023, le premier ministre a annoncé la création du nouveau poste de coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère Note de bas de page 283 . Sur ce plan, l’approche du Canada s’apparente en partie à celle de l’Australie, qui a nommé son propre coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère en 2018, lequel est appelé à administrer une stratégie nationale et pangouvernementale dont les objectifs ressemblent à ceux de la Stratégie de lutte contre les AHPE Note de bas de page 284 . (L’Australie dispose aussi d’un groupe de travail affecté à la lutte contre l’ingérence étrangère regroupant l’Australian Security Intelligence Organisation ainsi que la Police fédérale australienne, qui est responsable de détecter et de perturber les activités d’ingérence étrangère, mais aussi de mener des enquêtes en la matière Note de bas de page 285 .) Depuis sa nomination, le coordonnateur a concentré ses efforts sur l’établissement de mécanismes de gouvernance, notamment la création d’un nouveau Comité de sous ministres en matière d’ingérence étrangère ad hoc pour les décisions urgentes Note de bas de page 286 .

102. Une Stratégie de lutte contre les AHPE non classifiée destinée au public : [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Le gouvernement a étudié une stratégie pangouvernementale de communication stratégique et de mobilisation visant à favoriser la coordination des communications gouvernementales destinées au public et aux principaux intervenants (p. ex. l’industrie, les communautés ethnoculturelles, les groupes longtemps marginalisés et les autres ordres de gouvernement) au sujet de la menace posée par les AHPE. Cette approche s’alignait sur les efforts de lutte contre la désinformation dirigés par le Secrétariat des institutions démocratiques du Bureau du Conseil privé Note de bas de page 287 . Sécurité publique Canada a ajouté que les principes qui soutiennent la stratégie publique demeuraient valables, mais a soulevé qu’il a été difficile de trouver le moment opportun pour la rendre publique, à la lumière des produits médiatiques faisant état de fuites de renseignements, puis des débats publics sur l’ingérence étrangère qui se sont ensuivis, et qu’il tente maintenant de savoir s’il conviendrait de remplacer ladite stratégie par une approche éducative Note de bas de page 288 .

103. Mandat permettant de mener des consultations sur les modifications législatives proposées : *** En 2023, le gouvernement a lancé des consultations concernant la possibilité d’établir un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère et d’apporter des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), au Code criminel et à la Loi sur la protection de l’information (LPI) Note de bas de page 289 . Les paragraphes ci après font le point sur ces efforts.

104. Modification de la Loi sur le SCRS : La Loi sur le SCRS, adoptée en 1984, n’a fait l’objet d’aucune révision approfondie depuis son premier examen quinquennal en 1990. *** En dépit des modifications, notamment l’introduction de mesures de réduction de la menace en 2015 et du régime régissant les ensembles de données en 2019, on note toujours des lacunes importantes sur le plan des pouvoirs du SCRS, lesquelles ont une incidence sur la capacité du Service de réagir à l’ingérence étrangère. Ces lacunes portent, notamment, sur la capacité du SCRS de recueillir des renseignements étrangers et d’échanger de l’information classifiée (c.-à-d. avec les élus ou avec d’autres ordres de gouvernement) Note de bas de page 290 . Le 24 novembre 2023, le gouvernement a lancé des consultations publiques sur les modifications législatives à la Loi sur le SCRS, notamment pour déterminer s’il y a lieu de modifier la Loi pour permettre au SCRS de communiquer des renseignements classifiés à l’extérieur du gouvernement fédéral Note de bas de page 291 .

105. Modification du Code criminel et de la LPI : [*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Ces deux lois portent sur un large éventail de conduites en lien avec les AHPE. Le Code criminel érige en crime des conduites comme la trahison, le sabotage, le trafic d’influence et l’utilisation non autorisée d’un ordinateur, alors que la LPI porte sur des comportements relatifs aux renseignements nuisibles ou susceptibles de l’être au Canada. Le gouvernement estimait que ces dispositions pourraient être modernisées, notamment la disposition désuète sur la trahison figurant au Code criminel et la disposition visée à l’article 4 de la LPI concernant la divulgation non autorisée de renseignements officiels, laquelle disposition a été invalidée par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en 2006 Note de bas de page 292 . En avril 2023, le gouvernement s’est engagé à « examiner […] si d’autres modifications aux dispositions existantes sont nécessaires et s’il faut créer de nouvelles infractions […] pour faciliter les poursuites relatives aux activités d’ingérence étrangère Note de bas de page 293  ». Sécurité publique Canada a également informé le Comité que la Loi sur la preuve au Canada, serait désormais abordée lors de cet exercice de consultation Note de bas de page 294 .

106. Le 24 novembre 2023, le gouvernement a lancé des consultations publiques sur des modifications législatives au Code criminel, à la Loi sur la protection de l’information et à la Loi sur la preuve au Canada Note de bas de page 295 . Les consultations cherchaient à obtenir de l’information pour déterminer s’il fallait définir l’ingérence étrangère dans le droit criminel et créer des infractions connexes afin de protéger les processus démocratiques, de tous les ordres de gouvernement et en tout temps, notamment en dehors de la période électorale. Particulièrement sur le plan de l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques, les consultations cherchaient aussi à déterminer s’il fallait alourdir les sanctions maximales (peine d’emprisonnement de cinq ans au lieu de deux ans) pour toute personne se rendant coupable de préparation, de complots ou de tentatives en vue de perpétrer une infraction nouvelle ou actuelle en matière d’ingérence étrangère. De même, les consultations servaient à obtenir des commentaires sur la possibilité de mettre en place un unique régime pour protéger les renseignements sensibles dans les contrôles judiciaires et les appels prévus par la loi et de réformer la façon dont les informations de sécurité nationale sont protégées et utilisées dans les procédures pénales. Le Comité considère ceci comme un effort visant à répondre à la difficulté de la conversion du renseignement en preuve. Cette difficulté se rapporte au risque de divulgation non autorisée, lors d’un procès criminel, de techniques de collecte sensibles, de sources confidentielles ou de renseignements communiqués par des alliés.

107. Registre visant la transparence en matière d’influence étrangère : Comme l’indique le précédent chapitre, des gouvernements étrangers ou leurs mandataires demandent à des individus ou à des entités d’influencer de manière non transparente, voire secrètement, les politiques du gouvernement ou le discours public. Pour réagir à ce type d’activité, trois des plus proches partenaires du Canada ont adopté un registre des agents étrangers, lequel rend obligatoire l’inscription des personnes agissant comme agents de commettants étrangers et exige la divulgation du statut d’un agent étranger : notamment les États-Unis Note de bas de page 296 (1938), l’Australie Note de bas de page 297 (2018) et le Royaume-Uni Note de bas de page 298 (2023). Les registres visent deux buts : promouvoir la transparence (semblable aux registres de lobbying) et permettre la tenue d’enquêtes criminelles sur l’ingérence étrangère. Aux termes du droit américain, toute personne qui agit pour le compte ou sur l’ordre d’un gouvernement étranger sans s’être inscrite auprès du procureur général des États-Unis s’expose à des poursuites criminelles, ce qui a permis au FBI de faire enquête et de déposer des accusations en matière d’ingérence électorale et de répression transnationale Note de bas de page 299 . Il en est de même en Australie (depuis 2018) et au Royaume-Uni (la loi établissant le registre a reçu la sanction royale en 2023).

108. Le 6 mars 2023, le premier ministre a annoncé le lancement de consultations publiques sur la portée et la configuration d’un éventuel registre visant la transparence en matière d’influence étrangère ayant pour objet « d’assurer la transparence et la responsabilisation des personnes qui défendent les intérêts d’un gouvernement étranger Note de bas de page 300  ». Sécurité publique Canada a tenu ces consultations entre le 10 mars 2023 et le 9 mai 2023 Note de bas de page 301 . En novembre 2023, le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique ont indiqué au Comité qu’ils prévoyaient de présenter incessamment la loi à la Chambre Note de bas de page 302 .

Priorités en matière de renseignement

109. Le Cabinet approuve les priorités nationales en matière de renseignement tous les deux ans depuis le mémoire au Cabinet sur les priorités en matière de renseignement. Ce mémoire au Cabinet constitue le principal mécanisme qui soit mis à la disposition du premier ministre, du Cabinet et des hauts responsables de la sécurité et du renseignement aux fins de contrôle, de responsabilisation et de surveillance relativement aux activités du Canada sur les priorités en matière de collecte et de l’évaluation de renseignements Note de bas de page 303 . Suivant l’approbation du Cabinet, les ministres de la Sécurité publique, des Affaires étrangères et de la Défense nationale émettent des instructions ministérielles à l’attention des organisations en fonction de leurs compétences, de sorte à orienter la collecte et l’évaluation de renseignements au cours des deux années suivantes Note de bas de page 304 . Les responsables s’appuient ensuite sur les priorités en matière de renseignement pour alimenter la formulation d’exigences en matière de renseignement, lesquelles font état d’enjeux particuliers ou d’entités d’intérêt pour les utilisateurs dudit renseignement Note de bas de page 305 .

110. Pendant la période visée par l’examen, le Cabinet a établi les priorités en matière de renseignement pour les années allant de 2017 à 2019, de 2019 à 2021 et de 2021 à 2023. Au cours de cette période, l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques figurait régulièrement et manifestement dans les exigences du Canada en matière de renseignement :

  • De 2017 à 2019 : Le gouvernement a demandé de recevoir des renseignements sur la façon dont les États étrangers et leurs mandataires non étatiques ont recours à l’espionnage, à l’ingérence ou au sabotage dans le but d’entraver le fonctionnement normal ainsi que l’intégrité des institutions démocratiques et de la gouvernance du Canada, mais aussi des processus connexes Note de bas de page 306 . Plus précisément, les hauts responsables cherchaient à obtenir des renseignements sur les mesures secrètes ou malveillantes visant à influencer ou à compromettre (tant au fédéral qu’au provincial/territorial ou au municipal) les politiciens, les élections, la gouvernance, les politiques, les institutions politiques ou l’infrastructure du Canada (y compris les médias) Note de bas de page 307 . Les responsables ont énuméré des sources de préoccupations ayant précisément trait aux plateformes de médias sociaux, aux agents d’influence (journalistes, universitaires, gens d’affaires, représentants du gouvernement), à l’ingérence ou aux pressions malveillantes subies par les médias ou les personnalités publiques, et à toute utilisation secrète, trompeuse ou malveillante de mandataires canadiens Note de bas de page 308 .
  • De 2019 à 2021 et de 2021 à 2023 : Pour les années 2019 à 2021 et 2021 à 2023, le Cabinet a approuvé les priorités en matière de renseignement, lesquelles incluaient nommément l’ingérence étrangère, ce qui, en l’occurrence, devait façonner les exigences en matière de renseignement s’agissant des plans, des intentions et des capacités des acteurs étatiques hostiles (ou de leurs mandataires) à commettre de l’ingérence contre les intérêts stratégiques du Canada Note de bas de page 309 . Les clients cherchaient particulièrement à obtenir des renseignements au sujet :
    • de l’influence sur les fonctionnaires canadiens et des menaces pesant sur les élections, la démocratie et la société civile du Canada;
    • de l’intimidation et de l’influence sur les expatriés et les dissidents au Canada;
    • des campagnes de mésinformation et de désinformation ainsi que de l’ingérence par des moyens informatiques Note de bas de page 310 .

Chaque année, le BCP informe le Cabinet quant à la mesure dans laquelle chacune des organisations de l’appareil de la sécurité et du renseignement a répondu aux priorités en matière de renseignement, au moyen de l’examen national des dépenses en matière de renseignement. Cet examen national donne aux ministres du Cabinet un aperçu des variations sur le plan des dépenses annuelles au fil du temps Note de bas de page 311 . Entre 2019–2020 et 2020–2021, les organisations ont augmenté leurs dépenses s’agissant de la collecte et de l’évaluation de renseignements en matière d’espionnage, d’ingérence étrangère et de sabotage, la priorité qui s’applique à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques, de l’ordre d’environ $***. Conséquemment, ces dépenses se sont considérablement rapprochées de celles consacrées au terrorisme et à l’extrémisme, la priorité de l’appareil Note de bas de page 312 . Bien que la méthode employée dans le cadre de l’examen national des dépenses en matière de renseignement ait changé pour l’année subséquente, la tendance s’est maintenue pour l’exercice 2021–2022 Note de bas de page 313 .

Modifications législatives

111. Loi sur la modernisation des élections : Le gouvernement a adopté des modifications législatives par l’intermédiaire de la Loi sur la modernisation des élections, laquelle a reçu la sanction royale en décembre 2018. L’adoption de cette Loi entraînait la modification de la Loi électorale du Canada, qui régit les élections à la Chambre des communes et garantit, aux citoyens canadiens, le droit de prendre part aux processus démocratiques du Canada. La Loi sur la modernisation des élections comporte trois nouvelles infractions : influence indue à voter ou à s’abstenir de voter exercée par des étrangers sur les électeurs; intimidation exercée sur les électeurs pour les inciter à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat ou un parti donné; et interdiction d’utiliser des fonds de l’étranger pour financer les activités partisanes, la publicité et les sondages électoraux. La Loi donne également au commissaire aux élections fédérales le pouvoir de demander à un juge une ordonnance exigeant un témoignage ou une déclaration écrite lorsqu’il s’agit de donner suite à des allégations de non conformité flagrante aux dispositions de la Loi électorale du Canada Note de bas de page 314 .

112. Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications : Le gouvernement a également apporté des modifications législatives au moment d’adopter la Loi sur la sécurité nationale, qui a reçu la sanction royale en juin 2019. La Loi a apporté un ensemble de modifications sur le plan de la sécurité nationale, notamment la création de la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications, qui conférait au CST l’autorisation de mener des cyberopérations défensives et actives visant à protéger les Canadiens ainsi que les intérêts et les infrastructures essentielles du Canada, comme l’infrastructure électorale. Cette autorisation a permis au CST de mener des opérations pour répondre aux menaces d’ingérence étrangère (*** abordées plus en détail au paragraphe 116 ci après).

Réponses opérationnelles

113. La section qui suit présente la façon dont les ministères et organismes ont utilisé, pendant la période à l’examen, leurs autorisations en place pour perturber et contrecarrer l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques du Canada, et mener des enquêtes sur celle-ci. Elle ne livre pas un portrait détaillé de toutes les activités opérationnelles, mais elle illustre plutôt les divers types d’efforts ayant contribué à la réponse opérationnelle globale du gouvernement à la menace. Parmi ces efforts, on compte les opérations de perturbation, les efforts des organismes d’application de la loi et les activités diplomatiques.

Opérations de perturbation

114. Alors que le rôle principal du SCRS et du CST est de recueillir des renseignements et d’en faire rapport au gouvernement, les deux organisations ont l’autorisation de perturber et de contrer les menaces envers la sécurité nationale du Canada. La façon dont ces outils ont été utilisés pour répondre à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques est expliquée ci-après.

115. Cyberopérations actives et défensives du CST : Au titre de la Loi sur le CST, le CST peut mener des cyberopérations défensives pour protéger les systèmes fédéraux et non fédéraux désignés comme étant d’importance pour le gouvernement du Canada, y compris les infrastructures essentielles, ainsi que des cyberopérations actives pour protéger et défendre les intérêts du Canada qui se rapportent aux affaires étrangères, à la défense et à la sécurité. En application de ces autorisations, le CST emploie un éventail de techniques, comme *** Note de bas de page 315 . Comme l’indique le chapitre 2, le ministre de la Défense a autorisé deux cyberopérations défensives pendant la période visée par l’examen afin que le CST puisse mener des activités pour perturber les cyberopérations malveillantes visant les processus et institutions démocratiques du Canada, y compris l’élaboration de mesures défensives pour protéger l’infrastructure d’Élections Canada Note de bas de page 316 . [*** Deux phrases ont été supprimées pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. Les phrases décrivaient comment le CST choisissait ses cibles et décrivaient une autorisation ministérielle de cyberopération active du CST pour contrer les activités d’ingérence étrangère. ***] Note de bas de page 317 Note de bas de page 318

116. Mesures de réduction de la menace (MRM) du SCRS : En vertu de la Loi sur le SCRS, le SCRS peut prendre des mesures pour réduire une menace envers la sécurité si les mesures sont justes et adaptées à la gravité de la menace, entre autres exigences Note de bas de page 319 . Entre septembre 2018 et septembre 2023, le SCRS a mené sept MRR en réponse à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques du Canada par la RPC, la Russie, l’Inde et le Pakistan (voir le tableau 1 ci-dessous) Note de bas de page 320 . Les MRR visaient à perturber les réseaux d’ingérence étrangère au Canada Note de bas de page 321 , à réduire l’influence d’un auteur de menace Note de bas de page 322 ou à informer des personnes victimes d’ingérence étrangère Note de bas de page 323 .

Tableau 1 : Mesures de réduction de la menace du SCRS contre l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques, du 1er septembre 2018 au 30 septembre 2023

  Année Pays Principal objectif
1 *** Note de bas de page 324 *** Perturber les réseaux d’ingérence étrangère
2 *** Note de bas de page 325 *** Diminuer l’influence d’un auteur de menace
3 *** Note de bas de page 326 *** Diminuer l’influence d’un auteur de menace
4 *** Note de bas de page 327 *** Perturber les réseaux d’ingérence étrangère
5 *** Note de bas de page 328 *** Diminuer l’influence d’un auteur de menace
6 *** Note de bas de page 329 *** Diminuer l’influence d’un auteur de menace
7 *** Note de bas de page 330 *** Perturber les réseaux d’ingérence étrangère

117. *** MRM ont été élaborées en prévision des élections fédérales de 2019 et de 2021. [*** Six phrases ont été supprimées pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. Les phrases décrivaient des mesures de réduction de la menace prises pour agir sur les activités d’ingérence étrangère de pays en particulier et le niveau de réussite de ces mesures. ***] Note de bas de page 331 Note de bas de page 332 Note de bas de page 333

118. Le 18 mai 2023, le SCRS a mené une MRM dans des circonstances pressantes pour informer le député Michael Chong (voir le paragraphe 50). Plus tard en mai, le SCRS s’est appuyé sur son autorisation de mener des MRM pour donner des séances d’information sur la menace à deux autres députés, puis à un ancien député en septembre 2023 Note de bas de page 334 . Cette MRM était remarquable, car le SCRS indiquait dans sa note d’information au ministre que le risque global sur les plans des opérations, de la réputation, de la loi et de la politique étrangère était élevé. *** Note de bas de page 335 . Le SCRS a indiqué que ses capacités d’empêcher une divulgation ultérieure des informations classifiées par les députés étaient limitées et il a insisté sur les répercussions légales, politiques et procédurales qu’entraînait la divulgation d’informations classifiées à des personnes qui ne disposaient pas de l’habilitation de sécurité requise et qui n’étaient pas assujetties à la Loi sur la protection de l’information Note de bas de page 336 .

Efforts des organismes d’application de la loi

119. Le Canada compte sur deux organisations fédérales qui sont chargées d’enquêter sur les infractions criminelles liées à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques : le Bureau du commissaire aux élections fédérales et la GRC. L’alinéa 14d) de la Loi sur le CPSNR limite l’accès du Comité aux renseignements qui ont un lien direct avec une enquête en cours menée par un organisme chargé de l’application de la loi et pouvant mener à des poursuites. Par conséquent, le Comité n’a pas été en mesure de tracer un portrait précis des enquêtes qui pouvaient être en cours pendant la période visée par l’examen. Toutefois, il a obtenu les informations suivantes.

120. Bureau du commissaire aux élections fédérales : Le Bureau du commissaire aux élections fédérales (BCEF) est chargé de veiller à l’observation et au contrôle d’application de la Loi électorale du Canada Note de bas de page 337 . Bien que la Loi ne définisse pas l’ingérence étrangère, elle interdit toutefois aux étrangers de participer de différentes façons précises, notamment en les empêchant de faire des contributions politiques Note de bas de page 338 . Le BCEF est une organisation relativement petite, comptant 20 enquêteurs dont le travail repose presque entièrement sur les plaintes reçues Note de bas de page 339 . Les sanctions pour quiconque commet une infraction prévue dans la Loi sont un emprisonnement maximal de cinq ans, une amende maximale de 50 000 $ pour un individu ou de 100 000 $ pour une entité, ou une interdiction de siéger ou d’être élu au Parlement pendant sept ans Note de bas de page 340 . La commissaire aux élections fédérales a indiqué au Comité que son Bureau examinait 174 plaintes liées à l’ingérence étrangère reçues concernant les élections de 2019 et de 2021, dont la majorité (148, soit 85 %) a été reçue en 2023, après les fuites d’informations classifiées Note de bas de page 341 . Au 16 juin 2023, le BCEF avait reçu 158 plaintes liées à l’ingérence étrangère au sujet des élections de 2019 (sur les 8 000 plaintes liées à ces élections) Note de bas de page 342 et 16 au sujet des élections de 2021 Note de bas de page 343 . La commissaire a expliqué que les principaux défis externes que doit surmonter le BCEF étaient le dilemme de la conversion du renseignement en preuve, les limites technologiques (comme le chiffrement), l’échange d’information au sein du gouvernement fédéral et la difficulté d’obtenir des preuves se trouvant dans d’autres pays Note de bas de page 344 .

121. GRC : En 2020, la GRC a créé l’Équipe d’ingérence d’acteurs étrangers pour coordonner et superviser les enquêtes en matière d’ingérence étrangère (paragraphe 93). Le groupe a été formé en puisant dans les ressources d’autres priorités de sécurité nationale et la GRC a indiqué au Comité qu’il ne sera pas viable sans l’ajout de ressources Note de bas de page 345 . Malgré la création de ce groupe, la GRC n’était pas en mesure d’indiquer exactement au Comité le nombre d’enquêtes en matière d’ingérence étrangère qu’elle avait menées au cours de la période à l’examen. Elle ne pouvait que calculer le nombre d’« incidents », c’est-à-dire un enregistrement d’un appel de routine ou d’un cas indépendant (d’après la GRC, une enquête comprend un incident ou plus, mais tous les incidents ne mènent pas à une enquête). Entre 2018 et 2022, la GRC a compté six incidents qui étaient liés à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques et pour lesquels elle devait déterminer si les événements suspects ou les allégations d’ingérence étrangère pouvaient constituer des infractions au titre du droit criminel, comme l’abus de confiance ou l’intimidation Note de bas de page 346 .

122. La GRC n’a mené aucune enquête sur des activités d’ingérence étrangère dans le contexte des élections fédérales de 2019 et de 2021 Note de bas de page 347 . Les rapports post-élections du Groupe de travail sur les MSRE pour les élections de 2019 et de 2021 ont indiqué que le Groupe de travail n’avait pas reçu d’informations pouvant entraîner une enquête criminelle Note de bas de page 348 . De plus, la GRC a déclaré que le SCRS ne lui avait probablement pas fourni de pistes liées à l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques entre 2018 et 2023 (la GRC ne fait pas un suivi des pistes du SCRS par type de menaces, comme l’ingérence étrangère ou l’espionnage) Note de bas de page 349 .

123. La GRC a pris d’autres mesures pour répondre à l’ingérence étrangère. En 2020, elle a ajouté l’ingérence étrangère aux tâches d’un groupe du renseignement de toutes sources afin d’informer les hauts dirigeants de la GRC de la situation, mais pas aux fins d’enquête. En 2021, la GRC a rédigé une stratégie relative aux acteurs d’ingérence étrangère destinée au public Note de bas de page 350 . Le document n’était toujours pas publié en janvier 2024.

Efforts diplomatiques

124. AMC a pris part à plusieurs initiatives gouvernementales visant à protéger les élections fédérales de 2019 et de 2021. Comme susmentionné, l’unité de coordination du mécanisme de réponse rapide d'AMC a participé au Groupe de travail sur les MSRE et le sous-ministre des Affaires étrangères a siégé au Groupe d’experts du Protocole public en cas d’incident électoral majeur Note de bas de page 351 . En prévision des élections fédérales de 2019 et de 2021, AMC a aussi envoyé un avis officiel à toutes les missions diplomatiques étrangères au Canada afin de rappeler aux chefs de mission leur obligation de s’assurer que « les représentants diplomatiques, consulaires et autres ne mènent aucune activité qui pourrait être perçue comme incitant, d’une façon ou d’une autre, les électeurs à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné. De plus, les représentants étrangers accrédités ne doivent pas, directement ou indirectement, verser une contribution financière à l’appui d’un candidat, d’un parti politique ou d’une activité politique Note de bas de page 352 . »

125. En dehors du contexte des élections fédérales et comme l’indique le rapport précédent du Comité, le devoir d'AMC de gérer les relations bilatérales et multilatérales du Canada en fait un décideur clé pour ce qui est de déterminer la réponse à la tentative d’un État de s’ingérer dans les affaires nationales. AMC dispose de nombreux outils diplomatiques pour inciter d’autres États à changer leur conduite. Parmi les mesures bilatérales, AMC peut annuler des visites importantes, refuser l’accès à des représentants diplomatiques, fermer des missions diplomatiques et des centres culturels, imputer publiquement des activités hostiles à des acteurs étrangers, imposer des sanctions et déclarer un diplomate étranger de persona non grata. AMC emploie aussi des moyens multilatéraux, comme d’échanger des pratiques exemplaires et des leçons apprises en matière de lutte contre l’ingérence étrangère avec des partenaires aux vues similaires, d’élaborer des réponses diplomatiques avec des États idéologiquement proche ou de soulever la conduite d’un pays aux fins de considération par des organisations internationales Note de bas de page 353 . Pour choisir les mesures à prendre, AMC module la réponse du gouvernement en fonction des grands intérêts de la politique étrangère . L’étude de cas no 5, ci après, illustre un récent exemple de l’utilisation par AMC de l’un de ses outils.

Étude de cas no 5 : L’expulsion de Zhao Wei

Le 8 mai 2023, la ministre des Affaires étrangères a annoncé que le Canada avait déclaré persona non grata Zhao Wei, un diplomate de la RPC en affectation à Toronto Note de bas de page 355 . En l’occurrence, on lui a donné cinq jours pour quitter le Canada.

Cette mesure faisait suite à la publication, le 1er mai 2023, d’un article de presse portant sur la fuite d’une évaluation du SCRS datant de juillet 2021, selon laquelle les actes d’ingérence étrangère commis par la RPC au Canada constituaient une « grave menace envers la sécurité nationale Note de bas de page 356  ». L’article faisait état de nombreux exemples, entre autres, que le ministère de la Sécurité de l’État (MSE) de la RPC avait appliqué des mesures appelées à cibler des députés, notamment pour obtenir des renseignements sur leurs proches parents établis en RPC, et ce, « aux fins d’imposition de sanctions ». Selon l’article, l’évaluation du SCRS indiquait que ces efforts avaient [traduction] « presque certainement pour objectif de faire un exemple de ce député et de dissuader quiconque prendrait position contre la RPC. » Selon la source du Globe and Mail, la cible était Michael Chong, et le diplomate de la RPC impliqué était M. Zhao.

[*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Au cours de la période à l’examen, le SCRS avait fourni à AMC et à d’autres organisations du gouvernement des rapports de renseignement selon lesquels des représentants avaient mené des activités d’ingérence étrangère. Outre une évaluation de juillet 2021, le SCRS a fourni à AMC plusieurs rapports en particulier entre 2019 et 2022, dont certains mentionnaient précisément M. Zhao. Note de bas de page 357

Le rapport de juillet 2021 était un produit d’évaluation, *** et plus de la moitié des rapports étaient à diffusion limitée, c’est à dire que seuls les destinataires nommément désignés, comme le sous ministre ou certains hauts fonctionnaires, ont pu les lire Note de bas de page 358 . L’un de ces rapports, ***, avait trait *** à la RPC, qui cherchait à obtenir de l’information ***. Dans aucun de ces cas, les fonctionnaires d'AMC ont-ils cherché à en savoir davantage sur ces rapports *** Note de bas de page 359 .

Pendant la même période (2019–2023), des représentants du SCRS et d'AMC ont officiellement échangé des renseignements à *** plusieurs reprises concernant certains acteurs ***, y compris M. Zhao, qui menaient des activités d’ingérence étrangère au Canada. ***

  • *** À la demande d'AMC, le SCRS a fourni, en 2019, un document qui *** proposait un résumé des activités de menace. Dans ce document, le SCRS désignait M. Zhao comme étant un candidat s’exposant à une expulsion Note de bas de page 360 . AMC n’a pas demandé au SCRS de lui fournir de plus amples renseignements.
  • Le *** 2022, le SCRS a présenté de l’information à des représentants d'AMC concernant les mesures de réduction de la menace qu’il envisageait d’entreprendre ***. [***Une phrase a été supprimée pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. La phrase décrivait les liens entre la personne visée par la MRM et la RPC. ***] Les représentants d'AMC ont indiqué que leur ministre avait manifesté son intérêt quant à faire obstacle à l’ingérence étrangère commise par la RPC et que l’on cherchait à établir une démarche adéquate en ce sens. Les représentants ont discuté de la possibilité de déclarer persona non grata ***, et le SCRS s’est engagé à fournir de plus amples renseignements Note de bas de page 361 . Or, cette initiative n’a produit aucun résultat.
  • En février 2023, quatre mois après la première fuite, dans les médias, de renseignements sur les activités d’ingérence étrangère menées par la RPC au Canada, le SCRS a informé un groupe de travail interministériel sur la lutte contre l’ingérence étrangère concernant les mesures prises par les États alliés contre les fonctionnaires de la Russie et de la RPC qui commettent de l’ingérence étrangère. La séance d’information s’est conclue par une discussion concernant *** des activités que le SCRS décrivait comme étant de l’ingérence étrangère intensive Note de bas de page 362 : *** . Le SCRS a indiqué qu’AMC considérait que la mesure d’expulsion était trop radicale (une option « nucléaire ») Note de bas de page 363 .
  • Le *** 2023, le SCRS a reçu une demande urgente de la part d'AMC *** Note de bas de page 364 . Le *** lendemain, le SCRS fournissait à AMC une liste. Cette liste se voulait représentative bien plus qu’exhaustive. *** Note de bas de page 365 . Le 1er avril, AMC a informé le SCRS qu’il envisageait des options à l’égard de la RPC et qu’il souhaiterait recevoir de plus amples renseignements *** Note de bas de page 366 .

[*** Ce paragraphe a été révisé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. ***] Le 1er mai, le jour où le Globe and Mail a publié son article sur M. Zhao, AMC a envoyé une demande urgente au SCRS. En l’occurrence, AMC a demandé au SCRS de produire une analyse et a posé des questions précises. Le SCRS a répondu le jour suivant en fournissant des rapports de renseignement déjà publiés et en recommandant l’examen d’un autre. Note de bas de page 367 Note de bas de page 368

[*** Ce paragraphe a été supprimé pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. Le paragraphe décrivait l’opinion changeante d'AMC à l’égard de M. Zhao et son évaluation finale selon laquelle il était probablement impliqué dans des activités d’ingérence étrangère au Canada. ***] Note de bas de page 369

AMC a déclaré que la décision d’expulser M. Zhao avait été prise en réaction à ses activités d’ingérence étrangère. AMC a précisé ce qui suit : dès lors que le nom de M. Zhao serait publiquement associé à celui de M. Chong, le Canada allait devoir forcer M. Zhao à quitter le Canada. [*** Une phrase a été supprimée pour retirer l’information préjudiciable ou privilégiée. La phrase décrivait le dialogue diplomatique avec la RPC. ***] Note de bas de page 370 . *** Le Canada a déclaré M. Zhao persona non grata le 8 mai 2023 Note de bas de page 371 .

Séances d’information pour les parlementaires

126. Dans son rapport de 2018 sur la visite du premier ministre en Inde, le Comité recommandait qu’« il faudrait informer les députés de la Chambre des communes et les sénateurs des risques que représentent l’ingérence étrangère et l’extrémisme au Canada au moment de leur assermentation, et un suivi en ce sens devrait être effectué régulièrement par la suite Note de bas de page 372 . » Le Comité a réitéré cette recommandation dans son rapport de 2019 sur l’ingérence étrangère Note de bas de page 373 . En décembre 2019, le greffier du Conseil privé a demandé au premier ministre l’autorisation de mettre en œuvre les recommandations du Comité afin que le SCRS puisse breffer les parlementaires dans les premières semaines de la 43e législature Note de bas de page 374 . Le Cabinet du premier ministre n’a jamais officiellement répondu à la recommandation. En décembre 2020, la CSNR a de nouveau demandé au premier ministre une autorisation permettant au SCRS de breffer les parlementaires, notamment pour donner des séances d’information non classifiées aux députés et aux sénateurs ainsi que des séances d’information classifiées aux chefs de l’opposition Note de bas de page 375 . Le cahier présenté au premier ministre comprenait des modèles de lettre d’instructions aux ministres de la Sécurité publique et de la Défense en vue de coordonner les séances d’information, ainsi que des modèles de lettres aux chefs de l’opposition leur offrant des séances d’information classifiées. Le Cabinet du premier ministre n’a pas répondu. En février 2022, la CSNR a relancé l’initiative dans un autre mémoire au premier ministre, à la suite d’articles parus dans les médias, en décembre 2021, portant sur les préoccupations du Parti conservateur du Canada concernant 13 circonscriptions dans les dernières élections fédérales (le premier ministre n’a pas reçu ce mémoire au bout du compte) Note de bas de page 376 . Le mémoire faisait mention d’une proposition similaire qui avait été présentée en décembre 2020, mais qui n’a pas abouti, étant donné le déclenchement des élections en 2021, et qui proposait les mêmes étapes que celles présentées dans la proposition de 2020 Note de bas de page 377 . Lorsque le Comité lui a demandé pourquoi il n’avait pas donné suite à l’initiative, le premier ministre a répondu qu’il croyait que le Service de protection parlementaire fournissait déjà une séance d’information sur l’ingérence étrangère aux nouveaux parlementaires Note de bas de page 378 .

127. Nonobstant, le SCRS a donné de façon ponctuelle des séances d’information pour des parlementaires choisis. En 2021, le ministre de la Sécurité publique a ordonné au SCRS de breffer les parlementaires qui auraient été la cible d’espionnage, d’intimidation ou d’ingérence étrangère selon le SCRS Note de bas de page 379 . Au cours de l’été 2021, le SCRS a donné une série de séances d’information classifiées et non classifiées à 25 députés du Parti conservateur du Canada, du Nouveau parti démocratique et du Parti libéral du Canada Note de bas de page 380 . Les séances d’information non classifiées portaient sur les activités d’ingérence étrangère de la RPC contre les parlementaires. Le SCRS a donné ces séances en s’appuyant sur des sources ouvertes, tandis que les séances classifiées, que le SCRS a données dans le cadre d’une mesure de réduction de la menace, ont mentionné précisément les activités d’ingérence étrangère *** contre les parlementaires (voir le paragraphe 118) Note de bas de page 381 .

128. Les séances d’information abordaient trois sujets : le mandat du SCRS, la définition de l’ingérence étrangère et la façon dont les députés et leur personnel peuvent se protéger de tactiques précises. Les informations au sujet des tactiques étaient de nature générale dans les séances non classifiées, alors qu’elles étaient détaillées dans les séances classifiées. Le SCRS a fourni aux députés deux tableaux et les coordonnées des personnes-ressources à contacter au SCRS et à la GRC pour signaler un cas d’ingérence étrangère dans les prochaines élections Note de bas de page 382 . Le SCRS a donné toutes les séances d’information de l’été 2021 avant la publication du décret de convocation des électeurs, le 15 août 2021 Note de bas de page 383 . De plus, le SCRS n’a pas donné de séances d’information au cours de la période électorale, en application de la convention de transition Note de bas de page 384 . Depuis les élections de 2021, le SCRS a donné plus de séances d’information aux parlementaires. En 2022, le SCRS a donné ces séances à 49 députés et à cinq sénateurs Note de bas de page 385 .

129. Le 6 avril 2023, le gouvernement a répondu aux recommandations du Comité au sujet des séances d’information pour les parlementaires comme suit :

  • Le Service de protection parlementaire offre des séances d’information aux nouveaux parlementaires Note de bas de page 386 .
  • Le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections offre des séances d’information aux représentants des partis politiques pendant la période électorale.
  • La Division des opérations de la sécurité du Bureau du Conseil privé informe tous les nouveaux ministres et secrétaires parlementaires de l’éventail des menaces envers la sécurité, ce qui comprend l’ingérence étrangère. Le SCRS offre également des séances d’information aux parlementaires sur demande.
  • Des séances d’information seront offertes aux députés et aux sénateurs à la suite de leur assermentation ainsi que sur une base régulière à l’avenir Note de bas de page 387 .

En février 2024, cette approche semble inchangée. En effet, il n’y a aucun programme d’information particulier pour tous les parlementaires concernant la menace de l’ingérence étrangère, comme l’avait recommandé le Comité en 2018 et en 2020 Note de bas de page 388 .

Gouvernance interministérielle

130. Au cours de la période à l’examen, le gouvernement a créé deux comités de sous-ministres et un comité du Cabinet, soit le Conseil de la sécurité nationale, pour améliorer son évaluation du renseignement et son intervention face aux menaces envers la sécurité nationale, y compris l’ingérence étrangère.

131. Le Comité des sous-ministres sur le renseignement (CSMR) : En 2020, le CSNR a créé et présidé le CSMR, qui avait pour mandat de signaler les évaluations du renseignement stratégiques importantes aux sous-ministres et d’assurer une intervention coordonnée Note de bas de page 389 . Il est principalement composé du BCP, du CST, du SCRS, d'AMC, de Sécurité publique Canada, de la GRC, de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), et des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale (FAC/MDN) Note de bas de page 390 . La structure de gouvernance était conçue pour acheminer les décisions stratégiques au Cabinet au lieu de guider le travail de l’appareil de la sécurité nationale. De plus, le niveau de détails contenus dans les renseignements abordés ne suffisait souvent pas pour comprendre une question liée à la menace Note de bas de page 391 . Le Comité n’est au fait que d’une seule réunion du CSMR au cours de laquelle les membres ont abordé l’ingérence étrangère dans les processus et institutions démocratiques Note de bas de page 392 . Les réunions du CSMR ont cessé en juin 2021, mais le comité s’est réuni de nouveau en mars 2023 Note de bas de page 393 .

132. Le Comité des sous-ministres sur la réponse au renseignement (CSMRR) : À l’été 2023, la CSNR a créé le CSMRR Note de bas de page 394 . Le CSMRR est chargé d’examiner des rapports de renseignement plus opérationnels et tactiques demandant une réponse rapide Note de bas de page 395 . Il détermine également les renseignements qui doivent être communiqués aux ministres, au Cabinet ou au premier ministre et relève tous les renseignements déjà destinés à être communiqués par d’autres moyens Note de bas de page 396 . Parmi ses membres, mentionnons le CST, le SCRS, AMC, Sécurité publique Canada, la GRC et le BCP Note de bas de page 397 . D’après son mandat, le CSMRR a concentré ses efforts uniquement sur l’ingérence étrangère, mais pourrait élargir son champ d’application à d’autres questions appropriées Note de bas de page 398 . Le BCP a informé le Comité que le CSMRR se réunit hebdomadairement et que ses discussions font l’objet d’un suivi officiel, y compris des comptes-rendus de réunion Note de bas de page 399 .

133. Le Conseil de la sécurité nationale : Le 27 septembre 2023, le premier ministre a annoncé la création du Conseil de la sécurité nationale, un nouveau comité du Cabinet Note de bas de page 400 . Le Conseil s’est réuni pour la première fois en octobre 2023 Note de bas de page 401 et a pour mandat de servir de « tribune pour la prise de décisions stratégiques et pour la présentation de l’analyse du renseignement dans son contexte stratégique Note de bas de page 402  ». Présidé par le premier ministre, qui a mentionné vouloir tenir des réunions de façon régulière Note de bas de page 403 , le Conseil est composé des membres suivants :

  1. vice-première ministre et ministre des Finances
  2. ministre de la Défense
  3. ministre de la Protection civile
  4. ministre des Affaires étrangères
  5. ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie
  6. ministre de la Justice et procureur général
  7. ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales Note de bas de page 404 .

Hauts fonctionnaires du Parlement en éthique

134. Dans son examen sur la visite officielle du premier ministre en Inde en 2018, le Comité a recommandé que « les ministres fassent preuve de discernement quant aux personnes qu’ils rencontrent et avec lesquelles ils établissent des liens et à ce qu’ils fassent clairement la distinction entre les messages officiels et les messages privés dans les médias. Il faudrait aussi leur rappeler que conformément à la Loi sur les conflits d’intérêts, les titulaires d’une charge publique doivent toujours accorder la priorité à l’intérêt public avant leurs intérêts personnels Note de bas de page 405 . » Deux hauts fonctionnaires du Parlement indépendants et non partisans appuient la conformité à la Loi. Le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique donne aux députés et aux titulaires d’une charge publique fédérale des consignes et des conseils en matière d’éthique et de conflit d’intérêts afin d’éviter les conflits d’intérêts. Le conseiller sénatorial en éthique joue le même rôle pour les sénateurs. Les deux hauts fonctionnaires du Parlement mènent aussi des enquêtes sur les infractions possibles à la Loi sur les conflits d’intérêts et les codes régissant les conflits d’intérêts pour chaque chambre Note de bas de page 406 .

135. À l’heure actuelle, l’ingérence étrangère n’est pas définie dans la Loi sur les conflits d’intérêts ou dans le code régissant les conflits d’intérêts de l’une ou l’autre chambre. Par conséquent, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le conseiller sénatorial en éthique ne sont donc pas expressément habilités à fournir des conseils aux parlementaires et aux titulaires d’une charge publique fédérale sur la façon d’éviter d’être vulnérables à l’ingérence étrangère et à enquêter sur les conflits d’intérêts liés ou possiblement liés à l’ingérence étrangère.